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Bargon Attack
Coktel Vision - 1992
Le jeu des envahisseurs à cagoule par Clence_tum

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C’est l’Apocalypse ! Le jour du jugement dernier est arrivé ! Ragnarök ! Armageddon ! Independence Day ! Ces fascistes d’aliens ont une fois de plus décidé d’envahir notre bonne planète démocratique et capitaliste, et ce coup-ci ils ont décidé de commencer par Paris. Oh, personne ne s’est encore rendu compte de rien, même David Vincent n’a rien vu venir du fond de son lit de grabataire incontinent. Mais ça ne durera pas. Les aliens sont arrivés, ils sont LÀ ! Peut-être sont-ils déjà en train de battre votre femme et de caresser vos enfants à votre place, qui sait. Et bientôt ils seront assez nombreux pour apparaître au grand jour, et ils marcheront sur la ville lumière tel un troupeau de grévistes, et cette fois ce ne sont pas un virus informatique ou de la musique country qui les arrêteront.



Voilà, résumé en quelques lignes sans dramatisation aucune, le pitch de Bargon Attack. C’est d’un exotisme qui ne laisse pas de "putain ça m’en bouche un coin". Bon, il faut quand même lui reconnaître une certaine originalité : c’est, à ma connaissance, le seul jeu adapté d’une bande dessinée parue dans les pages d’une revue d’informatique. Car oui, il fut un temps heureux où nous courions nus dans les champs, mains dans la main sans peur du lendemain, et où trois allumés pouvaient se réunir dans un deux-pièces puant la sueur pour bricoler en quelques mois un jeu qui se vendra dans toute l’Europe. Alors qu’aujourd’hui… Monde de merde, George avait raison.



Bargon Attack est donc adapté d’une bédé publiée en 1989 et 1990 dans Micro News, magazine de tricot de la bonne époque, avec le papier crade qui collait aux doigts, la maquette sous acides, les réclames inénarrables pour des boutiques d’informatique perdues en lointaine banlieue (« Super Ordi, 12 avenue de la Libération, au fond de la cour derrière la scierie Dubois, Villedieu-les-poëles-sur-la-motte »)… Magazine qui s’est dûment cassé la gueule quelques années plus tard, ce qui est bien fait pour eux, ayez l’amabilité d’en convenir.



La bande dessinée en elle-même sue les eighties, vous pouvez le voir sur les scans, avec les dessins bien carrés, les couleurs qui pètent, le vocabulaire d’époque, c’est bath ! Bon, pour ce qui est de la qualité, comme on peut s’en douter, malgré le scénario qui l’air de rien tient la route, ben c’est un peu de la merde. Mais qui s’en soucie ? Bref, la chose rencontre un certain succès au hasard des publications, et les trois clowns qui en sont responsables décident, par un de ces beaux matins chantants qui font les légendes, de l’adapter en jeu vidéo. Quelques mois plus tard, ils font le tour des éditeurs, et, sans doute après quelques réunions de brainstorming sous le bureau que l’Histoire n’a pas retenu, le jeu est publié par Coktel Vision ; encore un acteur du jeu vidéo français de la grande époque, connu pour la série des Gobliiins, mais aussi pour ses titres d’aventure coquine tels que Fascination ou Emmanuelle, que je testerais un jour si vous êtes sages et si j’arrive à mettre la main sur des exemplaires en boite avec des manuels non souillés (en 1991 point d’Internet, on faisait comme on pouvait, souvenez-vous).



Bien… Bargon Attack est ainsi devenu un jeu d’aventure des plus classiques. On y incarne Bob Sprite, un type a priori sympa, bien qu’il soit le résultat d’amours contre-nature entre un geek et un punk, puisqu’il porte des lunettes à culs de bouteilles mais aussi un zonblou en cuir avec moumoute au col, et des rangers. Comme tout jeune homme de bonne fréquentation désireux de rater sa vie, Bob passe ses nuits à jouer à Bargon Attack, le dernier jeu vidéo à la mode, acheté dans une boutique louche à un vendeur faux-derche. (Ceci est un exemple du principe de la mise en abyme; amis lecteurs, je vous remercie de votre fidélité, la semaine prochaine nous verrons comment construire un radeau de survie avec un hamster de calibre moyen, une pompe à vélo et du chatterton ).



Mais Bob, qui n’est pas que la moitié d’un con, réalise vite que ses potes qui jouent aussi à Bargon se mettent à disparaître. Que se passe-t-il ? Se seraient-ils tous trouvés des copines pendant que Bob faisait péter le score, oublieux de tout ? Est-ce plus grave ? Quelle est cette secte qui est soudainement apparue dans les rues de Paris, dont les membres arborent des cagoules rouges ? Giscard est-il un robot mangeur d’hommes ? Ce sera bien évidemment à vous de répondre à ces questions en dirigeant Bob à travers les méandres du jeu, à la pointe de votre souris d’Amiga crasseuse.



On a donc affaire à du vieux pointez et cliquez des familles. On trimballe Bob dans une vingtaine de tableaux, et on résout des énigmes toutes plus sibyllines les unes que les autres. Un exemple parmi d’autres : arrosez un pot de fleur pour désintégrer un tapis. Rigolez pas, en 1991 on pouvait y passer des heures et trouver ça génial. Bref, du classique, le jeu présente tout de même une petite particularité dans sa progression : on ne revient jamais en arrière, et le tableau suivant ne se débloque qu’après avoir ramassé tous les objets utiles. Fini donc l’angoisse trop connue du joueur qui se demande si il doit s’encombrer de ce cure-dents, sait-on jamais il y aura peut-être des saucisses cocktail plus tard dans le jeu.



Graphiquement c’est mignon tout plein, mais mignon dans le sens de votre gamin qui repeint les murs de sa chambre en y lancant son caca, pas dans celui de la poitrine de Scarlett Johansson. Non allez je suis dur, le jeu a un certain charme, un côté artisanal où aucun pixel n’a été laissé au hasard, et c’est déjà beaucoup. Grosse casserole en revanche au point de vue du son, puisqu’il n’y a absolument aucune musique, et les bruitages se résument grosso modo au bruits de pas du héros. Là encore, on sent le truc fait à la main, on imagine bien les trois développeurs avec leur magnétophone de récup’ acheté chez Emmaüs, en train d’enregistrer les bruits de pas dans la rue, les bruits de pas dans l’escalier, les bruits de pas dans la boue, les bruits de pas dans la flotte… Non mais faudrait voir à pas trop déconner non plus, hein.



Heureusement, Bargon Attack réussit à éviter la case « gros buson auquel on ne reviendra que par vice » grâce à son ambiance bien franchouillarde comme on les aime. Une bonne partie du jeu se passe dans un Paris fidèlement restitué, avec ses chiottes Decaux, ses salopards de militants qui vous encanaillent avec leurs tracts à la sortie du métro, ses bars crades (où l’on rencontre messieurs Groquitache, Tuboiquoi, Sirotsek et Collozink, ah ah qu’est-ce qu’on se marre ah ah on est des déconneurs ah ah), ses bouquinistes crasseux qui arnaquent les touristes avec leurs mauvais portraits du Che ; plus original, on croise la fontaine Saint-Michel transformée en téléporteur bargonien, ou encore… les colonnes de Buren ! Un truc pareil ne peut pas être foncièrement mauvais, convenez-en.



Toujours dans la même veine du « jeu qui n’a aucun moyen mais qui en est conscient et qui essaye de s’attirer notre sympathie par des voies détournées », Bargon Attack use d’un vocabulaire parfois égrillard, un exemple parmi d’autre : « mais regarde-moi ce con-là, il sait même pas s'en rouler une, il lui faut deux feuilles et elle est conique! ». Il vous apprendra également quelques tours connus uniquement des loulous de la porte de Pantin, comme faire tomber une clé d’une serrure à l’aide d’un bâton de réglisse précédemment acheté à la boulange. Tout cela ne manquera pas de nous décrocher un regard bienveillant.



Bref, sans barguigner davantage, Bargon Attack est un jeu moyen, avec un gameplay vu et revu, des graphismes un peu limites et une bande-son qui a probablement été oubliée sur un banc public par un soir de novembre, mais il est en partie sauvé par son cachet bien de chez nous, et par son concept trotalement abstrait de « jeu adapté d’une bd de magazine ». Essayez-le, vous ne risquez rien, c’est français.

Le point de vue de César Ramos :
Comme tous jeux Amiga : peu cher, présent en lots...