Après faut savoir que cette adaptation (réussie, peut-être meilleure ?) ne reprend pas le texte d'origine, mais en offre une version plus synthétique, plus lisible, pour un jeu qui n'est plus tout à fait un livre.
J'ai écrit une petite critique d'un livre. J'ignore si ce genre de retours intéresse.
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Alice's Nightmare in Wonderland
Jonathan Green Quelques mots sur l'auteur. Comme vous le savez peut-être, il existe, si l'on peut dire, deux Jonathan Green. Jonathan Green jeune, et Jonathan Green vieux. Jeune (il avait moins de 20 ans), il avait écrit
Le Sépulcre des Ombres,
Les Chevaliers du Destin,
La Malédiction de la Momie, et une partie du
Pirate de l’au-delà. C’était les tout-premiers livres d’un jeune auteur, à l’imagination fertile, dotée d’une grande force d’évocation, mais qui, on pourrait croire avec un certain sadisme, s’ingéniait à rendre ses livres les plus difficiles possible, au point qu’un joueur lisant une de ses aventures se sent quasiment persécuté par le destin. Jonathan Green vieux s’est assagi et bonifié. Sa force d’évocation reste la même, et elle est désormais servie par une langue riche, éminemment littéraire, et par une bienveillance qui permet de jouer à ses livres avec confiance, sans craindre de mourir au paragraphe suivant à cause du moindre choix ou du moindre combat.
En ce qui concerne les livres-jeux, Jonathan Green vieux en a écrit plusieurs ces dernières années pour la série Défi Fantastique (
La Nuit du Loup-Garou,
La Nuit du Nécromancien,
Le Maître des Tempêtes), puis, en 2015, il s’est lancé dans une série de son propre cru, financée participativement via Kickstarter, dont le premier tome va faire l’objet de la présente critique. J’ai nommé,
Alice's Nightmare in Wonderland (ANW).
Une première remarque concerne l’accessibilité du livre. Il a été écrit en anglais, et à l’heure actuelle, n’a pas été traduit. La langue employée est riche, d’un point de vue syntaxique et lexical, et de ces deux points de vue est très inspirée de la langue littéraire anglaise du XIXe siècle. Autrement dit, il me serait difficile (à mon grand regret) de le recommander à une personne dont le niveau de langue est faible, ou même moyen. De plus, il est conçu comme une suite au
Alice au Pays des Merveilles de Lewis Caroll, et pour apprécier l’histoire pleinement, une connaissance de l’œuvre originale apporte beaucoup, mais n’est nullement indispensable (à la limite, si lire ANW donne envie de lire ensuite le livre de Lewis Caroll, ce dernier sera enrichi de la connaissance préalable du livre de Jonathan Green).
Concernant les règles du jeu, elles sont très similaires à celles d’un Défi Fantastique. L’endurance et l’habileté (nommée Combat) fonctionnent de la même façon. S’il n’y a pas de Chance, il y a en revanche un score d’agilité, et de logique. Le calcul des statistiques de départ se fait par distribution de points plutôt que par lancers de dés, ce qui assure un meilleur équilibrage de l’aventure.
Outre ces statistiques, le joueur dispose de deux pouvoirs exceptionnels (chacun ne peut servir que trois fois au cours d’une aventure),
Curiouser and Curiouser, et
The Pen is Mightier. Lorsque la possibilité en est offerte, le premier permet d’altérer le monde de manière encore plus étrange, aux risques et périls du joueur (parfois en bien, parfois en mal), tandis que le second permet de remporter un combat sans lancer les dés.
En parlant de dés, une autre originalité du livre est que Jonathan Green propose trois manières de jouer : avec des dés, en trichant (en réussissant automatiquement les combats et les tests)... et avec un jeu de 52 cartes à jouer ! Les cartes de 2 à 10 valent alors le nombre qu'elles indiquent, les cartes avec personnage valent 11, et l'as 12. (Parfois l'auteur demande si la carte qu'on tire est rouge ou noire, ou encore son symbole, cœur, pique, etc.)
L’aventure nous met dans la peau d’Alice, une petite fille de 12 ans, qui se retrouve dans un monde merveilleux qu’elle a visité par le passé sans en avoir gardé le souvenir. Ce monde des merveilles se trouve cette fois-ci complètement transformé, en un univers mêlant horreur et steam-punk (Jonathan Green s'est fait un nom dans la littérature non-interactive grâce à une série steam-punk de sa création nommée Pax Britannia), où tout semble être devenu mauvais, ou avoir muté, ou avoir subi les plus horribles actes chirurgicaux. Évidemment, le but est de mettre fin à ces horreurs.
Une particularité du contrôle du personnage est qu’Alice dispose d’un certain degré d’initiative vis-à-vis du joueur, prenant des décisions par elle-même, notamment lorsqu’elle cesse de visiter un endroit alors même que le joueur pourrait vouloir s’y attarder un peu plus. On pourrait en ressentir une frustration par moments, mais cette manière de faire est tout à fait cohérente avec un certain choix stylistique. En effet, le narrateur s’adresse bien à un « vous », mais « je » ne suis pas « Alice ». Le narrateur « me » demande ce que je pense qu’Alice « doit » faire. Cette distanciation donne une certaine vie autonome au personnage principal, et nous met plutôt dans la position non d’un personnage immergé dans un monde, mais d’un lecteur capable d’altérer la trame d’un récit. Ce qui est parfaitement cohérent avec le fait que nous lisons un livre, qui plus est inspiré d’un chef-d’œuvre de la littérature.
Dans les points positifs, l’aventure est dans l’ensemble extrêmement bien écrite, les situations marquantes (ainsi, toutes les transformations que l’on observe dans ce monde des merveilles devenu monde des cauchemars), le personnage d’Alice semble vivant, et la difficulté est dans l’ensemble (je nuancerai bientôt) correctement dosée.
Dans les points négatifs, on peut déplorer un certain manque de finitions, imputable, je pense, à un manque de relectures.
- Ainsi, au début de l’aventure, on peut très facilement trouver une arme qui sera meilleure que bien d’autres que l’on trouvera par la suite en affrontant des dangers plus grands.
- Toujours au début de l'aventure, il y a une clé qu’on nous propose d’examiner, mais que, si l’on porte d’abord notre attention sur autre chose, nous n’avons plus l’occasion de ramasser ensuite, alors même qu’on ne bouge pas d’un pouce et que rien ne nous en empêche.
- Plus tard également, une curiosité qui m’a fait me demander si c’était une sorte de bug, ou quelque chose d’intentionnel. On peut en effet se retrouver à retourner, par téléportation, dans des endroits précédemment visités. Mais tout y est à refaire, les combats, les objets à trouver. On peut mettre cela sur le dos du cauchemar (que les choses changent, se reforment, se déforment, n’est pas illogique, cela dit, lorsqu’on se téléporte, aucun paragraphe ne mentionne l’étonnement d’Alice de revivre une situation, ce qui n’aurait pas été compliqué à gérer avec un mot-clef noté dans le feuille d’aventure), mais dans ma première partie, j’ai pensé d’abord que c’était une erreur, ce qui a été évidemment extrêmement anti-immersif.
- Mais surtout, j’estime que ce livre est foncièrement infaisable à cause d’une énigme, dans la non-résolution entraîne une mort certaine dans un passage obligé du livre. Sans spoiler, disons qu’il faut examiner quelque chose dans un certain endroit optionnel, à l’intérieur d’un endroit optionnel où on nous déconseille d’aller, que ce quelque chose est au milieu d’autres choses à examiner et qu’Alice ne veut bien en examiner qu’une seule, et qu’enfin, cette énigme suppose des connaissances que tout un chacun ne possède pas (ce n’est pas quelque chose d’enseigné à l’école, par exemple, ou qu’on puisse trouver avec du bon sens), et qu’une connaissance basique de la chose en question ne permet pas de résoudre l’énigme. C’est extrêmement dommage, car à cause de ça, il est tout à fait improbable qu’un lecteur puisse venir à bout de l’aventure à moins de tricher (ce que j’ai dû faire moi-même), alors que tout le reste du livre est au contraire agréablement
fair-play.
En résumé, on a affaire à un très bon livre, le haut du panier, vraiment, bien écrit, agréable à jouer, mais entaché par quelques défauts de finitions, et surtout une énigme qui risque de bloquer la plupart des lecteurs de la manière la plus frustrante qui soit (surtout à ce moment-là, où on croirait au contraire devenir inarrêtable).
Je proposerai bien si vous le souhaitez des corrections des défauts mentionnés, ce qui à mon sens rendrait le livre parfait, ou peu s’en faut (parce que vraiment, il s’en fallait peu que le livre soit parfait).
En espérant que cette critique vous a été utile !