On aime quand le Soviet éponge.
Greendog
SEGA - 1992
Son of a Beach par Fungus

Extras : Musique - Manuel TXT - Manuel PDF
A défaut de se souvenir parfaitement où il avait rangé son temps, Proust avait raison sur un point : la madeleine, c'est drôlement bon. Particulièrement lorsqu'elle vous embarque dans un petit retour en arrière. Ici, la madeleine est noir, rectangulaire, en plastique et se consomme avec 16 bits - vous pouvez inviter des copains. Faisons un bond dans notre faille spatio-temporelle préférée, nous voilà parti en 1992. Le souvenir qui nous intéresse prend la forme d'une suave chaleur d'été. Cet été est prolixe : Séville s'enorgueillit de son exposition universelle, Picsou Magazine vous offre des tatouages à la con alors que l'an passé vous aviez eu droit à un aileron de requin en polystyrène en vous faisant croire que vous allez terroriser les plages de La Rochelle, les roucoulades d'Eddy Mitchell résonnent dans les salles de cinéma avec Roco.o.Rico, Bérégovoy signait pour une saison au Club des Joueurs de Flute à la Rose et le Nicaragua participait à la Coupe du Monde de football mais seuls parce qu'ils sont un peu cons. Pléthore de souvenirs qui surgissent en masse, tels des estropiés naïfs à Lourdes.



Vous dirigez Greendog, un surfer façonné sur les critères de ce qu'on considérait comme cool à cette époque. Ce qui donne au final un ersatz de Fido Dido à la mèche blonde (à moins que cela soit une casquette à poils, difficile de dire). Nous sommes en 1992 et on estime que mettre sa casquette à l'envers est un signe de distinction hautement raffiné, rappelons le. Greendog est cool. Il vit en bord de mer. C'est donc un surfer. CQFD implacable. C'était ça ou promoteur immobilier. Un surfer qui base son charisme sur une tignasse blonde et un bermuda. Oui, à l'époque l'archétype de la pédale androgyne sombre et manucurée ne servait pas encore de référent pour ce qui est de l'élégance dans un jeu vidéo. O tempora o mores et c'était pas plus mal.



Qu'arrive-t-il à notre héros au torse nu ? Pas grand-chose en fait, c'est un glandeur. Néanmoins, cette existence faite de sea, de sex et de sun prend un tournure légèrement inédite le jour où il trouve un mystérieux médaillon non pas dans une discothèque de Bratislava mais bel et bien sur la plage. Le bijou est certes joli mais s'il a été abandonné, ce n'est pas par hasard. Entendez par là qu'il est imprégné de la traditionnelle malédiction à la con, proférée par un prêtre quelconque qui n'avait visiblement que ça à foutre. Résultat des comptes : si notre surfeur gagne en élégance, il se fait sucrer ses capacités à manier la planche. L'image de marque prend donc un sacré revers dans le museau. Tout n'est cependant pas perdu, puisqu'une entité divine quelconque (mais néanmoins à la mamelle généreuse et faiblement couverte) vous confie la mission de récupérer les fragments d'un bibelot aztèque sacré éparpillés dans l'archipel. La réunion de ce puzzle vous permettra de ne plus avoir les aptitudes natatoires d'un sac de briques.



Greendog donne dans l'exotisme de pacotille, façon Honolulu pour les touristes. Du temple indigène à l'esthétique coincée quelque part entre la période pré-colombien et l'art polynésien, du sauvage rigolo, du touriste gras à bob, des pirates plus ou moins morts dans une grotte, des noirs et des palmiers. C'est rococo au delà du raisonnable, dans le genre carte postale vite imprimée pour figurer sur le présentoir d'un bar-tabac d'une station balnéaire de seconde zone. Peu importe, on est un peu là pour ça, savourer un dépaysement carton-pâte. Un jeu se déroulant au bord de mer doit un minimum fleurer les cocotiers, le ukulélé et l'autochtone en pagne. On a payé pour ça, merde.



Les niveaux se déroulent selon le même schéma : on traverse un paysage en luttant contre sa faune hostile (animaux, indigènes, experts-comptables) à coup de frisbee (oui, à l'époque l'objet était encore tendance) pour accéder au temple dans lequel se cache la précieuse relique, défendue par un totem aztèque vaguement maléfique. Simple. Simplissime même. L'amateur de jeu de plate-forme un minimum retors aura à peine de quoi se rembourrer une dent creuse. Le jeu est globalement d'une linéarité à frémir. Ce n'est pas pour autant rédhibitoire mais ce n'est pas avec ça qu'on allait faire concurrence au plombier moustachu sur la console d'en face à la même période.



Le challenge a profité de la chaleur estivale pour prendre un congé, la difficulté étant tout ce qu'il y a de plus relatif. Au pire quelques boss et certains errements de level-design vous grignoterons quelques vie. Au-delà de ça, on avance sans grand risque d'ampoule aux doigts. Les ennemis sont modérément nuisibles, les boss fonctionnent sur un schéma identique et les quelques pièges font plutôt office de figuration qu'autre chose. Hormis les séquences à roulettes dans les niveaux de temples, l'ensemble est de la petite bière (de table) pour le joueur un minimum aguérri aux titres de l'époque. Régler son compte au jeu en plus d'une heure constituerait un terrible aveu de faiblesse. Ho, il y a bien une poignée de bonus qui viennent agrémenter le tout (augmentation du temps, super-frisbee, chapeau rigolo à la con) mais ne soyons pas dupes, cela tient plus du nain de bûche de Noël que de la tendre couche de génoise. Cette métaphore tordue ne vous sera pas facturée.



Pour autant, on retrouve l'esprit cool saupoudré de fun vendu par la jaquette dans des phases à roulettes. Entre deux séances de frisbee, vous aurez à traverser des niveaux en chevauchant des rollers ou une planche à roulette également appelée skateboard par la jeune génération. Ce sont d'ailleurs peut-être les moments les plus agréables du jeu. Le jeu sort de sa raideur des phases de plate-formes pour insuffler quelques gouttes de dynamisme dans une maniabilité qui sent un peu l'arthrite. Pour ne pas vous ramasser le museau au fond d'un gouffre ou d'une fosse d'épieux, vous devrez aiguiser vos réflexes et avoir le sens du timing. La difficulté de ces séquences contraste d'autant plus avec la monotonie mollassonne des phases classiques.



Chose intéressante : vous êtes potentiellement invincible. Dans les faits, une fois votre barre de vitalité grignotée au maximum, vous perdez votre précieux frisbee qu'il vous faudra récupérer sous peine de vous faire dézinguer par le premier incorrect venu, la perte de l'objet fétiche pouvant se répéter de façon infinie. A noter qu'en dépit de ses aptitudes de surfeur, notre gaillard blond ne sait pas nager, comme en témoigne ce niveau où il vous faudra jouer avec la marée montante dans une grotte. On frise l'escroquerie.



Pour ce qui est des pixels qui nous sont envoyés vers nos douces rétines, on constate que la Megadrive n'avait pas encore amorcé sa transition technique. Elle devait encore atteindre le dernier niveau en quelque sorte. La Super Nintendo ne lui avait pas encore suffisamment collé la honte pour faire réagir la firme au hérisson et la dame aux 16 bits (une gourmande) ne nous avais pas encore délecté de ses prouesses visuelles. Attention cependant, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit : je n'ai rien contre les arabes. Je ne vois même pourquoi vous me parlez de ça d'ailleurs. Si la Megadrive ne sue pas sang et eau pour flatter notre rétine, l'ensemble n'en reste pas moins honorable. Les couleurs sont vives, les personnages rigolos et l'ambiance bon enfant. Hormis des arrière-plans manquant de consistance ("hoo le bel aplat de bleu"), il n'y a pas de quoi bouder son plaisir.



En revanche, les choses se compliquent coté son, la Megadrive retombant dans ses vieux travers et ses démons. Hormis un thème globalement sympathoche et une poignée de mélodies guillerettes, on a les oreilles qui piquent. L'ambiance sonore laisse plus à penser que l'on se balade dans une usine usinant des pièces métalliques que dans un cadre balnéaire. Pensez donc : des oiseaux faisant un bruit de synthétiseur fatigué ça jure. Et ce ne sont pas les quelques toudidou plus ronds à l'oreille essaimés deci delà qui parviennent à rehausser le niveau. Mention passable, vous les ronds de cuir de chez SEGA.



J'avoue, je me suis laissé charmer par la jaquette du boitier et quelques captures d'écran dans un Consoles + du siècle dernier en me disant que j'allais avoir entre les mains un jeu fleurant bon le funk et les chemises à fleurs. Las, j'ai eu finalement un jeu bon esprit mais à la réalisation qui ne vas pas jusqu'au bout de ses intentions. Heureusement que la nostalgie rattrape l'ensemble et nous entraîne dans une ambiance estivale telle qu'on l'idéalisait au début des années 90.



Parce que nous sommes sur un site oldies. Au cas ou vous pensiez être sur une site de partage de photos de vacances, retournez barboter dans les flaques du Web 2.0, ouste. Ici on aime les vieux trucs (votre mère est comprise dans la liste), pour des raisons parfois plus ou moins vaseuses. Et le oldie est un peu con et entêté même, allant parfois jusqu'à aimer les jeux Jaguar et 32X. Imaginez un peu. Et c'est aussi ça la magie d'une âme nostalgique : on se laisse charmer par les couleurs bigarrées d'une simple jaquette et notre cœur convainc notre raison que le jeu que l'on vient d'arracher à un obscure boutiquier sans amour vaut un peu plus que ce qu'il n'est vraiment. De fait on finit par l'aimer au-delà du raisonnable. Ne nous jugez pas, la chair est faible.

Tiens, je vais feuilleter mon Picsou Magazine de juin 92 pour la peine.


Le point de vue de César Ramos :
Peu commun sur les étalages, à prix modéré néanmoins