Il est de ces jeux qui sont à jamais attaché à une console, sans que l'on sache parfois trop pourquoi. Pour beaucoup, Altered Beast est celui par lequel toute une génération a découvert la Megadrive. Qui n'a pas passé son mercredi après-midi dans un Auchan ou un Conforama pour tapoter sur une manette à trois boutons pendant que les grandes personnes étaient occupées à pousser un caddie ou contempler des étagères en mélamine ? Vendu en bundle au lancement de la machine, il a été la vitrine de la génération 16Bits selon SEGA. Pour d'autres c'est avant tout cette phrase passée à la postérité : "Wiiise fwom youw gwave !". C'est de l'anglais. Vous en doutez ? Normal, c'est l'anglais que l'on parlait à l'époque de la Grèce Antique. Ce qui explique peut-être la qualité crapoteuse de la digitalisation. Mais revenons à nos Plutons et voyons ce qu'il reste de ce jeu une vingtaine d'années après sa sortie.
L'histoire commence mal : vous êtes mort. Qu'est-ce que vous avez branlé, bon sang ? Toutes les excuses sont bonnes pour ne pas aller bosser. Que se passe-t-il en fait ? C'est le bordel. L'enfer a décidé de passer ses RTT à la surface : les mort-vivants wise fwom theiw grawe, les démons se promènent sans aucune pudeur, des animaux issus d'une obscure branche de l'évolution ne sont même pas en laisse et on allonge la durée des cotisations salariales. Le temps ne se prête pas à la gaudriole. Pis que ça : votre vie sentimentale atteint un niveau de médiocrité record. Et ce n'est pas en faisant la sieste sous une pierre tombale que les choses vont s'arranger. A défaut d'autre chose, vous sautez donc sur l'occasion qui vous est offerte par les dieux de l'Olympe : ramener au bercail la gourdasse de service. Et en un seul voyage si possible. Vous savez, le grand classique : cette oie au corsage plein et à la cervelle creuse toujours incapable lâcher le moindre coup de genou dans l'entrejambe du sombre sbire venu l'enlever. Et comme de bien entendu, il ne l'a pas embarqué dans la commune d'à coté. Non, madame vous attend à Géhenne, rieuse destination des âmes damnées, des entités diaboliques, des experts comptables et des bonnes poires comme vous. Debout feignasse, votre repos éternel a assez duré comme ça. Sortez-vous les doigts du fondement (je ne veux même pas savoir ce qu'ils faisaient là, du reste) et allez botter le séant malodorant de ces métèques à cornes de votre talon de discobole imberbe. Muni de votre gourde, vos sandales de randonnée et vos tablettes du Guide du Routos vous voilà parti en mission d'exfiltration.
Le jeu est à l'ancienne, il est dur, il sent le cuir et la sueur. Remarquez, pour un jeu dans lequel on dirige un grand musclé en slip dans la Grèce Antique c'est somme toute assez logique. Le produit est de la plate-forme d'action parfaitement classique et sans surprise dans son déroulement : vous avancez, vous tapez et essayez de maintenir vos statistiques de mortalité les plus basses possibles. Pour s'en sortir dans ce merdier antique (et non dans cet entier merdique, cessez vos calembours minables) il vaut mieux ne pas être une raviole. Vous devrez aller dessouder du démon avec votre bite et votre couteau. D'ailleurs oubliez le couteau, vous n'y aurez même pas droit. Et comme ce jeu est autorisé aux mineurs, l'autre accessoire sera remplacé par vos petits poings. Si les deux premiers niveaux se passent les doigts dans le nez (d'ailleurs sortez-les, c'est répugnant), les suivants commencerons à vous échauffer la couenne. A l'époque (pensez-donc, c'était il y a 2000 ans) on avait pas inventé les continues ou les recharges d'énergie. Si vous voulez voir la fin, il va falloir faire preuve de la patience du stoïcien et de la pugnacité du spartiate. Bref, que vous morfliez le moins possible. Et la tâche ne va pas être aisée, étant donné que notre bel éphèbe est aussi souple et gracile qu'une armoire normande. Les ennemis vous tombent sur le museau de tous les cotés et vos réflexes de bulot ne sont pas là pour vous aider à gérer les enchaînements d'atémis. Dieu merci (enfin non, c'est un enculé puisqu'il vous a réveillé pour cette mission à la con) le jeu n'est pas non plus la mer Egée à boire, vos adversaires étant surmontables (ceci est une métaphore) avec un minimum d'adresse.
Heureusement, dans la Grèce d'autrefois, si on a pas de fusil à pompe, on a des palliatifs. Les hormones animales pour être plus précis. Parmi toutes les bestioles qui vont vous tomber sur le râble, le loup gris (à deux têtes, c'est un minimum) va vous permettre de mettre un peu de protéines dans vos biceps. L'animal est particulièrement riche en substances anabolisantes puisqu'une fois le museau prestement corrigé il vous lâche une sorte de... heu... de quoi du reste ? D'aucun y verront une représentation miniature de Saturne (la planète, pas le dieu) tandis que d'autres y verront un logo d'une quelconque entreprise des années 80. Peu importe, l'essentiel est que le bidule en question vous charge comme un vainqueur du Tour de France et gonfle vos petits muscles, vous permettant ainsi de boxer du vilain avec plus d'efficacité. Résonne alors un splendide : Powwwwer Up ! du plus bel effet, avec ce délicieux écho qui résonne en tout lieu, même si vous étiez au beau milieu de la Beauce. Au passage, le théorème de l'incroyable Hulk se vérifie ici : au fur et à mesure que votre beau grec prend du volume, ses vêtements se déchirent, pour ne finalement plus couvrir grand-chose. Sauf bien sur son entre-cuisse, pudiquement masquée par un morceau de tissu incroyablement élastique. Notre Adonis gonfle, gonfle, jusqu'à un certain point où vous ressemblez trop à une bouée vivante pour continuer ainsi.
C'est votre coté bestial qui prend alors le relais. Les poils vous poussent, votre museau s'allonge et vous avez une subite envie d'une gamelle de Frolic. Vous êtes un loup. Du moins quelque chose qui y ressemble, une version améliorée disons. Le quatrième stade de vos transformations se solde toujours par une prise du poil de la bête voire de l'écaille de la bête, super pouvoirs à la clé. Au cours du jeu, vous aurez l'occasion de transmuter en 4 type de bestioles : un loup-garou, un dragon-garou, un ours-garou, un tigre-garou et à nouveau un loup-garou avec un joli pelage doré, histoire d'avoir l'air présentable devant votre blonde. Pas de garou-gorille en revanche, n'en déplaise aux mélomanes. C'est à ce moment que la poilade commence puisque désormais plus grand chose ne vous barrera la route. Vous démastiquez du margoulin à grands coups de boules de feu et autres fulguropoings avec un malin plaisir et sans modération. Plaisir qui ne dure qu'un temps toutefois puisque la plupart du temps, le boss de fin de niveau débarque dans l'instant qui suit le début de votre séance d'équarrissage. Mauvais joueurs.
Ces capacités spéciales vous seront d'une grande utilité pour annihiler le club des joyeux démons qu'on vous envoie en comité d'accueil. Qu'avez-vous à affronter d'ailleurs ? Bonne question, une équipe d'experts bosse dessus. Disons que nous avons en vrac : du zombie pugiliste, du mort-vivant body-builder, du loup bicéphale (cf plus haut), du dragon serpent, du blob mangeur de tête, de l'escargot mutant (quoique certains pencheraient plutôt pour du rocher carnivore, le débat reste ouvert) ou encore du bouquetin facétieux. Les avis sont encore plus partagés concernant les boss de fin de niveau. Selon les interprétations de certains, vous aurez à affronter : une motte de terre géante, un arbre à oeil, un fossile hargneux, un hippocampe géant et un sanglier catcheur. Pas réellement de point faible à trouver ou de technique particulière à utiliser pour chacun d'eux : on cogne sans relâche et c'est à qui en aura marre le premier. La saine et classique loi du plus con, en somme.
Jeu de lancement de console oblige, le potentiel de la machine n'est pas pleinement exploité. La Megadrive assure même le minimum syndical. Pour la petite info, le jeu nous vient directement de l'arcade, le System16 de SEGA. La conversion vers nos salons douillets est plutôt réussie. Reste que le jeu est tout de même ancré dans les années 80. Rassurez-vous, il ne porte pas de veste en jean et n'est pas coiffé avec une nuque longue. Non, mais la réalisation n'augure pas encore toutes les merveilles dont va nous régaler la petite machine japonaise. Soyons bref, clair et précis : Altered Beast accuse le poids des ans. Peu de couleurs, des sprites au minimum syndical, une animation qui ne doit pas donner des sueurs froides au processeur principal et une musique qui vous fait pousser cette réflexion, laconique : "tiens, y'a de la musique en fait". En résumé, le jeu n'est pas très beau, plutôt raide et assez vide. Peste, que reste-t-il donc à sauver dans cette production ?
L'esprit série B, voilà ce qui tient encore le jeu. Vous avez vu le Choc des Titans ? Si la réponse est non, dommage pour vous, vous avez raté un sacré bon film. Il y a même un monstre qui mange des vierges. Tellement bon du reste que je ne serais pas étonné qu'il ait inspiré le développement du jeu. En se baladant d'un niveau à l'autre, on a l'impression d'être dans un bon vieux B italien de la grande époque, ceux des
Maciste et autres péplums transalpins dans lesquels des culturistes lançaient des rochers en mousse sur des monstres, en mousse également. Voilà ce qu'évoque Altered Beast : une série B, voire bis, adaptée sur un modèle de jeu vidéo. Simpliste sur le fond, bricolé sur la forme, comme peut l'être ses homologues cinéma. Cheap dans sa globalité mais attachant. En dépit de ses limites techniques, il y a toujours ce petit plaisir à démastiquer du mort-vivant ou du bouquetin démoniaque à coup de direct du gauche pour les vaporiser dans un nuage de viande, même pas kasher.
Le jeu souffre clairement du syndrome des productions de lancement de console. Il a du mal à dissimuler le poids des ans et vieillit logiquement moins bien que d'autres jeux de la ludothèque du bébé de SEGA. Plutôt pauvre graphiquement, assez court, gameplay un poil rigide et globalement assez kitsch, bref il appartient à la première ligne, celle des années 80 et qui a essuyé les plâtres pour ouvrir la voie aux petites bombes qui ont défilé par la suite. Il n'empêche, il fait partie, dans une certaine mesure, des incontournables de son époque, ne serait-ce que pour sa valeur historique. Et ses zombies boxeurs.