J'ai fini Link's Awakening. Je pleure. Ou presque.
D'abord de cette mélancolie de voir s'achever un jeu merveilleux que j'ai pris un plaisir indescriptible à découvrir hors de son temps, et ressentant en permanence des frissons me ramenant, l'espace des quelques dizaines de minutes passées quotidiennement sur ce jeu depuis quelques jours, au milieu des années 90, lorsque j'avais ma coupe au bol de premier de la classe, que je regardais les Tortues Ninja et Super Mario Bros. au petit déjeuner devant mon bol de Banania, et que je prenais un pied infini à torcher Super Mario Land 2 dans tous les sens sur ma TV via le Super Game Boy.
Oh oui, j'adule désormais à un autre stade des Uncharted, Heavy Rain, GTA ou Assassin's Creed. Mais ils ne provoquent au final en moi que des émotions très superficielles et un sentiment de puissance lié à un jeu plus adulte. Certes, les jeux modernes savent encore me toucher — j'ai failli pleurer devant Heavy Rain, les fins de GTA IV, Mafia II et surtout Red Dead Redemption m'ont marqué.
Mais quatre putains de nuances de gris et 160*144 misérables pixels parviennent pourtant à faire au moins la même chose. Ce jeu a plus qu'une âme, il est le rétrogaming dans toute sa quintessence, le définit plus que quelque autre titre que ce soit à mes yeux dorénavant vu le contexte dans lequel j'y ai joué. Zelda III était pourtant, depuis 2002 et ma découverte plus que tardive de ce joyau, le jeu que je considérais comme le meilleur du monde de par le replacement dans son contexte. Je n'en suis désormais même plus tout à fait sûr tant Link's Awakening est unique et au-dessus de tout ce qui se faisait à son époque avec de telles contraintes techniques. Je n'ai même pas de mots pour décrire la quasi perfection dont ce jeu fait étalage de son écran titre jusqu'aux crédits de fin.
Je pleure ensuite devant la fin de ce jeu, dont tant m'ont parlé sans heureusement jamais rien me spoiler: parvenir, avec tous les rétrogamers que je fréquente et les innombrables forums de jeux vidéo où je traîne mes guêtres depuis une décennie, à ne rien savoir de son scénario relève aussi bien d'un isolationnisme maladif que d'un improbable miracle. Bien qu'un spoiler soit nécessaire pour dissimuler aux éventuels malheureux (?) qui comme moi ignoreraient tout de la trame de ce joyau, je ne m'étendrai même pas dessus explicitement, considérant que la simple évocation de cette synopsis suffit à éveiller en chacun y ayant touché des frissons rappelant tant de moments capitaux de nos vies, heureux ou pas. À la rigueur, je pourrai dire que l'on m'a tant parlé de la fin de ce titre en se limitant à d'évasives évocations, que j'en ai un poil trop attendu pour en être autant bouleversé que devant deux autres scènes du jeu: une dont j'ai déjà parlé plus haut, l'autre étant liée à un fantôme sur lequel je ne m'attarderai pas davantage pour ne rien dire. Mais dieu que terminer Link's Awakening est pénible. Aussi bien parce que le boss de fin est une plaie sans nom, aussi bien parce que... mais merde... on se demande si on est en train de faire vraiment ce qu'il faut, quoi. Fallait-il finir ce jeu? Fallait-il réveiller le Poisson-Rêve? Comment un aussi petit jeu sans aucune prétention scénaristique, contrairement aux blockbusters d'aujourd'hui, parvient-il donc à laisser le joueur dans un tel inconnu, dans un tel néant de questions et d'interrogations?
Quant au jeu, car je n'en ai même pas encore parlé, tout encore retourné par une expérience aussi immersive et émouvante sur un malheureux titre Game Boy monochrome. C'est simple, étant un véritable aficionado des trois premiers Zelda et en tout particulier du premier et de l'opus SNES pour avoir proposé ce type de jeu d'aventure en vue du dessus sans succomber à cette connerie de levelling et de tour par tour, je m'attendais à y trouver une version épurée de ces derniers. Je n'en reviens tout simplement pas de la longueur globale de l'aventure (bien qu'une fois toutes les énigmes solutionnées, le run global ne doit pas être très long, et sans doute moins qu'un Zelda I sur NES), de la complexité de ses énigmes et de ses palais vraiment bien tordus dans l'ensemble, et de la réalisation qui donne l'impression qu'on a porté non pas The Legend of Zelda, mais bel et bien A Link to the Past, au format poche. Un peu comme pouvait l'être Mario Land 2 vis-à-vis de Super Mario World dont il réexploite de nombreux sprites et des idées de gameplay pourtant théoriquement impossibles à mettre en pratique sur un tout petit format. Link's Awakening fait exactement la même chose, permettant à Link une pléthore de mouvements et d'utilisations d'objets en tous genres avec deux boutons seulement. "C'est ça le progrès" comme dirait la bulle de texte entrevue régulièrement dans les palais...
Ah oui, car niveau texte, il faut le dire: si j'ai régulièrement ressenti une forte envie d'exiger de Véronique Chantel qu'elle s'allonge sur le ventre, les fesses à l'air, en levant lascivement le croupion pour que je puisse choisir entre lui flanquer une série de fessées méritées tant elle s'est foutue de nous, ou lui faire comprendre la sodomie violente et sans lubrifiant qu'elle nous a fait vivre avec ses traductions abominables, son travail dans Link's Awakening inspirerait davantage un cunnilingus rétributeur. J'ignore si c'est en fait Nintendo qui nous a privé de son humour et de la fraîcheur de ses traductions par la suite, ou si les coups de malice de quelques programmeurs coupant le bloc de texte avant le défilement au bon moment ("Tu as le Gland! Tu seras mieux") sont davantage à mettre en avant et pas trop à son crédit, mais on bénéficie d'une VF de haute volée pleine de clins d'œil et d'humour à côté de laquelle il serait dommage de passer. J'ignore franchement si en 1993, un jeu vidéo avait bénéficié jusqu'ici d'une traduction française aussi soignée et dont les rares ratés passaient davantage pour une blague volontaire de l'équipe chargée de la localisation.
Hum. Pardonnez-moi tout cet aparté, j'en étais où déjà? Ah oui, au gameplay. L'autre truc qui m'a scié dans ce Link's Awakening, c'est sa forte propension à dépasser le maître en terme d'idées novatrices par-ci par-là. Si le fait d'associer n'importe quel objet aux boutons A et B est super bien pensé et force le joueur à redoubler d'ingéniosité pour déterminer quelles sont les bonnes "combinaisons" pour se tirer de situations épineuses, mais bordel, que dire de cette incroyable idée que fut l'insertion de phases de type plate-forme dans les nombreux souterrains permettant de rallier un point à l'autre d'une salle dans les palais, voire de la map globale par moments? Ces phases sont exceptionnellement bien gérées et on se prendra une vraie baffe en voyant que Nintendo a surexploité certains personnages de Mario sans les nommer explicitement, en plus du Yoshi sous forme de peluche qu'on récupère dès le début du jeu. Outre le clin d'œil, c'est un ajout complètement génial qui trouve sa justification dans une nécessité de voir l'aventure de Link sous un autre angle dès lors qu'il doit se balader dans les bas-fonds de Cocolint. Et ne parlons pas d'une scène que je ne ferai que suggérer, mais qui gagne à être connue: celle en vue de côté là encore, mais dans l'eau, et dont le déroulement global tient carrément du shmup. Ouais. Et super bien géré là encore. Avec toujours deux putains de boutons A et B plus les flèches. *essuie le filet de bave qui commence à couler de ses lèvres*
Vous l'aurez compris: dans Link's Awakening, il y a un scénario merveilleux et poétique, un gameplay aux petits oignons sous forme de défi technologique vu les capacités de la machine, une durée de vie plus que correcte en dépit d'une relative absence de quêtes annexes (tant les palais et les énigmes à résoudre sont tout bonnement atroces pour un novice en la matière, et même pas toujours évidents pour le gamer aguerri) ... et puis évidemment, bien qu'il semble insultant de le rappeler, une bande son enchanteresse au possible, mélancolique comme c'est pas permis (la ballade du Poisson-Rêve, le village des mouettes...). Il y a donc tout. Il ne manque rien. C'est un putain de chef-d'œuvre comme rarement le jeu vidéo en a fait, et comme je ne suis même pas sûr qu'il en ait refait depuis.
Seul problème: j'ai maintenant envie d'un plan à trois sur la plage de Cocolint avec Véronique Chantel (enfin telle qu'elle était en 1993, elle doit avoir vieilli depuis) et Marine.