Je vais vous faire une confidence: j'éprouve une adoration malsaine envers les jeux nuls. J'ai beau me dire à chaque fois que non, on ne m'y reprendra plus, je finis toujours par y revenir. Un peu comme cette vieille copine moche qu'on retourne voir à chaque chagrin d'amour, parce qu'après tout, c'est chaud et moelleux à l'intérieur.
Au cas improbable où vous ne le sauriez pas encore, le personnage charismatique suceur de sang et coureur de jupons répondant au doux nom de Vlad l'Empaleur n'a pas été inventé par Konami, mais par un irlandais qui souffrait de la goutte, Bram Stoker, en 1897. Un siècle plus tard, en 1993, sort au cinéma Bram Stoker's Dracula, réalisé par le gros Coppola (celui où on voit les miches à Monica Belluci, pour vous situer). Sony profite alors de l'occasion en sortant tout un tas de jeux estampillés du nom du film, histoire de faire du fric facile, parce que bon, faut bien payer les saladiers de coke du père Kutaragi, qui déjà à l'époque avait tendance à tirer un peu trop sur la ficelle, croyez-moi.
En ces temps bénis, les jeux à licence étaient souvent potables, contrairement à aujourd'hui. Souvenez-vous, Batman, Duck Tales, Chip&Dale.... Hé bien là non, dommage. Prenez votre chaussette lestée et suivez-moi, on va casser du jeu de merde.
Nous allons donc suivre les péripéties de Jonathan Harker, clerc de notaire londonien parti faire du tourisme sexuel en Transylvanie (ah, les charmes sauvages de l'Europe de l'est...) Au détour d'une forêt sombre, alors qu'il s'était un peu trop éloigné de l'auberge à la recherche d'une prostituski, Jonathan avise au loin un château, sur un pic rocheux du genre escarpé, à moitié caché par la brume. Le type d'endroit où seuls des acteurs de teen-movies iraient foutre les pieds. Mais voilà, Jonathan est anglais, par conséquent un peu simple, et il confond le château du Comte avec un bordel roumain. Son sang ne fait qu'un tour et, ne pouvant résister à l'appel de la bite et du sexe facile, Jonathan remonte son pantalon et entreprend de traverser le marais qui le sépare du pic rocheux. C'est à ce moment que vous entrez en scène, car vous pensez bien que si vous laissez ce con d'anglais se diriger tout seul, il va probablement périr noyé dans une flaque d'eau. Et si on retrouvait un sujet de la Couronne étendu raide mort au fin fond d'une forêt slave, avec le pantalon remonté aux genoux et une trique de tous les diables, ça ferait mauvais genre, n'est-ce pas ?
On prend donc Jonathan en main et on y va. Première constatation: ça n'est pas très beau. Mais on a vu pire, surtout sur gameboy. C'est aussi très mal animé, on a l'impression que le perso glisse sur le sol et défie la gravité. Je sais bien que Jonathan a été incarné par Keanu Reeves au cinéma, mais c'est pas une raison. Allons, passons outre.
On saute, on détruit des blocs, on récupère des coeurs et des armes à lancer, et on shoote les ennemis avec. Quand on tombe à cours de munitions Jonathan dégaine son coutelas et il va au contact. De la plateforme archi-classique donc. Jusque là, Tout va bien. On y croit, on ne lâche rien, on est à fond derrière Jonathan. Permier boss, risible. On continue, on arrive au pied du château, on ne doute pas, on entre. Après tout, il y a peut-être la Belluci à l'intérieur.
Et là, c'est le drame. La musique. Ce n'est pas qu'elle soit spécialement laide, non, ce n'est pas ça. Seulement, Sony n'avait plus de sous quand ils en sont venus à la bande-son, alors ils sont descendus dans la rue et ils ont ramassé le joueur d'orgue de barbarie du trottoir d'en face. Cette musique rend fou. Quand vous recommencerez le niveau pour la dixième fois, et que la mélodie reprendra, vous aurez vraiment l'impression qu'il y a à côté de vous un clochard maniaque à l'oeil torve, en train de tourner la manivelle de son instrument du Malin en riant comme un dément. C'est bien simple, quinze ans plus tard, j'ai encore des spasmes lorsque je croise un de ces déviants dans la rue.
Donc, on coupe le son, et on continue. Je vous rappelle que Jonathan est anglais et qu'il est équipé de ce qu'on appelle le flegme britannique, et c'est pas une musique de saltimbanque qui va l'empêcher de tirer son coup.
Deuxième constat: c'est sombre et c'est moche. Les sprites se confondent avec l'arrière-plan, c'est carrément pas clair. Et je ne parle pas des leviers à baisser pour activer des machins, qui doivent différer de deux pixels avec le mur qui les entourent. Génial. Mais ce n'est pas le pire. Ca rame. Et pas qu'un peu hein, rien à voir avec les petites ramouilles sympathiques de Duck Tales. Ici, ça rame même quand il n'y a rien à l'écran. Et quand il y a plus d'un ennemi, alors là c'est soirée cinéma chez les frères Lumière.
Et là, Jonathan commence à sentir la peur monter en lui. Cette peur moite, poisseuse, qui s'infiltre insidieusement au plus profond de votre être, juste avant de vous faire rendre le manger de midi. Bref, le doute commence sérieusement à s'installer en nous. D'autant que le jeu est sacrément chafouin: on passe son temps à crever sur des piques qu'on avait pas vu, sur des fantômes qui sont apparus à trois pixels de nous, sur des chauve-souris qui n'étaient pas là une seconde auparavant. C'est même pas que c'est dur, c'est que c'est chiant.
On arrive au deuxième boss. Un gros mec barbu, à poil, qui lance des boules de feu. Genre bûcheron en goguette. Là, on se dit qu'il est peut-être encore temps de rebrousser chemin avant d'être perdu aux yeux de l'humanité. Mais Jonathan ne l'entend pas de cette oreille, il n'a pas envie de rentrer dormir une nouvelle fois sur la béquille, et on peut le comprendre. On ne va pas le laisser tomber comme ça, on fait équipe, on joue collectif bordel ! Heureusement pour nous, le deuxième boss est aussi facile que le premier. Alors on l'envoie au paradis des bûcherons et on attend la suite, inquiets.
Et là, pas de bol, le jeu est fini. Bin oui ducon, c'était le niveau facile, et comme les développeurs n'ont pas voulu se faire chier à régler des choses complexes comme le nombre d'ennemis ou la quantité de dommages qu'il font, ils ont eu une idée de génie: on arrête le niveau facile au premier tiers du jeu. Redoutable, il suffisait d'y penser.
Arrivé à ce stade, ma première idée serait d'éteindre la console et de laisser Jonathan se démerder, après tout ce n'est pas de ma faute si il a une sexualité exotique. Mais voilà, ce serait trahir ta confiance, cher ami lecteur, que de renoncer devant si peu. J'ai donc recommencé le jeu au niveau difficile, pour voir. Hé bien les stages suivants sont toujours aussi piégeux (ah ah, la plateforme qui descend dans l'eau puis qui remonte pour vous faire visiter les joints du plafond, les pieux qui sortent du sol juste après un saut millimétré, on ne s'y attendait pas), et les boss sont toujours aussi nuls. Par contre, cette épave de Jonathan finit par sauver Mina et, évidemment, la baiser, comme quoi la vie est injuste.
En conclusion, Bram Stoker's Dracula est un jeu à licence médiocre et méprisable, laid et mal réalisé, dont on ne se souviendra que par sa bande-son diabolique, probablement interdite par la Convention de Genève. Et si ce n'est pas le cas, nous faisons face à un vide juridique terrifiant.