Chrome rutilant de sa structure. Chaleur des flammes et des gaz en fusion de ses réacteurs. Puissance de son moteur, trois modules de cœur delta. Le vaisseau oblong, fruit du travail de l'élite des préparateurs de la galaxie, filait au travers des corps spatiaux avec une fluidité et une aisance propres aux peuples des contrées lointaines des tréfonds du Grand Attracteur, pour se rapprocher de la base spatiale de frontière.
Cela faisait cinq jours et six nuits que le pilote d'élite errait à la recherche de ce point précis, aux limites de Proxima du Centaure. Il avait enclenché les procédures d'atterrissage, non sans s'être fait reconnaître par l'opérateur officiant sur ce bout de métal statique, relique de la conquête spatiale. Ce qui fut autrefois des points d'ancrage symbolisant la percée technique humaine n'étaient aujourd'hui guère plus que des postes douaniers sans envergure, tout juste bons à assurer le ravitaillement en énergie des moteurs voraces des plus grosses embarcations vouées au transport des voyageurs. Lui n'était pas là pour çà.
« Il était temps que vous arriviez mon vieux, encore une heure et je terminais mon service. Vous auriez dû attendre là haut pour la nuit qu'un collègue vienne prendre la relève au petit jour ! »
A peine posé le pied au sol que le mécanicien prédisposé au relais du Système solaire tançait le pilote au sujet d'un prétendu retard. Ah, il voulait bien les voir ces types ! A force rester le cul vissé sur une chaise à l'arrière d'un bureau, ils n'ont pas dû croiser l'espace depuis belle lurette se dit-it. Mais il n'avait que faire des remarques de ce pauvre type, son escale serait de brève durée et aurait été inexistante si sa hiérarchie ne le lui avait pas demandé expressément. Sans plus attendre, il demanda au technicien de le conduire à l'objet de sa visite.
« Eh ben vous, vous n'êtes pas ponctuel mais vous ne perdez pas de temps. Suivez-moi ».
Le responsable de la station orbitale conduisit son visiteur au travers d'un couloir aux limites du délabrement. Tout en essuyant ses mains enduites de cambouis à l'aide d'un chiffon dont la propreté laisserait pourtant à désirer, il le renseigna sur ce qu'il allait rencontrer.
« Le contrôle galactique a mis du temps avant de vous faire venir, ça commençait à devenir urgent. Vous savez, une telle pièce doit rester exploitable surtout pour ce qu'elle représente. Rendez-vous compte ! Elle est là depuis si longtemps maintenant, pourtant toujours en état de fonctionnement. Peu de monde l'emprunte encore aujourd'hui, mais la ligne fonctionne toujours. Tenez, la voici. »
Une housse bleue tomba au sol, laissant apparaître un vaisseau antique. Ou plutôt rustique ? De telles constructions ne se font plus, surtout un modèle monoplace comme celui-ci, mais surtout...
« Et le voici, monté sur rails ! Le modèle Gyruss de 1989, toujours aussi impeccable, une merveille. On n'en pas pas fait beaucoup comme ça, mais pour traverser le Système solaire, c'est ce qui se fait de mieux. C'est la première fois que vous en voyez un, n'est-ce pas ? »
Mentir n'aurait servi à rien. Le jeune loup des services de contrôle regardait cette carlingue comme s'il s'agissait d'un amas de métal sans intérêt. Après tout, s'il était là, c'était surtout pour renvoyer cette antiquité à la casse et faire fermer la ligne, une bonne fois pour toutes. Un vaisseau sur rails, quelle hypocrisie... Nul de sa génération n'aurait besoin d'un tel subterfuge pour filer à travers les planètes, ce vestige d'un autre temps n'avait plus raison d'être. Ouvrant le capot latéral, il s'engouffra dans le poste de commandes, prêt à terminer sa mission au plus tôt.
« Vous m'avez l'air bien décidé dites-moi ! Bon, je vous présente rapidement les spécificités du parcours. Vous avez l'habitude des traversées libres, laissant toute latitude aux champs et aux déviations, ici on n'a pas du tout la même méthode. Le vaisseau est monté sur rails, eux mêmes fermement ancrés sur le tube que vous voyez au bout de la piste. Ce tube, c'est votre trajectoire jusqu'au Soleil, ne pensez pas en dévier ! Tout au plus, le vaisseau va glisser le long de la paroi en tournant, mais n'imaginez pas autre chose. En clair, vous vous déplacerez toujours sur le même axe circulaire, à droite ou à gauche, c'est tout.
Le circuit reste semé d'embûches, aujourd'hui encore. Des vaisseaux ennemis et des météores rodent. Le vaisseau est fragile, au moindre contact c'est BOUM, compris ? 'fin bon, vous disposez de quelques tentatives avant d'être renvoyé ici. Donc pour parvenir jusqu'au Soleil, ça va pas être facile, pas de point d'étape, rien. Je peux vous aider si vous voulez, il existe un code qui... »
Le pilote coupa son interlocuteur d'un geste dédaigneux de la main. Tricher ? Peuh. Ce n'était pas un monde qui les séparait, mais une galaxie entière. Cette mission l'indisposait déjà, il n'avait nulle raison de se couvrir de ridicule en choisissant une option de facilité. En lieu et place, il demanda expressément quel était le protocole de démarrage.
« Très bien, très bien, comme vous voudrez ! Bon d'abord, je vous préviens, les vaisseaux vont parvenir de derrière vous par ribambelles. A ce moment là, ils seront inoffensifs, c'est là qu'il faudra les dézinguer le plus possible. Traînez pas trop, après ils filent vers un point central et vont revenir vers vous. S'ils vous touchent, BOUM. S'ils vous tirent dessus, BOUM. J'vous fais pas de dessin. Ce n'est pas forcément compliqué mais avec le nombre ça peut devenir coton, surtout qu'avec ces rails, l'esquive est limitée. Donc n'hésitez pas, tirez-les comme des canards, même quand ils sont dans le centre ! Les canons du vaisseau sont orientés vers ce point, quelque soit votre position les tirs iront toujours dans la même direction. Nettoyez tout ce que vous voyez afin de passer à l'étape suivante.
Trois étapes par planète. Toujours. La troisième est protégée par un gardien, vous allez voir, le premier à Neptune, il est très simple. Par contre dès Pluton, vous allez pleurer si vous ne savez pas comment vous y prendre. Après chaque gardien vaincu, vous avez un tronçon bonus pour reprendre des crédits supplémentaires ou refaire le plein d'armement. Et n'hésitez pas à utiliser les super bombes en cas de pépin hein, y'en a une réserve limitée faites gaffe. Bon maintenant, je vous lance la séquence de départ.
Ah ah, cette musique de démarrage, vous connaissez ? Toccata et fugue, Bach. Revisité, mais y'a pas de mal à se faire du bien hein ? Bah, encore une antiquité pour vous, mais vous allez voir, sur le circuit c'est moins racé, mais la borne stéréo va vous mettre dans l'ambiance. On reconnaît bien là la patte du fabricant, croyez-moi, du bon Konami ! Ah, la conquête spatiale, ça me fait toujours un petit quelque chose, j'aurais du mal à m'en dispenser... Soyez prudent, quand même. »
Le capot se referma tandis que le technicien de la station reculait. Les feux des réacteurs s'allumèrent et, dans un vacarme assourdissant, le Gyruss 1989 glissa le long du tube en un instant. La structure vibrait avec puissance, menaçant de s'effondrer, mais le gardien local n'en semblait pas pour autant soucieux. Il sortit un cigare de sa poche, l'alluma et expira une grosse fumée en frottant à nouveau ses mains dans le chiffon sale. Et il se retourna sans esquisser la moindre inquiétude et encore moins de surprise quand, quelques minutes plus tard, le Gyruss 1989 fit sa réapparition en reculant tel un wagon de fête foraine revenu à son point de départ. Le capot se releva, laissant apparaître le visage hagard de son pilote.
« Ah la vache, c'est galère votre truc là ! Vous... vous m'aviez parlé d'un code... »
Un léger sourire de satisfaction se dessina sur le visage du technicien. Il s'approcha du poste de pilotage et indiqua la marche à suivre. « Au démarrage, vous faites A, B, puis droite-gauche deux fois et bas-bas haut-haut. Avec ça vous partez avec trente crédits, c'est pas du luxe croyez-moi ! Vous êtes arrivés où ? »
« Trente chances d'arriver au bout, autant donner le certificat de réussite... C'est une plaisanterie ? Croyez-moi, j'en finis avec ce tronçon de votre coin reculé, puis je rentre rendre mon rapport au bureau central. D'ici deux semaines, vous allez recevoir une équipe pour le démantèlement de la station, ce tube, votre Gyruss, de l'histoire ancienne. Voilà ! Maintenant je vais détruire ce deuxième gardien, il m'a ridiculisé une fois, pas deux. Et ces environnements, toujours les mêmes, quelle monotonie ! Où est le charme du voyage et la variété des paysages... Saleté de vieillerie, antiquité! »
Le capot se referma à nouveau et le vaisseau disparut au loin. Monotone ?, se demanda le gardien à haute voix. Encore un qui n'a rien compris. Le tracé est rectiligne, oui, mais chaque planète possède son identité propre, les vaisseaux adverses n'ont pas les mêmes trajectoires, les ennemis et obstacles sont différents selon la zone parcourue. Que ce soit les premiers croiseurs rencontrés, faciles à éliminer, ou les poseurs de bombes de Vénus (quelles plaies !) et ces nautiles flottants, tout demande son temps d’adaptation, son observation. C'est moins conventionnel que les trajets communs, ça ne le rend pas plus facile. Au contraire ! Et les combats face aux gardiens, les boss comme on les appelle dans le jargon, des affrontements mémorables ! Ce n'est pas en deux pauvres tentatives qu'on va jusqu'au bout, non, même avec le code les vies s'effilochent ! On pourrait déplorer les clignotements conséquents et les légers ralentissements lorsque les hordes ennemies s'accumulent frénétiquement, mais l'action reste fluide malgré tout. Ce circuit est de ceux qui se découvrent, qui se livrent avec l'expérience. Une bien belle aventure en somme.
Il attendit plus longtemps qu'à la première tentative, sans amertume. Et lorsqu'il vit revenir l'embarcation, seule sans passager dans la capsule de pilotage, le technicien se fut pas surpris. Il se contenta de couper les moteurs, puis reposa la lourde housse sur le capot de l'appareil. Jusqu'où était-il parvenu ? Cela n'avait pas trop d'importance après tout. Seule comptait la certitude que ce circuit, un tronçon unique dans le secteur, resterait en activé. Un autre agent de contrôle viendrait bien un jour, un de plus. Pas de quoi faire trembler la structure, certes rouillée mais toujours fidèle au poste, assurément. Devant l'immensité de l'espace et le temps qui passe, Gyruss et son tube resteraient en place, fièrement, à attendre qu'un challenger soit assez vaillant pour le comprendre et le conduise jusqu'au bout de son aventure.
Bonus stage !
Ce jeu est tellement dans l'esprit que je lui colle une petite section spéciale, comme dans les bonnes vieilles critiques du site des âges farouches.
Tout d'abord, le code pour démarrer avec trente vies. Oui il est marqué dans la critique, mais au diable à l'avarice. Il n'y a pas de honte à en abuser, croyez-moi.
A l'écran de sélection (avant que la cinématique ne se lance), faire A, B, droite, gauche, droite, gauche, bas, bas, haut, haut.
Et maintenant ? Le jeu est ici présenté dans la version américaine, support cartouche. Au Japon, il était sorti sous format disquette FDS. C'est bien beau mais qu'est-ce que ça change ? Eh bien tout d'abord, l'écran titre a été retouché outre-Atlantique :
Au rayon du "on fait des petites économies comme on peut", les noms des planètes à la fin de chaque zone ont été retirés de la version japonaise, tout comme l'intitulé "solar system" sur le panorama du système solaire. Ca ne sert à rien, tout comme le défilement sur plusieurs niveaux des étoiles sur le même panorama. Bon là, nous sommes sur une image fixe, pour le mouvement on repassera : regardez donc le nombre d'étoiles affichées, ça illustre bien la chose.
Quelques modifications de sprites sont également au programme : que ce soit au niveau des projectiles de certains boss (de simples boules sphériques sur cartouche, des projectiles en croix sur disquette), ou même le Soleil lui-même qui perd sa couronne.
Mais surtout, le jeu se termine sur une petite animation du soleil qui change de couleur, laisse un petit mot clasique du "bravo mec tu as bien joué, rentre chez toi maintenant" puis reboucle sur le premier niveau chez nos amis ricains. La version FDS, quant à elle, dispose d'une vraie séquence de fin qui a sans doute été sabordée pour un gain de place : le vaisseau se carapate et rentre à son bercail, laissant son pilote agiter son bras tout heureux qu'il est. Est-ce la fierté d'avoir sauvé l'espace ou la perspective de recevoir une gâterie cosmique le soir même qui le rend si jovial ? Le mystère reste entier.
C'est d'un vexant...