Le site qui a régressé au stade analogique.
Conflict : Europe
PSS - 1989
par Clence_tum

Extras : Musique - Manuel TXT - Manuel PDF
Petit voyage dans le temps, direction la France de 1989. Ambiance second mandat de Tonton, crise économique et Mylène Farmer. Il est presque une heure du matin, un soir pluvieux de novembre dans la banlieue parisienne. Vous avez passé la soirée à essayer de finir Zelda 2, et par conséquent vous avez un petit peu la tête enfoncée au fond du cul. Histoire de vous changer les idées avant d’aller au pieu, vous allumez la téloche. Boum, TF1, journal de la nuit. Petit générique à l’orgue Bontempi (c’était avant qu’ils décident de mettre la musique des Dents de la Mer pour faire peur aux bourgeois). La tête de Jean-Claude Narcy, un peu pâle, la mèche en bataille, l’air pas rassuré, on dirait qu’il est prêt à se barrer de son siège dès que la caméra l’aura lâché.



« Madame, Monsieur, bonsoir. Réunion de crise à Bruxelles : les ministres de la défense des pays de l’OTAN et de la France se rencontrent actuellement pour décider de la démarche à adopter suite aux mouvements des troupes soviétiques signalés à la frontière entre les deux Allemagnes. Ce que le Kremlin avait qualifié de « simple exercice d’entraînement » a été dénoncé un peu plus tôt aujourd’hui comme « un véritable acte de guerre » par George Bush. Nous avons reçu il y a quelques minutes la confirmation qu’une grande partie des armées polonaises et roumaines s’était mise en mouvement vers l’Ouest. De ce côté-ci du Rideau de Fer, l’ensemble du trafic aérien civil a été interrompu pour permettre le passage de nombreux avions de transport américains vers Ramstein. En France, l’armée a rappelé la totalité de ses réservistes et François Mitterrand a déclaré, dans un enregistrement vidéo adressé depuis un lieu inconnu, que « nous n’hésiterons pas à faire usage de tous les moyens à notre disposition pour défendre le territoire français ». Le mois avait pourtant bien commencé avec l’ouverture de la frontière austro-hongroise, mais la situation s’est envenimée lorsque le premier secrétaire est-allemand… »



Soudain, votre attention est détournée du poste par un bruit provenant de l’extérieur, qui se fait de plus en plus fort et de plus en plus aigu. Vous allez ouvrir la fenêtre pour essayer de voir de quoi il s’agit. C’est marrant, ça ressemble à la sirène du premier mercredi du mois… Mais on n'est pas mercredi… Tout d’un coup, vous comprenez ; vous avez juste le temps de penser « Je ne jouerai jamais à la Gameboy… » Et puis, plus rien.



Oui, bon, je sais, en vrai ça ne s’est pas passé exactement comme ça. Mais c’est toujours plus drôle quand ça finit mal. Qui ne regrette pas cette époque bénie où PPDA, qui avait encore ses vrais cheveux, nous faisait peur avec des termes barbares, comme « SS-20 » ou « Pershing II » ? Aujourd’hui, le pauvre est un peu à la peine, faut dire qu’il a que des essais de bombes A à moitié foirés à se mettre sous la dent, ou des barbus qui font genre « moi aussi si je veux j’ai une grosse bite» devant le conseil de sécurité de l’ONU. Et puis tenez, si l’Humanité avait décidé de s’anéantir d’un commun accord en 1989, la Starac’ et la Tecktonik n’auraient jamais vu le jour. Et ça, on oublie trop souvent de le dire.



Mais pas de regrets, Conflict : Europe se propose de nous faire vivre la Troisième Guerre Mondiale, la vraie, celle de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord contre Le Pacte de Varsovie, avec des divisions blindées, des bombardiers stratégiques, des missiles inter-continentaux et des couilles poilues grosses comme ça. Ne le niez pas, vous avez tous rêvé d’en être, un jour d’énervement notoire contre l’ensemble de vos contemporains.



Bref. Vous avez envie de tout faire péter, et ce jeu va vous en donner l’occasion. C’est parti. Tout commence par une intro sobre, en noir et blanc, où l’on voit les gros titres pessimistes d’un journal défiler à côté d’une mère et de son gosse qui se demandent à quelle sauce ils vont être vitrifiés. Notez qu’on reconnaît bien là le jeu des années 80 : la mère en question a une choucroute infâme sur la tête, et le gosse une coupe au bol, la même que sur vos photos de classe de maternelle. Soit, ça ne donne que plus envie de transformer l’Europe en une immense banlieue de Saint-Étienne. On choisit son camp entre l’Est ou l’Ouest, non la Suisse n’est pas jouable n’insistez pas, et on lance un des cinq scénarios disponibles, qui vont de « Escarmouche frontalière » à « Dédé conduit son 15 Mégatonnes sur les autoroutes allemandes ».



Le jeu commence. Nous voilà dans une grande salle sombre au fond d’un bunker, genre Docteur Folamour, bien planqué sous les montagnes de l’Oural (ou des Rocheuses si vous êtes un sale impérialiste, ‘ferez moins le malin quand vous vous balancerez au bout d’une corde à un lampadaire de l’avenue Foch le jour du Grand Soir). Au mur, un écran géant projette une carte de l’Europe, centrée sur l’Allemagne. Pour l’instant, les différentes armées, représentées par des petits carrés bleus ou rouges, sont bien rangées sur la frontière séparant l’Ouest et l’Est, le capitalisme et le communisme, la liberté de jouer à la Nes et l’obligation de compter avec un boulier.



Et c’est à vous de jouer. Le but est de réduire à néant les troupes adverses, en faisant aussi vite que possible et en limitant les pertes civiles (Quoi ? On peut pas atomiser Zurich pour rigoler alors ?! Mais si, attendez un peu). Pour ce faire, le jeu est divisé en plusieurs phases. En premier, le mouvement. A chaque tour, on peut déplacer ses armées d’une case. Il y a certaines subtilités, comme les troupes aéroportées ou amphibies, mais ça change pas des masses. Vient ensuite l’assaut. On peut décider d’attaquer les armées ennemies qui se situent juste à côté des nôtres. C’est à ce moment-là qu’il faut faire gaffe à quoi on touche, parce qu’il faudrait être complètement mad, ou con, ou les deux, pour envoyer l’armée italienne seule contre les troupes de chocs russes, convenez-en. Et inversement, puisqu’il vaut mieux éviter tout contact entre les divisions polonaises et le IIIème corps US.



De temps en temps, à la fin d’un tour, on a la bonne surprise de voir des renforts débarquer. C’est vrai qu’il ne faut pas oublier que pendant que vous faites le gugusse à dévaster les villages bavarois, à l’arrière on ne se prive pas pour faire les trois huit dans les usines d’armement et enrôler de force des jeunes gens qui préfèreraient sans doute être rouges plutôt que morts, mais qui s’en soucie. Bref, les renforts peuvent être attribués aux armées qui auraient éventuellement souffert des attaques ennemis.



Mais, vous l’aurez vu venir, les forces en présence sont plus ou moins à égalité, et la situation à tendance à s’enliser, chaque côté recevant régulièrement de la chaire fraiche. C’est alors que vous jetez un œil vers ce curieux bouton rouge, vous savez, le gros dans une boite en verre, avec des gros autocollants jaune et noir autour, à base de « warning », « no hands on », ou encore « touchez pas, bordel ! ». Pendant un instant, vous vous vous dites que l’être humain vaut peut-être le coup, mais finalement merde, il fait super chaud dans cette salle même pas climatisée, et cet uniforme ridicule me sert le bide, finissons-en.



On ouvre donc la console de lancement. Le feu nucléaire s’utilise de la façon suivante : il faut taper des codes, qui se trouvent dans le manuel du jeu (oui, pas de chance si vous avez une copie pirate, ce qui était le cas d’à peu près la totalité des joueurs Amiga de l’époque), et qui ont tous un effet différent : détruire une ville pour diminuer les renforts de l’ennemi, un aéroport pour l’empêcher d’avoir la supériorité aérienne (qui détermine qui commence à jouer à chaque tour), un silo de missiles pour l’empêcher de vous rendre la pareille, etc. Les codes sont très, euh, parlant : par exemple, Dirty Harry ou July 14 pour l’Otan, Iron Curtain et Red Star pour les popovs. « Fumble Winter » et « Fire Storm » sont à utiliser uniquement si vous vous retrouvez coincé sur une montagne des Pyrénées avec trois italiens et deux français comme seuls rescapés de l’armée alliée, puisqu’ils déclenchent une attaque globale, ce qui a pour effet de chambouler quelque peu le haut de la liste des formes de vies les plus évoluées, et concrètement, de produire un bel écran Game Over.



Mais c’est à partir de là que la bât blesse, malheureusement. Car non, tout n’est pas rose au pays de la guerre thermonucléaire globale. En effet, on se rend vite compte, que la stratégie, la diplomatie, tout ça, l’ennemi n’en a rien à secouer. Les développeurs, dans leur précipitation bien légitime à vouloir faire des jolies animations de champignons, ont oublié d’implanter une intelligence artificielle. Ce sont des choses qui arrivent, me direz-vous. On assiste donc à des situations sehr komisch, où, selon l’humeur de l’instant, vous vous prenez l’ensemble des forces de frappe américaines, britanniques et françaises réunies dans la gueule, juste pour avoir envoyé une petite bombinette tactique sur une armée neutre qui vous gênait pour passer ; la partie d’après, vous pourrez oblitérer une par une les armées alliées, personne n’y trouvera à redire.



Et du coup, toutes les subtilités bien sympathiques du jeu ne servent plus à grand’chose. Bombardements chimiques, espionnage, sabotage des voies ferrées, diplomatie, on s’en fout, de toute façon ceux d’en face réagiront toujours n’importe comment. Genre, suite à une attaque, mes armées tirent la tronche, j’ai pas de renforts avant plusieurs jours, plutôt que de me retirer pour me refaire, je vais foncer en hurlant et en agitant les bras sur quinze divisions russes en pleine forme qui font écran. De plus, les deux camps sont parfois déséquilibrés: les Rouges se retrouvent un peu trop facilement les yeux dans l’eau sur une plage bretonne au bout de trois jours de conflit.



La partie technique n’est pas trop maltraitée, mais ça ne suffit pas pour rattraper cet état de faits. Les graphismes sont stricts, mais ça convient bien à l’ambiance bidasse-caserne-bleu bite de la chose. On peut signaler tout de même quelques animations rigolotes, comme les techniciens qui se baladent de temps en temps devant l’écran de contrôle par exemple. Côté son, même topo : la musique est absente, mais il y a quelques effets de bon aloi, comme les battements de cœur qui se font de plus en plus rapide au début du jeu, ou le télex qui débite les diverses infos que l’on reçoit du front avec le bruit insupportable de l’impression sur ce papier de con, celui avec les trous sur les côtés. Très oldies, mais ça ne le fait pas tout.

En conclusion, Conflict : Europe est typiquement le genre de jeu qu’on découvre en se disant « Wouah on peut faire ça ! Trop cool ! », avant de se rendre compte, dix minutes plus tard que « Ah, mais, ça sue la haine en fait ». A essayer une fois tout de même, juste pour sentir sur sa nuque le souffle froid et sec de l’hiver nucléaire.
Le point de vue de César Ramos :
Comme tous jeux amiga : peu cher, présent en lots...