Je n'aime pas tester des jeux cultes. J'ai toujours l'impression d'écrire une copie conforme des deux cent vingt sept critiques qui existent déjà sur l'internet multimédia, j'ai la pression des fans, j'ai peur de dire une connerie à chaque paragraphe parce que je n'ai pas passé ma vie sur ce jeu (hé non j'étais occupé à regarder les Minikeums)... Mais bon, à force de tester des demi-bouses distribuées à cinquante exemplaires par un obscur magazine underground de RFA à l'occasion de noël 1988, je vais faire passer Nes Pas pour un site de marginaux, et ça, c'est mal. Donc aujourd'hui on fait dans le Classique, le Banal, le Convenu, le Trivial, le jeu culte-mythique-must-have blablabla. *soupir*
Alien Breed donc. Je suis sûr que le nom Team17 vous dit quelque chose. Celui qui a répondu "ouais je connais c'est un boys band anglais" est resté coincé en 1993 et a confondu avec East 17, monsieur laissez-moi vous dire que vous êtes un être bien haïssable. Team17, c'était le développeur pour ordinateurs de la grande époque, qui se disputait la vedette avec les Bitmap Brothers, et qui a accouché de grands titres tels que Worms, Superfrog, Assassin, Project-X... Bref, que du semi-amateur inconnu et médiocre. D’ailleurs, Alien Breed est un peu le jeu qui les a lancés, et il a eu tellement de succès qu’il a été suivi par Alien Breed 2, Alien Breed Special Edition, Alien Breed 3D, Alien Breed chez les nudistes… *soupir*
Un autre problème avec les jeux cultes, c’est que même sans jamais y avoir touché, on sait de quoi il s'agit, comment ça se joue, comment ça se termine... C'est un peu comme certains films de Kubrick par exemple, personne ne les a jamais vus mais il ont été tellement référencés, repris, parodiés, fichés estampillés classés déclassés ou numérotés qu’on les connaît quand même par cœur. *soupir*
Bien, allons-y... C'est le futur. Le futur genre distant, mais pire. A l'étroit sur la Terre, les hommes ont fini par faire la peau à Einstein et à sa ridicule théorie qui a donné des crampes à tous les auteurs de science-fiction depuis 1905, et ils ont inventé un moyen pour voyager plus vite que la lumière. Ni une ni deux, ils se reproduisent comme des lapins dans toute la galaxie, posant leurs gros pieds sales et poilus et probablement plein d’ongles incarnés sur toutes les planètes qu'ils croisent. Forcément, ils finissent par tomber sur une race d'exo-trucs vachement pourvus en dents et tout, qui n'entendent pas se laisser faire par ces ridicules blobs roses tout mous qui ont une fâcheuse tendance à se répandre sur les murs dès qu'on appuie dessus. Vous vous serez douté que le jeu commence justement à ce moment-là. C'est toujours pareil, toujours au joueur de faire le sale boulot, alors que ces malins de développeurs auraient très bien pu nous donner le rôle d’un colon qui débarque sur une planète vierge pour s'établir, avec devant lui la perspective des grandes étendues sauvages, des fermiers à racketter et de leurs filles à violer. Mais non, ça tu peux cogner dessus. Je suis sûr que n'importe quel joueur moyen a déjà sauvé le monde plus de fois que Bruce Willis et Al Gore réunis. *soupir*
Donc tout le monde s’est fait bouffer sur une quelconque station perdue au fin fond de nulle part, et les gallonés ont désigné deux bons glands tout frais émoulus de l'académie comme volontaires pour aller rétablir le bon droit. Oui, la solution logique aurait été de balancer quelques bombes thermonucléaires pour vitrifier les vilains pas comme nous, ou à la limite d'envoyer quelques bataillons de space marines pour calmer les choses, mais non, on envoie deux clampins avec des flingues de péteux et un demi-chargeur. Voila qui est original. C'est bien connu, dans le futur, les forces armées de la race qui a conquis la galaxie a toujours moins de budget que la police luxembourgeoise. *soupir*
Nous voilà donc débarqués en milieu hostile en compagnie de nos deux champions du monde, que nous nommerons Jacky et Didier afin de préserver leur anonymat et d’épargner leurs familles. Leur équipement se compose des deux pious-pious suscités, d’une boite de choco-bn et de dix préservatifs, modèle camouflage double-épaisseur standard, qui peuvent aussi servir à protéger les clopes de l’humidité. Autant dire que c’est mal bar, d’autant que Jacky et Didier n’ont pas l’air d’avoir inventé le bidon de deux litres. *soupir*
Et puis là, paf, sans rien dire ou si peu, le jeu commence. Il faut dire que l'introduction est sur une autre disquette, alors quand on s'y attend pas, se retrouver directement dans le feu de l'action ça frappe. Et du même coup j'arrête mes soupirs et je quitte la morgue de celui qui tente vainement de faire croire qu'il a cloisonné son âme d'enfant derrière vingt centimètres de plomb et que les jeux vidéos ne lui font même plus ça, parce que c'est vrai qu'Alien Breed est un putain de bon jeu. Pas original pour un sou certes, mais putain de bon jeu quand même.
Le principe est simple et diabolique à la fois: en vue de dessus, on est droppé au milieu d'un niveau labyrinthique absolument énorme, avec des hordes d'aliens qui nous foncent dessus et qui spawnent à l'infini. A nous de nous en sortir avec notre petit pet-pet qui, passé les deux-trois premières vagues de scrofuleux ventilées d'une seule main en prenant la pose, commence à sérieusement manquer de munitions. Là, Jacky et Didier commencent à se dire que, finalement, ils ne seront peut-être pas rentrés à la base à temps pour prendre une bière au mess des officiers et assister au numéro de la grosse Betty. La peur monte, cette peur plus moite qu'une chambre d'un bordel de Caracas par un soir d'été, qui vous prend aux tripes, vous cloue sur place, et vous bloque le doigt sur la gâchette alors que les monstres de plus en plus nombreux se rapprochent dans un couloir mal éclairé et que vous hurlez votre mère comme jamais vous ne l’avez fait.
Mais n'anticipons pas. Pour l'instant, c'est le début du jeu, et Jacky (ou Didier, on s'en fout, je joue en mode 1-player pour le test, parce que la seule autre personne susceptible de pouvoir jouer disponible actuellement est mon frère, et qu'il est hors de question que je confie mes arrières à quelqu'un qui me volait mes Chocapic quand j'étais trop petit pour me défendre), Jacky donc vient de descendre de la navette et il ne se doute pas encore de ce qui l'attend, persuadé qu'on lui a confié une nouvelle mission minable. Pauvre fou qu'il est.
Il faut savoir pour la beauté de l'anecdote que la première action de tout joueur qui touche pour la première fois à Alien Breed est de se faire cramer par les flammes qui sortent des réacteurs de la navette en en faisant le tour. C'est con, mais c'est représentatif du souci du détail qui animait les petits gremlins de Team17 (avant qu'ils virent commercial et pondent Worms3D, mais là n'est pas la question et puis Dieu reconnaîtra les siens).
Le jeu comporte quatre niveaux, sans compter les deux premiers qui sont une sorte de mise en bouche. Basiquement, on reçoit les directives, on sort de l'ascenseur, on en chie tel le pauvre hère qui a choppé la courante et qui se tord sur son lit de souffrance pour atteindre l’objectif, on affronte un boss, et on refait le trajet dans l'autre sens, et en temps limité ce coup-ci, ah ah oui. Je n'ai pas précisé dans ma liste les nombreuses fois où l'on croit que ça va le faire, que accroche-toi Didier on va y arriver, et alors qu’approche le dernier alien, vous entendez le clic-clic-clic fatal du chargeur vide, et cette voix digitalisée qui vous annonce laconiquement « Player one requires ammo », un peu à la manière d'un Gauntlet et de ses « Warrior... is about to DIE! ». Ou encore, les fois où le joystick, le fameux joystick de l'Amiga, décide de claquer à l'instant où vous alliez porter le coup de grâce au boss. Et ainsi de suite. Alien Breed n'est pas un jeu pour les mickeys, il fait facilement parti du haut du panier des plus durs parmi les faisables-mais-tout-de-même-on-en-bave.
Pour ne rien arranger, les développeurs ont rempli la plupart des trous qu'ils avaient laissés entre les murs avec des portes, qui nécessitent des sortes de clés génériques à usage unique pour s'ouvrir. Clés que l'on trouve par terre de temps à autre, entre les munitions et les médikits, cela dit il n'est pas rare de tomber en rade et de se retrouver grosjean comme devant, devant la dernière porte du niveau justement. On peut aussi acheter des clés via les terminaux d'ordinateurs répartis sur la carte, qui vont vite devenir vos nouveaux meilleurs amis grâce à leurs nombreux usages. Ils contiennent la carte du niveau dans lequel vous vous trouvez (encore que ça ne soit pas bien utile, dans la mesure où la mémoriser est quasiment impossible), mais surtout ils servent de magasin où l'on peut acheter des munitions, des soins, et de nouvelles armes: fusil à pompe, lance-flammes, laser... dont le besoin se fait rapidement sentir pour remplacer l'agrafeuse de base, mais qui coûtent cher, et pour récupérer de l'argent il faut s'aventurer dans des zones généralement bien éloignées des chemins principaux et infestées d'aliens. Et enfin, ces ordinateurs vous permettent aussi de jouer au dernier jeu à la mode dans la Fédération, j'ai nommé Pong. Pratique pour se détendre peinard pendant que les hideux attendent patiemment pour vous sauter dessus et vous gober la tête.
Et là vous commencez à comprendre pourquoi six niveaux, c'est largement suffisant. Peu de choses sont faites pour aider le joueur, à part peut-être l'absence d'intelligence artificielle des pas beaux: ils n'ont manifestement pas compris que le plaisir de conduire n'est pas dans la ligne droite et ils vous foncent dessus sans se préoccuper des murs qui pourraient éventuellement se trouver sur leur trajet, aussi en finassant on peut réussir à en bloquer une bonne partie dans les angles. Cela dit, comme il en arrive de partout à la fois...
Mais si Alien Breed est aussi beau et pur dans l'effort qu'un lanceur de poids turc juste avant la détente, c'est aussi grâce à son ambiance, qui n'est pas sans « rappeler » Alien 2, pourrait-on dire poliment, d'ailleurs si j'étais un avocat spécialisé dans les violations de copyrights je crois bien que j'en aurais une montée de sève. Les pauvres marines perdus contre un déferlement de monstres sur une planète hostile, le design des armes, les facehuggers, la reine pondeuse, le look du dernier niveau qui s'inspire fortement de l' « architecture » alien... Ceci dit il serait réducteur et même criminel d'attribuer la réussite de la mayonnaise qu'est ce jeu à un simple et vulgaire pompage du film de Cameron. Tout est parfait: les graphismes ultra-léchés, marque de fabrique de Team17, la musique très discrète (vous savez, cette musique d'ambiance de science-fiction, très typé « ventilateur bruyant »)... On pourrait éventuellement regretter la monotonie des décors, mais bon, c'est le genre qui veut ça.
Je ne vous ai pas parlé du mode deux joueurs. Comme les développeurs le signalent eux-mêmes dans le manuel, le coopératif est l'essence même d'Alien Breed : y jouer tout seul, même si ça provoque un certain plaisir, n'a rien à voir avec l'expérience à deux. Comme le ping-pong. N'hésitez donc pas à recruter un camarade, déjà ça ramène la difficulté au rang de « faisable en une journée à condition de sauter les repas », mais ça sera surtout l'occasion de vous forger des souvenirs inoubliables avec votre vieux pote Frank. Qui ne se remémore pas l'une ou l'autre partie endiablée de Streets of Rage, ou Chip & Dale, ou que sais-je encore, par un dimanche après-midi pluvieux? « Nom de Dieu Frank, je t'avais pourtant bien dit de me couvrir à onze heures! Dix heures, onze heures, douze heures, c'est quand même pas compliqué, t’es vraiment un tocard ! Rend moi ma tondeuse et mon barbecue, et puis tiens je ne te l'ai jamais dit, mais à l'anniversaire de la petite il y a deux ans, j'ai couché avec Chantal pendant que tu découpais le rôti ».
Alien Breed est donc un pur chef-d'œuvre comme on n'en fait plus, et quand sera venu le temps des cheveux blancs et de l'arthrite, quand vous aurez appris à apprécier la saveur d'une bonne pipe au coin du feu par un soir d'hiver, son souvenir ne manquera pas de vous tirer une petite larme. Certains jaloux et frustrés pourront tout de même, à raison, arguer qu'il lui manque un certain charme dans sa perfection, ce même charme qui vous fait préférer votre copine pas très belle mais tellement rigolote quand elle essaye de se percer les boutons du dos à un top-model de magazine. Et un jour j'arrêterai de conclure mes tests avec des comparaisons aux femmes ou au cul, mais ce jour n’est pas encore arrivé.