La vie est une vieille amante capricieuse. Un matin elle vous expulse de sa couche sans ménagement ; le soir elle vous tend la fesse, le sourire en coin. Certains jours gris c'est salsifis et vinaigrette rance tandis que d'autres m'offrent blinis et tarama. Et ces blinis prennent parfois la forme d'une bonne trouvaille dans un morne recoin de vitrine d'un dealer d'occasion tout aussi morne. J'arrête de suite avec les analogies culinaires, ça me donne faim et c'est idiot.
On parle de bonne surprise donc. You said it bouffi. Je ne savais rien de ce que renfermait cette gangue de plastique polie par les ans lorsque je fit tinter un trio d'euros dans les mains grasses du dealer d'occasion susnommé. L'aventure. La moiteur du souffle des promesses de l'inconnu. La paléontologie du pixel. Une sorte d'Howard Carter devant le tombeau de Toutankhamon, les risques de mort par malaria en moins. Bref, je gratte, creuse et époussette en entretenant le fluet espoir d'exhumer un joyau précieux, à défaut une babiole à revendre au marché noir. Métaphoriquement parlant. Et le moins que je puisse dire dans le cas présent, c'est que je ne regrette pas d'avoir dépensé l'équivalent d'un pack de bière de table. Foutre non. Car ce que j'ai arraché de la vitrine des marchands du temple, c'est Hagane. Hagane, c'est un peu celui qui a manqué la sortie de la nationale du tout venant vers l'autoroute de la gloire. Et pourtant, tout était là pour cuisiner la recette d'un succès. Décortiquons un peu tout ceci.
Japon, époque incertaine. Probablement un de ces vagues futurs hypothétiques, purs prétextes à des cabrioles scénaristiques et pirouettes visuelles. Parfait. On aime ça, on en redemande en claquant des mains. Ici, c'est plus précisément un mélange d'inspiration vaguement technologico-médiévale dont il est question. Des robots au milieux des pagodes. J'aime. Un peu comme un garde suisse dans un Apple Store mais en moins grotesque et surtout plus utile. Mon samouraï chez les cyborgs si vous voulez. Admettons. Je hume un léger fumet de Shinobi mais n'en disons pas trop pour le moment.
Introduction. Éclairs, cris et fumée. Il semble s'en passer de belles. Des balles sifflent, des bâtisses s'embrasent et le dollar baisse. Le chaos gonfle et la tyrannie guette. Les tambours des plus hautes montagnes en appellent au héros, celui qui ne fléchira pas sous la lame et le feu. Ou alors je suis tombé au beau milieu d'un spectacle médiéval du Puy du Fou et je n'ai pas l'air con. Peu importe. Avoir entre les pattes un robot samouraï, voilà ce qui compte en somme. Une espèce de symbiose sur pattes entre la carcasse métallique d'un Probotector (que de grotesques sots se bornent à appeler Contra) et la cagoule d'un Joe Musashi . Shurikens et shrapnel au menu par conséquent. Menu mitonné par un cordon bleu (ou une ceinture noire plutôt) tant on se lèche les babines et ne laisse rien dans l'assiette au final.
Et pourtant, le pari était risqué. Il en va du mélange des références vidéo-ludiques comme celui des alcools fins : si on fait n'importe quoi, ça donne un sale goût dans la bouche et un mal de crâne de premier ordre. Quid alors de notre samouraï à piston ? Y'a bon si vous me passez l'expression. Vous commandez à une splendide machine de guerre, un véritable couteau-suisse du nettoyage par la terre brûlée. Notre bonhomme a dans sa besace de quoi raser le Benelux sans refaire le plein. Grenades, shurikens, fouet électrique, sabre de feu et l'incontournable furie qui aseptise l'écran, n'en jetez plus, c'est presque trop, je bave sur mes mocassins. Et pourtant, ça ne s'arrête pas là, ô bonheur. Le pompon sur le gâteau, ce sont sans aucun doute les attaques au corps à corps dont est capable notre crustacé de tungstène. Celui-ci peut faire des petites pirouettes en avant et en arrière, certes plus pour démontrer ses talents de gymnaste que par réelle utilité. Sauf lorsque combiné avec une attaque au sabre ; vous déchaînez alors la puissance du katana, exponentielle selon le nombre de galipettes accumulées avant d'envoyer la sauce (piquante). Dans les faits vous vous ferez la plupart du temps sottement contrer une fois sur deux, mais eh, l'esthétisme prime parfois sur l'efficience. Surtout lorsque cela permet à un héros d'obtenir définitivement son permis de charisme. Et puis avouez-le, vous aimez faire l'andouille devant tout le monde.
J'évoquais Shinobi quelques lignes plus haut, si si regardez bien ou alors vous ne suivez pas. L'influence de la saga de SEGA -cette laide allitération ne vous sera pas facturée- est indéniable, à plus d'un titre. A commencer par l'univers où s'entremêlent passé et futur mais ça, c'est une évidence pour le premier imbécile ou suisse-allemand venu. En approfondissant un peu, on retrouve également cette passerelle entre technologie et folklore nippon et de sa résultante sur la construction du jeu. A commencer par notre samouraï cracheur de feu. De fait, on est amené à se farcir du cyber-gobelin dans des forêts de bambou, rôtir du démon dans des cités en flammes ou émincer du ninja au sein de pagodes cyclopéennes. Du classique en fin de compte. Mais du classique qui fonctionne : les influences sont distillées avec parcimonie et équilibre, les séquences s'enchaînent avec fluidité et la réalisation de l'ensemble est du Label Rouge, du bonheur par pack de douze.
Shinobi mais pas que. Car la subtilité a ses limites. Ce n'est pas un ninja que vous avez entre les mains mais un robot. Un guerrier conçu pour l'équarrissage sur champ de bataille. Customisé qui plus est. Les petits pas furtifs, les pirouettes d'esquive et les déguisements en lampadaire, ça fait rigoler 5 minutes. Faisons crier canons et chanter arquebuses. Car il y a matière à faire. Au corps à corps ou par shurikens interposés, vous aurez à tailler votre voie au travers d'escouades de sbires -ô sbires- aussi variées qu'hostiles à vos plans de carrière. Avec une frénésie modérée néanmoins, le jeu n'approchant que modérément la difficulté fasciste d'un Contra. Arroser vos vis à vis de plomb fondu ne sera pas d'ailleurs votre unique salut, la construction des niveaux exigera de vous souplesse des genoux et acuité du regard. Comme... comme dans un Shinobi tiens. C'est fou , je retombe sur mon début de paragraphe. [NES Pas ?], l'OuLiPo du pixel.
La fin de cet article pointe le bout de son nez et je n'ai toujours pas de défaut à débusquer dans ce jeu. C'en est presque frustrant. Comme une jeune proie convoitée dans une soirée étudiante et que l'excès de vin et d'herbes de Provence pousse à se jeter dans vos filets sans opposer la moindre forme de résistance. Et pour cause, l'ensemble est de haute tenue. Je parle pour le jeu bien sur. Pour la petite Valérie, c'est une autre histoire -que vous expliquerez au procureur. Graphiquement, c'est impeccable. Certains tableaux un peu ternes (la forêt) étant contrebalancés par des passages frôlant le sublime (l'affrontement dans les cieux ou la simple introduction). C'est propre, fluide, efficacement agencé et d'une difficulté dosée au petit poil -la progression se faisant ardue sur la fin. Histoire d'inscrire tout de même quelque chose au registre des doléances, on lui reprochera dans une certaine mesure un relatif manque d'originalité, la réalisation piochant dans un décorum classique et balisé par les productions du même genre depuis une dizaine d'années. Ceci étant, le jeu arborant l'étendard Hudson, on ne s'étonnera qu'à moitié tant le jeu aurait pu voir le jour sur la fabuleuse console de NEC, c'est dire. Et ne soyons pas bégueules, nous qui achetons notre vodka dans les hard-discounts.
Cette friandise prouve que 18 ans après avoir mis les dessus pour la première fois, la Super Nintendo est encore en mesure de m'offrir de belles surprises. Comme ce titre sorti un peu de nulle part. Heureux soient les ignorants comme disait je ne sais plus qui - probablement Mitterrand en 88. L'ignorant des petits classiques de cette trempe, qui dorment paisiblement dans un coin d'ombre, attendant de faire resurgir la magnificence de l'ère 16 bits au visage d'un enfant titillant la trentaine du bout de l'index. Enfant qui ne risque pas de revêtir le masque du connard en rejoignant les fripouilles du net pour revendre sa trouvaille au poids du lithium. Ah ça non.