Defender of the Crown est un jeu pour les vrais. J’entends les vrais oldies. Pas ceux qui se touchent parce qu'ils ont acheté une Megadrive crasseuse 35 euros sur eBay, et que chouette trop cool t'as vu chérie je vais pouvoir me refaire un Streets of Rage avec les copains du bureau. Ou encore ceux qui ont mis la musique de Tetris en sonnerie de portable et qui en font profiter tout le monde, notamment moi à 7h15 dans le métro, soit dit en passant. Non. Le vrai oldies a un fond d'écran avec des gratte-ciels des années 90 en méchant pixel-art sur son eeePC, il n'écoute que de mauvais chiptunes russes sur son baladeur MP3 hors de prix. Et à chaque élection, le vrai oldies écrit "Giscard président" sur son bulletin de vote, et il trouve ça super drôle. Voire même, n'était le besoin de conserver des relations sociales pour pouvoir tirer un coup de temps en temps, et c'est humain, le vrai oldies porterait toujours des baskets à scratch et des t-shirts University of Paris.
Bref, le vrai oldies est un con fini. C'est pour ça qu'il joue à Defender of the Crown, et qu’il trouve ça génial. Car c'est l'exemple même du jeu qui était génial à l'époque et qui est complètement inintéressant aujourd'hui (et encore, si j'étais une vieille pute vérolée, je dirais "qui est complètement inintéressant depuis 1994"). Pour encore lui trouver des qualités, il faut nécessairement le regarder par le petit bout de la lorgnette de la nostalgie crasse. Avertissement, donc: si vous êtes quelqu'un avec un tant soit peu d'objectivité, de bonne foi, que vous n'êtes pas du genre à vous mentir à vous même, que vous aimez placer l'honnêteté intellectuelle au-dessus de toute autre valeur, ne lisez pas plus loin et quittez cette page, parce que je joue à Defender of the Crown, et je trouve ça génial.
DotC est de ces jeux qui ont marqué leur époque. Et quand je dis marqué, ce n’est pas genre hop-là tiens je marque, c’est plutôt je vais t’imprimer l’empreinte des rivets de mon gantelet en fonte dans ta gueule jusqu’à ce que t’appelles ta mère, qui de toutes façons ne répondra pas vu qu’elle est pendue dans la cave. Je vous rappelle que nous sommes en 1986. Année oldies s'il en est. Année de l'explosion de Challenger, de Tchernobyl, des débuts de La Cinq (chaine oldies par excellence, est-il nécessaire de le rappeler). C'est pour vous dire si ça sentait le truc de gagnant. Au même moment, l'Amiga arrive doucement, mais bon, ce n’est pas encore ça quoi, on sent que le marché est frileux et hésitant, tel le nœud inexpérimenté le jour du grand soir.
Et puis là, paf, sans prévenir, telle la chtouille au hasard d'une relation d'un soir sans lendemain, Defender of the Crown débarque. Et il va tout fracasser sur son passage, pour ne laisser derrière lui que canettes de bière éventrées, petites culottes souillées et femmes éplorées. Plusieurs historiens de renommée internationale (moi) datent d'ailleurs la fin de l'époque contemporaine et le début de l'ère numérique à cette année 1986.
Mais n’anticipons pas. C’est mauvais d’anticiper, après on se fait avoir et on dort sur la béquille. Bref. Tout commence en 1149, dans une verdoyante prairie anglaise, avec un grand soleil, le genre de scène qui fait classe depuis quelques années dans les films hollywoodiens, quand le héros est mourant et qu'il se voit au milieu de son champ à caresser les épis de blés. Enfin bon là, c'est le vieux roi des anglois qui est mort, et sa couronne a été volée par les vils normands (des barbus puant le mauvais alcool et fortement portés sur le pillage de villages, le viol de pucelles, et le lancer de hache à deux mains dans la tronche de ceux qui voudraient empêcher l'un ou l'autre). Du coup ni une ni deux, le patriotisme bondit dans la poitrine des fiers saxons, qui sont aussi des barbares alcooliques, mais qui étaient là avant, putain merde c'est vrai quoi à la fin.
Les chevaliers de feu sa majesté vont donc se mobiliser pour repousser l'ennemi au-delà des mers. Tout en guerroyant entre eux pour savoir qui sera roi après, sinon ça serait pas drôle, allons. Il ne faut pas oublier qu’au bout de tout ça il y a le trône du royaume d'Angleterre qui attend, et avec lui les coffres sans fond du trésor royal, huit millions de paysans analphabètes à essorer à volonté, et une armée de brutes sanguinaires pour aller à l'occasion casser la gueule de ces mangeurs de grenouille de l'autre côté du channel; malheureusement, point d'esclaves nubiles comme au bon vieux temps de l'occupation romaine, l'Eglise est passée par là. On s'en passera et on se rattrapera avec le droit de cuissage, allez. Enfin bref, on comprend mieux pourquoi ces types se levaient à cinq heures du mat’ juste pour aller se faire ouvrir le bide par une lame rouillée.
Et comme de bien entendu c’est au joueur qu’il revient de prendre en main un de ces petits couillus pour remettre de l’ordre. Juste après l’écran-titre (qui pue la classe anglaise, avec une petite musique genre « la vipère noire »), on doit choisir entre quatre têtes de vainqueur, qui diffèrent par leur capacité à commander, leur habileté à tricoter de l’épée, et leur aptitude à la joute. Personnellement je choisis toujours Cedric de Rotherwood, sa tronche me rappelle Magnum, le moule-quéquette en moins.
Une fois expédiées ces formalités administratives, on ne perd pas de temps en cérémonies inutiles de passation des pouvoirs, de prières interminables et de serments sur les Écritures, et on se retrouve direct face à une carte de l’Angleterre. Juste l’Angleterre hein, il ne s’agirait pas d’aller fricoter avec ces Scots qui se baladent en jupe, non mais oh. On dispose d’un petit territoire défendu par un château fort, et une armée, pour le moment peu fournie. Idem pour nos cinq opposants, saxons ou normands. Le jeu se déroule au tour par tour ; chaque mois, on peut choisir entre plusieurs actions :
* Recruter une armée : en ces temps obscurs, point de conscription obligatoire, donc il vaut mieux avoir les bourses bien pleines pour pouvoir se payer autre chose que du troufion de base : chevaliers, catapultes, voire même des forteresses pour défendre les territoires nouvellement acquis. Evidemment, plus on a terres plus on a d’argent, comme pour la PAC.
* Organiser un tournoi : parce que les chevaliers ne sont pas que des beaufs mal rasés qui n’aiment rien tant que violer une jeune pucelle sur la place du village après avoir cloué ses parents sur la porte de l’église en flammes : ce sont avant tout des gentlemen. On peut donc s’affronter, soit pour un territoire, soit pour la gloire. On a alors droit à une magnifique séquence en pseudo-3D vue à la première personne, où on galope vers l’ennemi en essayant tant bien que mal de viser le bouclier de l’adversaire avec sa lance (ou les côtes, mais ça c’est vache, surtout en ces temps reculés où les traitements contre le pneumothorax étaient relativement inexistants).
* Tenter un coup de main sur une forteresse ennemie à la faveur d’une nuit sans lune : si le moine tonsuré chargé de vos finances n’arrête pas de vous rabâcher les oreilles avec des « non coco franchement là tu déconnes, pas de banquets le mois prochain ou sinon je ne réponds plus de rien », vous pouvez prendre quelques hommes de confiance avec vous histoire d’aller vider les caisses d’un seigneur voisin. Concrètement, ça donne une petite vue de côté toute mignonette avec des playmobils qui se tabassent dans la cour du château, qu’on peut diriger à la souris, en cliquant frénétiquement, suivi d’un passage dans le grand escalier du château, très « Fanfan la Tulipe tricote avec son épée en tortillant du cul et en poussant des cris aigus ».
* Conquérir un territoire : après avoir versé un certain nombre de troupes dans votre armée de campagne, vous pouvez aller augmenter votre patrimoine à la pointe de l’épée, avec les dangers que ça comporte, bien évidemment. En l’occurrence ici, se pisser dans le haubert en voyant les chiffres diminuer petit à petit, avant d’ordonner « wild retreat ».
Voilà, avec tout ça qui se répète à chaque tour, il y a matière à chier des lames de scie circulaire avant de finir le jeu, à savoir conquérir l’intégralité de l’Angleterre, vous asseoir sur le trône, régner en tyran, partir en croisade quand il n’y aura plus de pucelles à violer dans le royaume (en plus, le viol de pucelles non chrétiennes n’est pas marqué sur l’ardoise divine), et enfin vous repentir vite fait sur votre lit de mort, avant de laisser un pays exsangue à un fils taré.
J’ai oublié de vous parler de quelques subtilités. D’abord, on peut réclamer l’aide de Robin de Loxley, ce gugusse en collants qui se planque dans la forêt de Sherwood. Il vous l’accordera trois fois, en vous envoyant des hommes en renfort, après quoi tu peux te brosser mon con, j’ai le pont sur la rivière Schtroumpf à reconstruire avec mes copains bouseux.
Par ailleurs, on peut avoir une damoiselle en détresse à aller libérer de son vil geôlier normand, avec les mêmes séquences de combat en vue de côté que précédemment, ce qui vous permettra ensuite d’épouser de force la grognasse et de lui faire sur le champ quarante chiards (d'où l'origine peu connue de l’expression "sur le champ" : en cette époque obscure ou Ikéa n’existait pas encore, il n'y avait qu'un seul lit pour toute la maisonnée, et il fallait bien trouver un autre endroit pour accomplir son devoir de bon chrétien). Parce que c’est vrai quoi, on ne plaisante pas avec sa lignée, faut qu’on soit sûr qu'il y en ait au moins quelques uns qui survivent à la peste, au typhus et aux disettes hivernales ; idéalement un solide gaillard pour reprendre les rennes du fief quand vous casserez votre pipe, et aussi un maximum de gueuses qu'on pourra marier à des vieillards sans descendance quand elles auront atteint onze ans, et ainsi avec un peu de chance récupérer des terres.
J’ai gardé le meilleur pour la fin : les graphismes. Ils sont tout simplement magnifiques, sachant en plus que le jeu est sorti en 1986. Imaginez vous en train de regarder la scène de la piscine dans Sexcrimes, gardez la pose; voilà la tête qu’on a quand on joue à Defender of the Crown. Certes, c’est 80% d’écrans fixes, mais toujours avec des petites animations du meilleur goût, tels les gonfanons qui flottent au vent lors des tournois, les ombres portées sur les murs lors des combats nocturnes dans les châteaux… Et que dire de la cinématique qui se déclenche après un sauvetage réussi, avec cette jouvencelle à la nuisette transparente et aux yeux mutins, qui ont l’air de vous crier « prends moi sauvagement sur la peau de bête devant la cheminée » ? D’ailleurs DotC est un des rares jeux, anciens et récents confondus, où les graphistes ont réussi à faire des filles qui ressemblent à des filles et pas à des travelos. Si.
En revanche pour le son ce n’est pas ça du tout : à part le thème de l’écran-titre bien ficelé (mais qu’on ne retiendra pas pour autant), on alterne entre silence total digne de la lande anglaise sous un épais brouillard, et mélodies bontempiques de la grande époque, c’est-à-dire qui font grimacer en rentrant la tête dans les épaules. Retenons tout de même le « schkraf » mythique et redouté de la lance qui s’écrase sur le bouclier, probablement samplé pendant que l’ingénieur du son mangeait des gâteaux secs, ou un truc comme ça, allez savoir.
On pourrait aussi pointer du doigt tout le côté historique quelque peu douteux (si je ne m’abuse les normands ont conquis la totalité de l’île dès 1066, et les joutes telles qu’elles sont montrées dans le jeu ne sont apparues qu’à la fin du Moyen-âge), enfin bref, on passera dessus. En 1986, Defender of the Crown était un jeu magnifique qui proposait un gameplay original, un peu à la manière d’un Dune, on sent que les développeurs sont partis d’un petit cahier des charges de base et puis hop ils ont collé des bouts de machins hétéroclites autour, jusqu’à ce que ça fasse un jeu. Bon évidemment si on se défait du filtre « vieux con aigri » dont je parlais au début, on se retrouve face à un jeu d’un intérêt somme toute douteux dont le principal challenge consiste à cliquer le plus vite possible sur la souris, mais que voulez-vous, c’était mieux avant. Ne serait-ce que parce qu’on pouvait violer des pucelles.