Pro Wrestling est l’un des tout premiers jeux de la NES et sa date de sortie fait rêver : 21 octobre 1986 au Japon soit 10 jours exactement après mon 6 ème anniversaire (il s’agira très probablement d’un test égocentrique). Il ne sera adapté que plus tard aux Etats-Unis, en mars 87 pour être exact.
La pochette est sobre, kitch au possible et laisse entrevoir l’une des prises les plus familières du jeu, mais nous aurons l’occasion d’en reparler. L’écran d’introduction est un classique du genre, propre à cette génération pionnière que fut celle des premières années de la console phare de Nintendo : c’est d’une laideur toute fascinante et la musique semble décrire très justement cette absence de vie par un rythme saccadé parfaitement hideux lui aussi.
Pourtant, je me vois déjà monter les marches d’un ring survolté, grisé par les hurlements d’une foule qui n’a de cesse de scander mon nom… Ah ça ! « mon nom » est un palindrome. On en découvre tous les jours. Mais où en étais-je ? Ah oui, foule en délire, blablabla.
Pour tout vous dire, je ne suis dès lors que devant un écran miteux dans une chambre mal rangée, avec pour seul support auquel m’identifier un ramassis maussade de pixels avachis les uns à côté des autres comme une famille roumaine à l’heure de la soupe et tout cela est bien triste. Mais comme tout nostalgique, j’ai une imagination sans faille et c’est ce qui me donne chaque jour cet espoir fou d’être le seul humain à survivre lorsque le monde ne sera plus qu’un vaste désert.
Je suis un catcheur. Je dois sauver le monde de l’infamie, infamie incarnée par des concurrents tous plus sournois les uns que les autres et qui aspirent eux aussi à devenir des stars incontestées de ce monde féerique qu’est le catch professionnel.
Tout d’abord, trouver un nom honorable parmi ceux que le jeu propose : Fighter Hayabusa, Star Man, Kin Corn Karn, Giant Panther, The Amazon et enfin la mirifique incarnation américaine du jeu : King Splender.
Je dois avouer avoir tutoyé les limites de mon imagination susnommée à l’évocation de ces pseudonymes malheureux. Si je ne puis expliquer par quel mystère des noms aussi pourris sont sortis de l’imaginaire de traducteurs névrosés, je puis subodorer que Kin Corn Karn a hérité d’un C majuscule devant la deuxième partie son nom afin d’éviter des initiales douteuses. Mais ça s’arrête là. Ils font tous aussi quasiment la même taille, peut-être pour que la taille du sprite n’influence pas votre choix.
Je poursuis donc et, faisant défiler de gauche à droite les quelques combattants du jeu, mon regard est happé par le charismatique Giant Panther, un homme d’une ethnie qui m’est inconnue au vu de son teint orangé et de sa chevelure jaunâtre, mais dont la force de caractère et le pouce levé ne peuvent me laisser indifférent : j’ai branché ce jeu avec une âme de gagnant. Vous allez me dire que lui aussi est américain, mais je n’en crois pas un mot. C’est juste qu’il fallait en mettre deux dans la cartouche pour ne pas vexer les créateurs de ce sport élégant et fin. Et c’est aussi pour cette raison que les concepteurs Japonais ont attribué la nationalité mexicaine à un homme sans visage (Star Man) histoire de donner du punch à certaines rencontres.
Fébrilement, je lance donc la partie et, sans aucune introduction, me retrouve directement face à un CPU enragé, jeu de 1986 oblige. Les premiers pas sont difficiles : j’ai la vague impression que le B pour donner un poing et le A pour asséner un splendide coup de pied retourné seront les seules options valables. Mais il n’en est rien. Je remarque très vite un détail passionnant et fort utile : dès que les deux opposants se rencontrent sans trop d’agressivité, ils s’empoignent en se regardant dans le blanc du pixel oculaire.
C’est alors le moment d’innover : associez une direction avec B et vous aurez droit à une superbe prise des familles, mais n’oubliez pas d’être rapide !
Les animations sont alors dignes d’un épisode TV de Dragon Ball Z : la décomposition des mouvements subit un rétro effet matrix (ces cons n’ont rien inventé) et c’est en trois phases au maximum que vous pourrez contempler votre œuvre. Parfois le public vous suivra dans vos délires et acclamera votre cruauté : vous vous sentirez peu à peu entrer dans la légende, au rythme saccadé de vos ruades neurasthéniques ponctuées de hennissements collectifs.
Et après avoir mis une bonne bourre à l’enfant des favelas qui vous fait face, un son plus ou moins prononcé vous avertira de son état de santé, afin de vous permettre de juger s’il est temps ou non de l’immobiliser au sol par un splendide touché de bouton A, félin s’il en est (je vous rappelle que je joue avec Giant Panther).
Ah ah, c’est ce que je fais mais l’adversaire se relève, je n’ai pas cogné assez fort. Par un mécanisme qui m’échappe, je parviens à envoyer ce chien d’Irlandais dans les cordes, m’amusant à le regarder courir dans ma direction, tel un épagneul dans la pub Royal Canin.
Malheureusement, aucune action n’est automatique et notre rencontre fait figure de péplum comico-tragique, que la foule souligne aussitôt d’un silence édifiant pour mon amour propre : notre collision nous a mis tous deux à terre et l’arbitre de se gratter les couilles en signe de mépris.
Vexé, je relance la manœuvre : splendide ! Je parviens à lui coller une cravate en pleine tronche et le mouvement est marqué par un ralenti imperceptible : jouissif. Pensant avoir fait le plus dur, je m’attache à nouveau à maîtriser cette petite catin de Bangkok qui a osé me défier. Je remarque ENFIN que l’arbitre fait entièrement partie du jeu et qu’il suit tous nos mouvements avec une précision hors norme. En un éclair le voilà accroupi à décompter les précieuses secondes annonciatrices de victoire. L’effet sonore est prodigieux : on entend réellement l’arbitre compter « ONE »…. « TWO »…. et merde l’autre buse se relève.
Je le cogne mais il n’y à rien à faire. Je n’arrive pas à l’immobiliser. C’est alors que me vient une idée faramineuse : projeter ce ramassis de déjection canine HORS DU RING. Histoire que son humiliation soit complète et qu’il recueille avec bonheur les crachats d’une foule toute acquise à ma cause. Je tente donc une prise retournée aux abords des filets et…. ça marche ! Ce jeu est un rêve que je joue éveillé.
Epoustouflé par la nouvelle coiffure de la pucelle encroûtée qui me sert de challenger, je n’ai pas la judicieuse idée de le suivre. Je pensais très franchement l’avoir achevé mais il s’est relevé et m’a rejoint avant les 20 secondes fatidiques à son élimination.
Cette fois c’est décidé, je mets le paquet. Je le colle contre un angle et lui ruine sa face de belette par des coups de poing successifs et rageurs. Il s’effondre. Mais cette fois-ci, je ne ferai pas l’erreur de le laisser se relever. Je monte sur le rebord et effectue un saut de l’ange de toute beauté, pour enfin atterrir sur sa dépouille et broyer des parties sensibles (dont mon adversaire n’a bien évidemment aucune utilité tant il est laid) par la seule force de mes genoux soigneusement repliés.
Il est grand temps d’abréger ses souffrances. J’appuie d’un geste rapide sur A et le voilà piégé. L’arbitre compte, dans un anglais impeccable : 1,2…..3 !!! VICTOIRE !!!
Ca y est à moi la gloire. Bon, je m’achète quoi demain ? Une Porsche, un avion ?
Vous l’aurez compris, ce jeu est comme tout jeu de catch : bourrin, jouissif et fun. Et à 2 ce sera encore plus le pied, puisque les parties seront ponctuées de beuglements et d’injures. Alors bien sûr ce jeu est ancien et ses graphismes puent l’anchois, mais il a des qualités fantastiques, notamment certains effets sonores plus vrais que nature, une palette de coups honorable et surtout des détails plaisants comme le hors ring ou la possibilité de jeter son adversaire aux cordes, ou encore de lui sauter dessus à partir d’un coin de ring. Tout ça réunit et vous avez en face de vous LE jeu qui a inspiré tous les opus de catch qui ont suivi. Cette cartouche est le commencement d’une longue histoire, et comme toute pionnière, elle mérite notre respect.
Astuce : devenez champion du monde et gagnez dix matchs de plus afin de défendre votre titre. Votre match suivant vous opposera à The Great Puma ! Bonne chance...