Nous connaissons le fils de l'inventeur du Rubik's Cube.
Weaponlord
Namco - 1995
Francisque la lame par Fungus

Extras : Musique - Manuel TXT - Manuel PDF
"Ta mère elle suce Thulsa Doom !"

C'est par cette virulente (et très certainement calomnieuse) apostrophe d'un chef de clan envers un autre que le sang se mit un jour à couler sur des terres froides balayées par le vent du Nord, quelque part dans un lieu oublié de l'histoire des Hommes dans le cimetière des siècles.

Le cri de l'acier répondit à l'écho de celui des hommes, l'honneur se paya du prix de la chair, le grenat des flammes teinta la nuit, les braises dévorèrent des villages entiers que les larmes ne suffirent à éteindre et Kra'lhak pu enfin terminer son service à armagnac en crânes d'enfants. Une journée bien remplie.

À une époque où il semble plus ambitieux de contester sa redevance télévisuelle que de nettoyer les écuries d'Augias avec du bicarbonate de soude, cette manière oubliée d'aborder les vicissitudes du quotidien me semble plus qu'indispensable à remettre à l'ordre du jour. Tout du moins, de mon point de vue, j'en ai retenu qu'un slip en cuir et un cimeterre affûté peuvent suffire à régler un conflit de voisinage ou un différent administratif, et c'est bien là l'essentiel. Mais que voulez-vous, o tempora o mores, vae victis, un café et l'addition. Enfin je me comprends.



Au moment où je vous parle, enfin où je vous écris, enfin... bref... là, maintenant, quand vous me lisez, le genre du versus fighting est moribond. Moribond n'est peut-être pas le terme exact, mais c'est du moins devenu un marché de niche. Les quelques titres qui font l'actualité se comptent sur les orteils d'un démineur cambodgien et ont surtout les faveurs des communautés de joueurs qui mangent du quart-de-tour-avant-gros-poing au petit déjeuner. Sortis d'un Super Smash Bros. ou d'un Dragon Ball FighterZ, l'offre est maigre pour le pékin lambda qui ne cherche qu'à se défouler sans ambition particulière en collant des coups de talons virtuels dans des arrêtes de nez numériques après une journée de boulot à Cergy-Pontoise ou la périphérie de Rodez.






Pourtant, le genre faisait flores dans les années 90. C'est même durant cette période qu'il a atteint le sommet de sa gloire au sein des masses populaires et laborieuses. Sommet d'une montagne dont l'essentiel, rappelons-le, était tout de même composé de caillasse quelconque, il faut le dire. D'ailleurs je le dis. Dès 1991 Street Fighter II pose les règles et ses couilles sur la table, et place la barre haut. Très haut. Trop haut pour la plupart des titres qui s'évertueront, en vain, à l'atteindre. Pas simple de faire le bon choix dans tout ce merdier d'atemis de synthèse et de dragon punchs de contrefaçon. Et lorsqu'on ne s'appelait pas Capcom ou SNK, pas facile de sortir du lot. Rien que la banlieue de Cahors le 15 août, je vous raconte pas. En même temps je crois que je me mélange un peu les idées.

Pouf pouf.



Bien, qu'avons-nous là ? 7 personnages sélectionnables dont un boss. C'est... hum... plutôt léger. Surtout si on le compare aux standards actuels comme, tiens, un Super Smash Bros. et son offre généreuse de 538 combattants, incluant la version mariachi de Bowser, un prototype de Donkey Kong sur Amiga ou la petite nièce de l'ingé son. Parce que le public en a besoin, cela répond à une demande me souffle-t-on. Triste époque. La quantité remplace désormais les idées, il n'y a qu'à voir le compte twitter de Nicolas Dupont-Aignan.

Nonobstant cette disette dans le choix, ils ont quand même une certaine prestance ces hyperboréens en petite tenue. Signe de l'avancée des sociétés scandinaves -déjà à l'époque- il y a même trois femelles dont une splendide valkyrie (la guerrière, pas le fromage à tartiner), qui doivent avoir plus de muscles dans leur périnée que moi dans mon corps tout entier. La quasi parité, déjà, à une époque où l'Europe ne connaissait pas le christianisme et la pénicilline. Les noms nous renvoient à des temps où simplicité et efficience faisaient loi : Korr, Bane, Zorn... Une syllabe, un phonème, un borborygme hurlé sur un chant de bataille brumeux ou au fond d'une choppe d'hydromel. Austère, concret, une carte de visite résumée en un son. Voit-on des Elisabeth-Rose ou des Marc-Enzo ? Moi oui, dans mon quotidien d'enseignant, mais je préfère ne pas aggraver une déchéance sociale déjà bien lourde pour des enfants de 5 ans en les citant d'avantage. Et on s'écarte du sujet. Et ce n'est pas en s'écartant du sujet qu'on va repeupler l'Allemagne disait Erich Honecker.



Si le guerrier est rare à l'écran de sélection, les développeurs ne se sont pas pour autant foutu de votre gueule. Parce qu'en contrepoint l'éventail de coups est large et généreux. Singeant (il ne sera pas le seul) Street Fighter, le jeu utilise les désormais canoniques 6 boutons pour vous permettre à vous et votre fier proto-aryen de transformer votre adversaire en petit tas de viande semi-liquide. Le duo poing/pied décliné en triptyque faible-moyen-fort ? Pas tout à fait. Et c'est là que les choses commencent à être intéressantes.

Le jeu se veut généreux dans la manière de se battre : tranchant, estoc, feinte, parade, contre-attaque, blocage, pilonnage au sol, salade, tomate, oignons, supplément fromage, c'est un festival de variété et d'hématomes sur la gueule. Sur ce point, difficile d'en faire le reproche à l'équipe de développement. C'est même particulièrement ambitieux pour l'époque et on ne retrouvera ce soucis de la technicité que dans peu de titres (comme les productions SNK par exemple et encore, on parle de l'arcade). Ne comptez pas vous en sortir avec de vulgaires hadokens ou coups de pied en pirouette que vous balancez par réflexe presque animal dans tous les jeux depuis 1993 (y compris Command and Conquer ou Doom dans mon cas, des fois que). Pas ici. Il faudra être un fin stratège de la lame et connaître votre personnage sur le bout du pad pour triompher. Le bon coup au bon moment, au bon endroit. Mouliner votre coupe-chou comme un Conan défoncé à la colle à bois ne vous mènera à rien, si ce n'est chez vous, dans plusieurs petits tupperwares numérotés.




Mieux encore, et pour ne rien gâcher, le jeu est beau. Techniquement et artistiquement. Il est sorti en fin de vie de la console et ça se voit. Le soin apporté tant aux personnages et aux décors fait plaisir à voir. Puisant dans l'héritage du comics (Frank Frazetta en tête parce que c'est toujours bon d'aller piocher chez Frazetta) et de tout ce qu'a pu générer les écrits de Robert E. Howard le jeu baigne dans une magnifique ambiance lorgnant vers la dark fantasy. Des crânes partout, de la brume réglementaire qui sort en permanence d'à peu près n'importe quoi, des machins qui brûlent parce qu'il faut des machins qui brûlent, encore plus de crânes, des arènes à tout va dans lesquelles s'entassent gobelins, orcs et autre semi-humains qui éructent à s'en déchirer les glandes salivaires, du wasteland parce que sinon il y'a toujours des emmerdeurs qui se plaignent lorsqu'il n'y en a pas et je crois qu'il reste encore quelques crânes en stock. Tout ceci dessiné avec un soin du détail qui confère au jeu une vraie gueule, quelque chose d'unique. Vous pouvez même compter avec précision le nombre d'abdominaux de la sculpturale Jen-Tai, je n'en dors d'ailleurs plus (ou du moins plus sur le ventre).

Cerise sur le pompon, il y a même des fatalités, Mortal Kombat est passé par là. Votre adversaire à l'article de la mort, vous pouvez lui donner les derniers sacrements en le décapitant, lui arrachant le cerveau, lui saucissonnant les membres, le réduisant à l'état de pulpe et même tout combiner dans un festival charcutier avec un combo bien placé. Sauvage.



Cependant, le choc a un hic. Si le jeu est suffisamment exigeant avec lui-même pour mériter que j'en parle 23 ans après la mort de Mitterrand, il n'en a pas moins un défaut qui lui fait perdre de sa superbe. Le mieux est l'ennemi du bien et à trop vouloir bien faire on en devient contre-productif, regardez Kadhafi, ça l'a perdu. Une technicité excessive engendre parfois une difficulté qui peut métastaser tout un game design. C'est le cas pour Weaponlord. Ici la difficulté est primitive, âpre, au goût de bile et de métal. Ce qui arrive en règle générale lorsqu'on vous plante une épée à deux mains dans l'estomac.

Le panel de coups est varié, certes. Mais encore faut-il pouvoir les sortir ces coups et diverses bottes avec votre gros opinel. Dès le premier combat le jeu devient dur comme les couilles gelées d'un troll. Si vous en êtes encore aux classiques quart/demi tour de cercle ou charge avant/arrière, il va falloir vous mettre à la page. Là, on parle de combinaisons diaboliques du genre bas/diagonale-avant-haut/avant+middle slash. Tout un poème. Pis encore, si votre manette est rétive à cracher les coups spéciaux de votre personnage, l'ordinateur, lui, ne se prive pas de vous dégueuler les siens sans la moindre pudeur ou retenue. Et tout va très très vite. De fier guerrier composé de moins de 5% de masse graisseuse, vous passez rapidement au rang de vulgaire bol d'houmous dans une bar-mitzvah de seconde zone. Lourd est l'acier de Damas qui s'écrase sur les pasteis de nata de notre virilité.



Les ennuis ne s'arrêtent pas là. Au défaut cité précédemment s'ajoute un autre, partagé par ailleurs avec la plupart des médiocres concurrents de Street Fighter de l'époque qui ont cherché à péter plus haut que leur dragon punch. C'est flagrant dès les premiers instants : il se traîne la bite et le reste des organes. Et ça, pour un jeu de baston, ça ne pardonne pas. Oh certes, il y a eu pire, oui. Mais comparaison n'est pas raison, auquel cas on défendrait Cyril Hanouna au prétexte qu'il existe des formes de trisomie chez les chimpanzés.

C'est lent donc. Disons pas vraiment vif. Pour être plus précis, à un gameplay complexe devrait répondre une fluidité de jeu à la hauteur. Ce qui n'est pas le cas. Voilà, ce n'est pas tant une lenteur mais un manque de fluidité plutôt. La diversité des actions possibles devrait permettre d'enfiler attaques, coups spéciaux et combos comme on enfile des boules de geisha dans un trou de balle huilé. Or les combats sont segmentés par d'espèces de micro-pauses entre chaque coup, qui brisent un peu l'harmonie barbare des affrontements. Conséquence, tout enragés qu'ils soient et suintant la testostérone pour tous les orifices, nos musculeux tas de bidoches ont l'air d'avoir les articulations en plomb. Dommage, on frôlait la perle 16 bits de l'époque.



Néanmoins ne jetons pas précipitamment le petit Grégory avec l'eau de la Vologne. Le jeu est une tentative intéressante, qui surnage d'une tête dans le flot du vulgum pecus
des jeux de baston de l'époque. Déjà son style original et sa très belle réalisation le sauvent des clichés dans lesquels ont sauté à pieds joints (dans la gueule) la plupart des ersatz de cette décennie. Un sous Ryu/Blanka/Ninja/Blaze/connard à casquette retournée, un terrain vague/station de métro/temple chinetoque et on vous chiait du versus fighting au kilomètre. Weaponlord fait l'effort de fournir plus que ça. C'est loin d'être un énième Mega Fighter Warriors Combat ou autre cassoulet William Saurin. Rien que pour ce démarquage, il mérite le coup d’œil.



Si au final le jeu n'a pas les moyens d'atteindre les ambitions qu'il se donne, c'est flagrant, cette tentative de bien faire ne se perdra pas pour autant. Le fait que Namco publie le jeu n'a rien d'anodin puisqu'on retrouvera beaucoup d'un Weaponlord chez un certain Soul Edge peu de temps après, le monde est petit. En fin de compte, c'est surtout le support qui aura desservi l'équipe. Une console 16 bits n'est pas suffisante pour caser toutes ces idées téméraires mais on peut difficilement leur en vouloir ne pas l'avoir anticipé à l'époque. Ils n'allaient pas programmer sur 3DO ou Jaguar, soyons sérieux. Le gameplay complexe que les développeurs visaient ne pourra finalement se réaliser que sur la génération suivante, les Playstation et autres Saturn – l'arcade étant une catégorie à part.

Alors, on l'achète ce jeu ou non, merde ? Et pourquoi pas ? Déjà, parce que c'est votre pognon, pas le mien. La rédaction de [NES Pas ?] se désolidarise juridiquement et moralement de l'usage que vous faites de votre fric et de la manière dont vous en consacrez une partie à l'achat de matériel oldie. Mais aussi parce que ce jeu ne fait vraiment pas dégueulasse dans une petite collection de jeux SNES (ou Mega Drive puisqu'il existe sur ce support mais en moins beau comme la plupart des titres multi-plateformes de l'époque à l'exception bien entendu d'Aladdin comme le sait chaque individu doté a minima d'un tiers de lobe préfrontal, dieu que cette parenthèse ne visant qu'à souffler un vent haineux sur les braises d'un conflit idiot de 25 ans est longue, mettons y un terme, là, voilà). C'est une curiosité loin d'être avare en qualités et qui s'intercale bien entre un Street Fighter et un Mortal Kombat. Imparfait certes mais pas quelconque, il mérite qu'on lui sacrifie quelques écus et un.e vierge si vous avez du stock.



Alors, plutôt que d'aller au prochain meeting de Raphael Glucksmann, de signer une énième pétition à la con sur change.org ou d'écrire votre livre "Ma vie de famille zéro déchet", allez plutôt vous promener vers le septentrion, enfilez un shorty en cuir d'aurochs et vérifiez qui du crâne de votre voisin ou du fil de votre claymore peut abîmer l'autre. Comme nous incitait une publicité, ne passons pas à côté des choses simples et des crimes de sang.

Le point de vue de César Ramos :
Peu connu, modérément côté, mais pas donné non plus, par Crom.