J’habite à côté d’un commissariat. Ça n’est pas drôle tous les soirs, surtout ceux où l’on a une soudaine envie de réécouter cette fameuse cassette curieusement étiquetée « mix from hell by MC Bozo - live Indochine 83/Elmer Food Beat » en poussant un peu l’ampli de Papa, pour le fun ; mais cette proximité permet néanmoins de faire quelques études intéressantes. Par exemple : l’uniforme. Souvenez-vous, dans votre jeunesse, cette douce époque où vous aviez des cheveux et où la baguette était à 2 francs, les policiers étaient fin classes, avec petit képi, cravate, et mocassins cirés…
… Aujourd’hui, le flic de faction a un gilet pare-balles beaucoup moins classe que celui de Jack Bauer, un pantalon treillis rentré dans les rangers, et surtout cet immonde blouson trop court et trop large avec un élastique en bas, couramment appelé « bombers du vigile de l’Euromarché de Dammarie-les-Lys ». Je ne parle même pas de la baguette à 90 centimes, qui en plus est dégueulasse (preuve d’une conspiration des boulangers pour vous obliger à acheter leur pain pour bobos aux neuf céréales ; mais je m’égare). Et, si l’on en croit Judge Dredd, ça ne s’arrangera pas dans le futur, puisque les gardiens de la paix s’afficheront dans une combinaison en néoprène ridicule, avec des épaulettes géantes en plastique doré, un casque au design douteux, et une moto qui donnerait la gaule à un CHiPs.
Mais chaque chose en son temps. Judge Dredd, le jeu est adapté de Judge Dredd, le film, lui-même adapté de Judge Dredd, le comic. Oui, ça commence à faire beaucoup, mais attendons un peu avant de juger (ah ! ah ! ah !). Le pitch est le suivant : Mega City One, genre de super mégalopole à la Blade Runner, mais pire, sombre un peu plus chaque jour dans la misère, le crime, la prostitution, le vol à la roulotte et les immigrés clandestins. Ses dirigeants décident donc de se débarrasser de ce concept un peu pompeux qu’est la justice équitable, et ils créent les Juges, magistrats chargés de constater les délits, de prononcer une sentence, et de l’appliquer. C’est là que la fameuse expression de ce comique, qui a malheureusement fini en peinture à l’huile sur le pare-chocs d’un camion, prend tout son sens : « plus y’a de flics autour d’eux, plus les gens ont peur ».
Bref. Le film en question, sorti pendant l’été 95 avec le Stallone des grands jours, s’est ramassé lamentablement, sous les prétextes fallacieux qu’il s’éloignait trop du comic pour être apprécié par les fans, et qu’il était vraiment trop nul pour plaire au grand public. Personnellement je l’adore, car avec ses décors en carton, ses punks drogués, ses voitures carrées et ses répliques qui tchuent (« -Vous plaidez comment ? –Euh, non coupable ? –J’étais sûr que vous diriez ça. »), c’est un vibrant hommage aux séries B de science-fiction des années 80, et c’est déjà beaucoup.
Le jeu, donc. Vu sa lourde hérédité (licence, film de merde, bédé de seconde zone, multi-plateformes, ça finit par se voir, quand même), on pourrait s’attendre à une sombre bouse, c’est bien légitime. Mais curieusement, il n’en est rien, Acclaim a réussi la performance non négligeable de pondre un jeu plus réussi que le film dont il est tiré. Quoique à la réflexion, ils pouvaient difficilement faire pire. Voyons cela plus en détails.
L’histoire suit plus ou moins celle du film. A chaque début de niveau, on reçoit des ordres de Justice Central, avec un objectif principal et un secondaire. La première mission consiste à pacifier le bloc de « Heavenly Haven ». Pour ce faire, on se balade dans des niveaux plateformes assez classiques, et on tire sur tout ce qui enfreint la loi (c’est-à-dire tout le monde). Certains criminels se rendent au bout de quelques balles, ils jettent leur arme, et un gros « GUILTY » clignote au-dessus de leur tête. Deux options s’offrent alors à nous : soit on les arrête, et une petite plateforme volante vient les chercher ; soit, si l’on veut jouer au flic besogneux, on peut les abattre d’une balle dans la nuque, ce qui comporte le double avantage de réduire le taux de récidive à néant, et de ne pas surpeupler les prisons. Bon, j’arrête, je vais finir par donner des idées à des gens (il est à noter tout de même que si vous choisissez la deuxième option, non seulement vous subirez le courroux d’Amnesty International, mais surtout les ennemis ne lâcheront pas leur bonus).
Cependant, la plupart des ennemis ne se laisseront pas faire aussi facilement, soit parce qu’ils ne veulent pas aller ramasser la savonnette pour le gros René dans la torpeur humide des douches collectives, soit tout simplement parce qu’ils ne sont pas humains (on affronte en effet un certain nombre de robots et autres bestiaux). Il ne reste alors d’autre solution que de leur avoiner un chargeur dans leur sale tronche de parasites de la société, parce que merde, c’est eux ou nous. Heureusement, notre flic du futur est équipé du Lawgiver II, pistolet qui peut tirer tout un tas de munitions, comme des grenades incendiaires, des missiles à tête chercheuse, et autre joyeusetés probablement interdites par la convention de Genève. Et il faut bien ça, parce que les bougreux sont sacrément coriaces, et les bonus de soins sont plutôt rares. C’est là qu’on comprend l’intérêt de remplir tous les objectifs secondaires (détruire des caisses de munitions, fermer des portes…) et de ne pas abattre froidement les ennemis désarmés, puisque ça rapporte plus de points, et à terme, plus de vies. A part ça, on rencontre aussi quelques boss, pas impossibles mais assez chiants.
Mais déjà je sens poindre en vous comme une irrépréssible envie de bâiller et de scroller jusqu’au bas de la page. N’hésitez pas à le faire, parce que je vais aborder la partie technique et c’est toujours barbant, un peu comme ces débuts de soirées où l’on se sent obligé de s’intéresser aux conversations des gens, alors que tout ce qui nous importe, c’est le bol de sangria au bout du salon. Bref. Les graphismes sont assez réussis, pas du genre à vous scotcher dans le canap’ avec les cheveux en pétard et la bave aux lèvres comme dans les publicités d’époque, mais jolis, détaillés sans être trop chargés. En revanche, c’est un poil répétitif, puisqu’on alterne entre zones industrielles, immeubles crades, prisons, et l’inévitable chantier avec ses échafaudages (alors ça, je m’interroge, on le retrouve tellement souvent que ça doit être une blague de programmeur, un peu comme comme quand on parie avec un pote qu’on va réussir à placer une photo de Jacques Villeret dans une présentation powerpoint). Les musiques quand à elles sont anecdotiques, on ne s’en souviendra ni en bien ni en mal.
Le verdict est donc le suivant: Judge Dredd est un jeu à licence gentillet, plaisant mais pas indispensable pour autant. Un peu comme votre oncle alcoolique qui raconte toujours les mêmes blagues pendant les repas de famille, il n’a pas inventé le bidon de deux litres, mais c’est toujours sympa qu’il soit là.