Ami lecteur de bon goût, bonsoir. Avant toute chose, laisse-moi te prévenir que cette critique est un peu particulière, et que si tu comptais sur un tête-à-tête virtuel mais néanmoins sensuel avec moi au travers de ma prose, c’est râpé, puisque nous serons pour toute la durée du test en duplex avec Mike, ex-motard du gang des Putois purgeant actuellement une peine de deux cent vingt-neuf ans de travaux forcés au pénitencier d’état du Texas, et en attente de jugements dans dix-sept autres états pour violences en réunion, viol, extorsion, ivresse sur la voix publique et excès de vitesse. Mike va se faire un plaisir de nous faire part de son avis d’expert sur ce jeu étrange qu’est Harley-Davidson : The Road to Sturgis. Mike, pouvez-vous avant toute chose nous éclairer sur le titre ? (
ndlr : ce qui suit est une traduction simultanée redneck/français).
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Mike : Ben, Sturgis c’est un peu le Saintes-Maries-de-la-Mer des bikers, s’tu veux. Une fois par an, tous les motards des U.S. of A. prennent la route pour se retrouver dans ce bled paumé du Dakota du Sud, pour assister à des courses, boire des godets, faire participer sa babe à des concours de t-shirts mouillés, saccager le village, violer les filles des fermiers, et tout ça quoi. Rien qui change des occupations habituelles du motard, sauf que là on le fait tous ensemble.
-C’est bien légitime. Alors Mike, nous vous avons fait parvenir un Amiga 500 et un exemplaire du jeu au fin fond de votre cellule insalubre en les cachant dans de la mie de pain pour que vous puissiez nous donner votre avis. J’espère que vous ne les avez pas encore échangé avec Bob L’Ecarteur contre trois jours de tranquillité dans les douches. Nous vous écoutons.
-Ben, ça commençait super bien. L’intro est sobre, limite voleuse, avec seulement un motard moustachu sur un fond de montagnes, genre le Montana profond. Mais la musique, ça c’était quelque chose. J’en aurais bien versé une larme, si j’avais pas ma réputation à tenir. On se serait cru de nouveau en 83, quand toutes les stations du Midwest passaient Gimme all your lovin’ en boucle. Clairement une musique qui se place dans le top-10 des B.O. de cette bécane (
ndlr : oui, nous avons mis la main sur le seul motard expert de l’Amiga. Merci de votre compréhension). Dommage que ça soit quasiment la seule musique du jeu, ensuite c’est tellement silencieux que ça m’a rappelé cette fois où j’ai crevé au milieu du désert de Mojave.
-Je vois. Et qu’en est-il du jeu en lui-même ? J’ai cru comprendre que l’on devait rallier Sturgis à moto en un temps limite, c’est bien ça ?
-Ouaip. Le
dude qu’on joue part de Eastport, Maine, et doit atteindre Sturgis en moins de dix jours, rien qu’avec sa Harley, son cuir, sa bite et son couteau (par ordre d’importance). On commence devant une station service. Déjà là on voit que le jeu a été programmé par une bande de hippies décadents : le mec est monté sur sa bécane en pantalon de survet’ et baskets. Sur une Harley, quoi. Ca de mon temps, c’était un coup à recevoir une correction au pied-de-biche au resto routier. Tiens, ça me rappelle la fois où ce mec était venu nous dire qu’on faisait trop de bruit, Apocalypse Bill l’avait traîné sur quinze miles attaché à son chopper, et puis on l’avait noyé dans la mangeoire des cochons du vieux John. Enfin bref. Pour parfaire la dégaine de ce wanna-be, on peut acheter tout ce qu’il faut à la station : cuir, bottes, casque à pointes, tatouages… Attention à pas y passer trop de temps non plus, on n’est pas des gonzesses.
-Effectivement j’en doute. Et ensuite ?
-Ben, ensuite on s’arrache. On se retrouve sur une route en vue de derrière, et il s’agit d’atteindre la ville suivante en un seul morceau. Et c’est pas gagné. Déjà il faut démarrer : avec un bouton pour accélérer, un pour ralentir et un pour changer les vitesses, il faut un petit temps avant de s’habituer aux contrôles. Dans le bas de l’écran, les différentes jauges de la Harley sont représentées (vitesse, essence, compte-tours), ainsi que le pied du motard. Ben oui, pour montrer qu’on passe les rapports ! Une fois parti, attention à ne pas dépasser les 65 miles de l’heure, sinon t’es bon pour être arrêté par le premier
cop qui passe, et là pas moyen d’y couper, c’est soit l’amende, soit le numéro de charme. Mais le plus dur reste d’éviter tous les obstacles : dans ce jeu les routes sont moins bien entretenues que les dessous de bras de Bad Jim, et tous les dix mètres on croise qui une flaque d’huile, qui un vieux pneu, qui un nid-de-poule… Attention également aux autres véhicules qui circulent, ces bouseux n’hésitent pas à t’écraser si tu roules trop lentement. Sinon l’ambiance est plutôt bien rendue, il ne manque que les moucherons collés aux dents.
-Hé oui, on ne le dira jamais assez, mais la route c’est l’enfer, c’est pas pour rien que les Hells Angels s’appellent comme ça. Mais vous m’aviez parlé lors de notre entretien téléphonique d’une certaine « auto-stoppeuse ». Qu’en est-il ?
-Ah ouais. Le cauchemar. Dès que tu quittes une ville, tu peux être sûr de tomber au bout de quelques minutes sur une blonde qui a planté sa bagnole. Si tu la prends, elle te filera un peu d’argent pour te remercier. Mais voilà, au bout de la dixième fois, tu en as marre de devoir t’arrêter pile à côté d’elle et tu la laisses sur le bord de la route. Seulement, elle revient. Tous les cent mètres, la même blonde en débardeur rouge, qui a planté la même bagnole bleue. Tout le temps. Jusqu’au bout. C’est pas humain des trucs pareils, c’est pas humain.
-Hmmm. Et après toutes ces aventures à la frontière de votre santé mentale déjà fragilisée par des années de drogues dures, vous ralliez la ville suivante. Racontez-nous.
-Ouais. Au bout de dix minutes, un quart d’heure de conduite, on arrive dans un quelconque bled. Là on nous donne le choix de continuer ou de faire une pause. Si on s’arrête, on retombe devant une station-service, où on peut réparer sa moto, acheter de nouvelles pièces (moteur, freins, pneus, joints de culasse), et puis surtout faire le plein. C’est que ça bouffe ces bêtes-là, alors faut faire gaffe, d’autant plus si comme moi tu voyages avec tes économies planquées dans le réservoir. L’avantage c’est qu’ici, l’essence ne coûte que quelques cents du gallon (
ndlr : moi non plus je ne sais pas ce que ça représente, mais on s’en fout ça fait américain). En plus dans ce jeu les préposées à la pompe sont toujours des canons, alors tu peux tenter ton petit numéro, avec un peu de chance on t’offrira le plein. Sinon, si t’es pas chaud pour te remettre à bouffer le bitume de suite, tu peux aller voir les autres motards du coin, y’a souvent un meeting de bikers à proximité, auquel on peut participer pour arrondir les fins de mois et augmenter sa réputation. Course en ligne droite, en côte, en slalom, y’a le choix. Et puis on reprend la route. Nouvelle étape. On s’arrête. On repart. Et ainsi de suite jusqu’à Sturgis, soit 1764 miles.
-Passionnant. Malheureusement, c’est déjà l’heure de vos électro-chocs quotidiens, il faut nous séparer. Mais avant, dites-moi tout Mike, et ne faites pas de chichis, que faut-il retenir de ce jeu ?
-Rien. Après la deuxième étape, ça devient horriblement répétitif, les trajets sont affreusement longs, on s’endort… J’veux dire, ça m’est déjà arrivé de dormir sur ma bécane, mais jamais quand elle roulait. A part ça, graphiquement c’est pas mal, mais côté son c’est le grand vide, après la musique du début il n’y a que le bruit du moteur pour meubler le silence… Bruit affreux d’ailleurs, on dirait un coyote en train de cuire à la broche.
-Je ne vous le fait pas dire. Hé bien Mike, je vous remercie et vous dis adieu, et bonne chance. Quant à toi, ami lecteur, tu auras compris qu’il n’y a rien à attendre de ce jeu, dommage, ce n’est pas encore aujourd’hui qu’on pourra sentir l’odeur musquée des motards sur nos machines préférées. En attendant, à bientôt pour de nouvelles aventures.