Dragon Crystal. Vous ne connaissez pas? Alors dites adieu à votre vie d'insouciance et de jeux faciles, et préparez-vous à découvrir le sens du mot damnation. Suivez-moi, et bouchez-vous le nez, ça poque un peu. Ce jeu est sorti en 1990 sur le Système Maître, suivi par son petit frère sur Game Gear en 1992. Les deux versions sont quasiment identiques, mis à part quelques détails cosmétiques, aussi allons-nous nous arrêter sur l'opus game gear, parce que c'est mieux, parce que je n'ai jamais eu de Master System, et parce que c'est moi qui écris le test.
Regarde la boîte du jeu, garçon. Un gus en armure moche brandissant une laide épée. Mouais. C'est dans la ligne du parti de l'époque, vous ne vous doutez pas encore que vous avez mis le doigt dans un engrenage diabolique qui vous bouffera votre montre, votre bras et jusqu'à votre slip. Lisons-voir l'envers:
"Vous êtes prisonnier d'un monde fantastique de beauté surnaturelle. Vous traverserez 30 mondes à la recherche du gobelet magique; il n'y a pas de sortie dans ce cauchemar musical...jusqu'à ce que vous la trouviez."
Et là vous vous dites: "Ce jeu sue la défaite", ou plutôt, comme on avait coutume de dire en 1992, "ça craint". Oui, il faut avouer que sur ce coup-là l'assistant-chef de produit chargé d'écrire la jaquette s'est surpassé. Mais peu me chaut, je suis jeune, c'est l'été, et Bérégovoy est encore de ce monde, alors admettons que je veuille acheter ce jeu, que je ressente une pulsion, un besoin animal, ou plus simplement que j'ai pas envie de m'emmerder pendant deux mois chez mamie (oui, nous sommes en 92 et je ne suis pas encore sensible à ma cousine Lison et au charme de ses lèvres pulpeuses, encore innocentes, mais où déjà l'on sent poindre une langueur torride, à moins que ce ne soit ses tétons sous son t-shirt. Mais ça viendra).
J'achète donc le jeu. Nous sommes le 3 juillet, sur l'autoroute A13, quelque part entre Porcheville et Pont-l'Évêque. La température extérieure est de 19°, il pleut. Sentant que la lassitude me gagne et que les œufs durs de midi n'ont pas l'air de vouloir visiter la moquette de la CX de papa dans un avenir proche, je sors mon bouffe-pile préféré, et j'enfourne la cartouche d'un geste vigoureux.
On. Logo Sega. Ecran titre. Un petit bonhomme apparaît à la gauche de l'écran, et saute dans une boule de cristal (d'où le nom du jeu). Start. Me voici dans une clairière moche vue de dessus, entouré d'arbres blancs tout aussi laids, et attaqué par deux flaques vertes. Je suis seul dans l'adversité. Ah non, pas tout à fait seul: je suis suivi par un œuf géant. Tout va bien. Je réduis à néant les deux blobs avec mon épée verte de tapette, je ramasse les 3 sacs de thunes qui trainent, ainsi qu'une épée et un bout de pain. Et là je pose la console sur mes genoux et je m'interroge sur la suite des réjouissances. Je suis enfermé dans une forêt d'arbres blancs, et je ne vois de sortie nulle part. Mais mon petit bonhomme (appelons-le Michel) s'impatiente, il me lance même un cinglant « what shall I do? » Enfin, il l'écrit en bas de l'écran hein, on est sur gamegear.
Qu'à cela ne tienne, je reprends la console en main et je me décide à faire le tour de la clairière, pour voir. Et là, magie de la fée à 8bits, les arbres blancs deviennent verts lorsque que je passe à côté, et certains vont même jusqu'à disparaître pour laisser la place à un chemin. Formidable, je ne suis plus prisonnier de la clairière des blobs. C'est parti. L'œuf me suit toujours. Je ne sais pas ce qu'il fout là, mais il me colle au cul encore mieux que mon slip après un repas mexicain. Je cherche mon chemin dans l'enfer des arbres blancs-verts (tiens, d'ailleurs, quand la jaquette parlait de cauchemar musical, elle ne mentait pas, l'unique musique pue du gland. Allez hop, je coupe le son, je vais écouter la cassette de Benny B sur mon walkman).
Je trouve d'autres clairières, je tue d'autres flaques, ainsi que des tonneaux rouges. Je ramasse des épées, des potions de différentes couleurs, des bâtons, des anneaux. Il faut les tester pour connaître leurs effets, qui peut aller de restaurer les points de vie, à la téléportation, en passant par la paralysie. On peut également les jeter sur les streums pour leur en faire subir les effets (mais ça c'est un peu sadique). Il faut que je fasse attention à mon niveau de nourriture: quand on en a plus, la vie baisse graduellement. L'or sert à s'acheter des continues quand on meurt. C'est compliqué tout ça. Moi, je commence doucement à me faire chier, mais il reste encore deux cent bornes avant d'apercevoir les tours de Caen.
Je persiste. Tout d'un coup, au détour d'un arbre blanc, je découvre un truc moche, genre signe kabbalistique, qui semble être un téléporteur, vert comme de bien entendu. Vous savez pourquoi l'Argentine a perdu contre la RFA en 1990? Parce que les graphistes de Dragon Crystal avaient volé tout le stock de Maradona. Très bien, je m'en fous, n'importe quoi pour sortir du cauchemar de la forêt des arbres blancs.
Je l'emprunte. Me voilà dans une clairière bordée... de cactus. Blancs. Avec une flaque (bleue) qui gigote. Je retiens les larmes de sang qui perlent à mes yeux, j'agrippe la console. J'envoie le blob ad patres.. Tiens, je gagne un niveau. Me voilà plus fort mais surtout, merveilles des merveilles, le con d'oeuf qui me suit le début éclot...et c'est un dragon qui en sort. D'où, une fois encore, le nom du jeu. C'est magnifique. Je me dis que ce dragon va pouvoir m'aider à me débarrasser des tonneaux rouges lanceurs de boules de feu qui me courent après (façon de parler, ce sont des tonneaux, Nicolas)... Mais non, cette tanche se contente de me suivre, probablement pour se foutre de ma gueule. Sa seule utilité durant tout le jeu sera d'empêcher les ennemis de m'attaquer par derrière, et donc de me faire le cul (ou pire). En gros, il ne sert à rien. Pour un jeu dont le titre commence par Dragon, c'est proprement scandaleux. C'est comme si on avait fait un jeu de baston et qu'on l'avait appelé Shaq Fu, imaginez.
Bref. J'en ai marre. J'avise un nouveau téléporteur, je l'emprunte, et je me retrouve dans une clairière entourée de statues. Bleues. Un cristal (d'où le nom du jeu, n'est-ce pas), rouge, tente de me faire la peau. C'en est trop, j'éteins la console et je m'effondre en pleurant.
Suite à cet épisode plus ou moins fictif de ma vie, vous l'aurez compris: Dragon Crystal est une sombre merde. Un putain de dungeon crawl de la pire espèce, avec des décors abscons et des ennemis informes. Si néanmoins vous parvenez un jour au trentième niveau (ce qui n'est pas mon cas), vous pourrez récupérer le gobelet magique et rentrer dans votre monde. Notre monde, en fait, puisque à la base Michel est un mec normal qui se baladait en vélo, qui s'est arrêté devant un magasin d'antiquité dans une ruelle interlope, qui est entré et a posé ses mains sur une boule de cristal (d'où le nom...ok). Oui, là vous vous rendez compte que Michel est un loser de la pire espèce mais surtout que c'est aussi la déchéance niveau scénario. Pas de princesse à tirer, ni de trésor à récupérer, bonjour la carotte. Et je ne parle pas de la difficulté. Il n'est pas rare de mourir comme une merde dès la première clairière, alors imaginez sur trente niveaux...
Mais si jamais, par un jour sombre et pluvieux, vous décidiez de recommencer le jeu (ce qui est totalement con, avouons-le, mais si vous aviez une once de bon sens vous auriez acheté une gameboy à la place de votre console ridicule), et bien vous découvririez que le design des niveaux a changé, ainsi que votre équipement. Vous ne retrouvez plus vos potions favorites. Le téléporteur n'est plus à sa place.
Vous réalisez alors que vous tenez entre vos mains l'instrument de torture parfait. Mieux que le rubik's cube et la boîte de Lemarchand réunis: le jeu de merde qui se recrée à chaque partie. Vous éclatez alors d'un rire démoniaque qui se répercute sur les murs en mousse de votre chambre, juste avant que l'infirmier de service ne vous injecte vos 20cc de flunitrazepam quotidiens. Votre vue se brouille lentement, et vous vous lovez en position fœtale dans vos excréments. Votre raison vous a quitté, elle gambade main dans la main avec des flaques vertes, au milieu des cactus blancs.