Je ne sais pas pour vous, mais je me suis déjà demandé quel était le processus de création d’un nouveau héros de jeu-vidéo. Pour la NES par exemple, suffit-il qu’un VRP de la NES Corporation rende visite à une famille afin de leur faire signer un contrat intéressant ? Ca pourrait être sympa de savoir que le jeune Link était tout tremblant au moment d’apposer sa signature sur le papier, garantissant l’acquisition d’une 205 GTI pour remplacer la vieille roulote de sa Zelda.
Mais curieusement, je ne pense pas que cela fonctionne de la sorte. Et c’est justement pour éviter de telles questions embarrassantes que l’on a créé le recyclage.
Le recyclage. Prenez un héros quelconque mais déjà connu. Dessin-animé, cinéma, céréales, on s’en fout, tant qu’il plait il pourra toujours marcher (la preuve, prenez le
Captain Planet. Ah non, mauvais exemple) et collez-le dans un jeu-vidéo tout beau tout neuf. Succès garanti à échelle de réputation de votre bonhomme : les caisses sont pleines et le développeur peut sentir la douce brise des plages des Bahamas bordées de cocotiers aux côtés de votre mère. Car le succès amène toujours la reconnaissance, bien entendu.
Et ne me parlez pas de la qualité, tant que le nom est vendeur on s’en fout un peu (systématiquement pour aujourd'hui, mais c’est une autre histoire). Le principal est bien là, un obscur jeu titré Kirby ne pourra pas faire le poids face à cet illustre Felix the Cat aux yeux de la mère de famille mal informée. Voilà comment on se retrouve avec un truc non souhaité dans sa console.
Néanmoins, je ne bouderai pas. Déjà, parce que recevoir un jeu, quel qu’il soit, reste un moment rare, mais aussi parce que sa boite est fort sympathique, proposant des slogans chocs « Vu à la télé » (ah bon ?), « Prix Ludi Games 1993 » et des illustrations chatoyantes. Ce serait bien l’occasion d’en connaitre plus sur la star indécente des années 20, avec la même émotion que si j’avais eu entre les mains le jeu-vidéo de Placid et Muzo ou de Dicentim le petit franc.
Et le poids des années n’aidant pas, il est toujours bon de se rafraichir la mémoire et se rappeler d’une bonne tranche de jeunesse insouciante oubliée. NESPas, c’est pour toi que je dépoussière ces quelques souvenirs qui me rappellent, à chaque fois que je vois ce jeu au fond du tiroir, qu’il est plutôt bof bof.
Ce qui est magnifique avec ces vagues souvenirs, c’est qu’ils sont souvent éloignés de la réalité. Comme par exemple la petite mignonne au sourire charmeur du fond de la classe qui se révèle finalement être devenue toute boulotte, moche et rousse de surcroit. Ah ça, il fallait réfléchir deux fois avant de la recontacter sur Facebook pour lui proposer d’aller prendre un café : vous serrerez peut-être ce soir, mais vous le regretterez. Ne cherchez pas à fuir du regard, il est inutile de cacher ce que vous avez fait, affrontez la réalité.
Eh bien pour Felix, c’est pareil.
Je lance donc le jeu. Son écran titre se profile : sobre, simple et sans grand-chose à en retenir si ce n’est qu’il permet de visualiser un certain hi-score particulièrement énigmatique puisqu’il sera toujours le même. Quel intérêt me demanderez-vous, eh bien je vous répondrai que je n’en sais rien. Peut-être était-ce là un subtil complot mené par les amnésiques de France, destiné à tous nous rendre fous dans une tentative de renversement du pouvoir, mais c’était avant d’oublier le plan. Ou pas.
Bref. L’écran titre est là, Felix sort de son sac et propose de le suivre par un simple « Push start button », sans rien de plus. Et c’est en validant cette invitation que se dévoile l’intrigue shakespearienne du jeu.
Felix est installé confortablement dans son salon napoléonien, portant une simple robe de chambre en flanelle et fumant sa pipe tout en lisant les nouvelles du monde. Soudain, ce huis-clos prend une dimension tragique, lorsque le téléphone massif se met à sonner : à l’autre bout du monde, le Professeur, son plus vieil ennemi, menace l’humanité entière d’un grand cataclysme si Felix n’accepte pas de se soumettre à ses ordres. Furieux, le chat facétieux interpelle son jeune assistant et l’emmène au volant de sa berline pour traquer l’odieux personnage.
Sympa, non ? Mais voilà, on est sur NES et il faudra se contenter d’un Felix tombé du pieu dans son intérieur couleur citrouille, avec un Professeur qui a enlevé sa copine et qui ne la lui rendra qu'en échange de son sac à main. Le scénario de ceux chez qui l’inspiration vient à manquer.
Je sens déjà que vous vous êtes arrêté sur le sac à main. Oui, la clé du jeu est bien un sac à main et c’est à lui que Felix devra tous ses pouvoirs. Un sac à main, oui, mais un sac à main magique. Felix est Gérard Majax.
…
Revenez. Cédez à la tentation de fermer cette page. Car aussi incongru cela puisse paraitre, cet objet insolite est le dépositaire du gameplay du jeu. Non, Felix n’aura pas à y fourrer sa main pour en sortir moult objets, c’est plutôt l’apanage de votre maman. En revanche le sac lui permettra d’obtenir plusieurs pouvoirs différents, facilitant la progression dans un univers pourtant déjà très simple.
Nous retrouvons Felix dans un monde verdoyant et enchanteur, aux teintes pastel, aux blocs rigolards et aux ennemis mignons. Premier constat, Felix bouge bien, il ne souffre pas d’une hypertrophie quelconque et ne se traine pas lamentablement la patte dès qu’il lui est demandé de faire un saut : en un mot, il n’a pas de balai dans le cul. Au contraire, il bouge bien, trop bien même puisque ses déplacements sont presque révélateurs d’une prise de LSD massive. Vu qu’il est assez svelte et rapide, son inertie est assez particulière, ce qui le place aux antipodes d’un Castlevania par exemple. Ici, pas question de sauts au millimètre, mais à force de vouloir jouer au cabri on finit par se manger violemment un obstacle impromptu. Ce qui est le cas ici, avec le tout premier adversaire rencontré. Et voilà, vous êtes mort, comme le petit chaton tout joyeux à l’idée de découvrir pour la première fois le monde extérieur, le proprio de la voiture sera bon pour refaire sa peinture.
Mais c’est bien connu, un chat a plusieurs vies. Et c’est généralement avec beaucoup de vies que vous terminerez les niveaux tant le jeu est simple : en étant assez attentif (et donc sans se laisser griser par la vitesse féline) vous vous en tirerez sans mal. A côté de ça il y a pas mal de similitudes avec un Mario puisqu’une vie sera offerte toutes les 100 pièces ramassées et que chaque contact avec un ennemi fera soit baisser le pouvoir d’un niveau, soit perdre une vie s’il est au plus bas.
Les fameux pouvoirs s’obtiennent aussi en traquant les pièces et sont différents selon le niveau : au commencement Felix pourra passer d’un gant de boxe à un tank, mais dans un niveau aérien il obtiendra une montgolfière ou un avion. Et vu que la plupart des niveaux sont thématiques, on arrive à un petit nombre de possibilités différentes. Les échelons de pouvoir régressent à chaque contact, mais aussi lorsque leur compteur de cœurs arrive à zéro. Pour éviter cela il faut obtenir des bouteilles de lait en obtenant des pièces, ce qui rompt le début de monotonie du jeu. Et c’est là toute la malice de la chose, car il faudra doser le rythme de collecte pour ne jamais tomber à cours de carburant, comme le dit très bien votre maman (encore elle).
Bilan, tout s’enchaine avec plaisir. Ah ah, vous vous attendiez certainement à ce que je fasse une comparaison douteuse sur votre mère, mais je ne suis pas de ce bois, je ne tombe pas dans les bras du premier venu avec facilité. Comme votre sœur.
Et pour donner encore plus de crédit au titre, les niveaux se déroulent dans une petite ambiance musicale guillerette, un brin répétitive mais jamais trop lassante. A l’image du jeu en fait. Tous les signes éventuels d’ennui se font balayer par des petites coupures, que ce soit un combat contre un boss ou un niveau typé shoot’em-up. Les niveaux défilent les uns après les autres et leur grand nombre révèle finalement un petit point faible du titre : l’absence de mot de passe. Mais vu qu’il n’est pas farouche on lui pardonnera assez vite cette faute de gout.
Plus j’y repense et plus je me rends compte que ce jeu est vraiment bien foutu sur de nombreux points. La construction des niveaux a beau être simple (partir d’un point A pour rejoindre un point B), leur longueur relative et les quelques warp zones (qui conduisent à un autre coin du même niveau) ou bonus cachés donnent envie de les explorer à fond plutôt que de tracer tout droit. Franchement, tout le monde peut y trouver son compte : tandis que les débutants seront ravis de pouvoir enfin terminer un jeu, les joueurs aguerris aux champs de bataille s’amuseront aussi en inspectant chaque recoin de A à Z tout en lustrant les ennemis rencontrés en un temps record.
Felix, le petit jeu sympa que l’on appréciera, égayant l’après-midi accompagné d’un paquet de Bamboula et un diabolo grenadine à la main. Et ça, c’est bien.