Si la succession des générations de consoles nous a appris quelque chose, c'est bien que des pépites peuvent faire surface dans la ludothèque d'une machine lorsque celle-ci se retrouve poussée au placard par sa remplaçante. Elle aura un sursaut d'orgueil quand elle se voit acculée par la nouvelle génération. Et tout le monde sait que c'est souvent désagréable de se faire acculer. Une console sentant sa fin proche peut offrir ses meilleurs jeux donc. Tenez, prenez par exemple la 32X qui... non, attendez, mauvais exemple. Illustration plus noble : la Megadrive. Au crépuscule de sa carrière, la glorieuse 16-bits de SEGA s'est démenée comme un diable pour flatter l'oeil et la main du joueur avec de véritables perles. Et Vectorman fait partie de ces performances.
Un demi-siècle de littérature et de cinéma d'anticipation nous a permis d'être surs d'une chose : le futur, c'est pas de la meringue. On a beau tout prévoir dans les moindres détails, imaginer le moindre petit caca dans la mécanique, il y a toujours la possibilité que ça merde : désastre écologique, holocauste nucléaire, société totalitaire, la droite au pouvoir... Bref, le futur n'est pas un coin où on a envie d'aller en vacances. Qu'est-ce qui cloche dans l'univers qui nous intéresse ici ? Un problème simple : nous sommes de gros dégueulasses. Enfin, surtout vous, qui roulez toujours dans votre 404 avec son hémorragie d'huile et qui allez faire caca sans tirer la chasse. Et ça, vous avez été des millions à le faire. Bravo. Désormais la Belle Bleue doit être rebaptisée l'Affreuse Verdâtre et ressemble à un terrain vague après un festival de rock. Impossible de faire un pas sans marcher sur un papier gras, une flaque radioactive ou un cadavre d'enfant, sale qui plus est.
Ce qui nous amène au second problème : la ferraille. Plus précisément cette qui bouge toute seule, parle et décide parfois de façon spontanée de vous éviscérer avec une pelle de chantier. Devant l'ampleur de la pollution et faute de population immigrée suffisante, il a été décidé que le nettoyage de tout ce merdier allait être confié à des robots. Sauf que les robots laissés à eux-même, c'est comme des gosses ou des socialistes : tôt ou tard c'est le bordel. Dans le cas présent, ça n'a pas manqué : suite à une erreur sur une chaîne de montage, un robot se voit greffer une tête nucléaire à la place du crâne - inutile de vous dire que l'ouvrier a été viré fissa. A partir de là, il va se comporter comme n'importe quelle personne qui aurait une arme de destruction massive comme tête : il décide de conquérir le monde. Classique. Qui n'a jamais des penchants mégalomanes une fois un armement nucléaire greffé sur le corps ? C'est humain après tout. Enfin, robotique en fait.
Soyons clairs dès le départ : je ne suis pas homosexuel, Attendez, non, ce n'est pas ça. Ha oui : le fait est qu'avant tout, Vectorman est un Run 'n' Gun tout ce qu'il y a de plus classique dans la forme. L'équation reste inchangée : personnage + adversaire= coup de plasma dans le museau. Une simplicité dont découle tout son efficacité. Moi gentil, toi méchant, moi tirer, toi petit nuage de particules. Mathématique simple. Pour autant, ce que le jeu ne renouvelle pas sur la base, il le compense allègrement avec le reste.
D'entrée de jeu la Megadrive se démène comme un diable pour nous en mettre plein la vue. Sans que l'on ait demandé quoi que ce soit, on se mange un paysage avec scrolling différentiel en arrière-plan à vous faire pleurer des larmes de bonheur. La machine rivalise d'audace et ose même les variations d'éclairage, le héros de métal devenant ombragé lorsqu'il passe à couvert. Certes, les esprits persifleurs souligneront qu'il s'agit d'un simple changement de teinte au niveau des sprites. Mais on les emmerde. Sachons profiter de la simple beauté d'une poignée de pixels finement ciselés. Le niveau sous la mer est du même tonneau avec ces rayons de lumière délicieusement filtrés par l'eau. Rajoutons-en même une couche avec les autres niveaux, qui jouent délicieusement avec des tonalités claires-obscures, l'obscurité d'encre en contraste avec la lumière brute. Oubliez les univers chatoyants et hauts en couleurs des ténors du genre, tels que Gunstar Heroes ou la mythique série des Contra . Ici on fait des économies d'énergie et on éclaire au minimum. Les couloirs sont aussi sombres que l'esprit d'un militant d'extrême-droite. On est dans un futur qui pue, rappelons-le. Les rares fois où vous vous baladerez à l'air libre, le temps sera pourri. Des nuages, du froid et des précipitations dans le Golf de Gascogne. Et tout le charme du jeu viens de cette obscurité, froide et inquiétante. La console n'y va pas avec une demi-molle et tant d'amour du travail bien fait réchauffe le cœur, aussi synthétiques soit-il. Au delà même des graphismes rutilants, c'est la fluidité de l'ensemble qui force le respect. D'aucuns se souviendront du boss mécanique de Castlevania Bloodlines sur la même console et de sa splendide animation. Vectorman c'est pareil, en mieux. L'assemblage métallique se meut avec une décomposition de mouvement qui en aura surement laissé plus d'un pantois à l'époque où la capture de mouvement n'était qu'un vague concept.
Dès le deuxième niveau, ô surprise, le jeu change radicalement d'approche. En lieu et place du niveau de plates-formes précédent, on se retrouve aux commandes d'un tank roulant sur rails en altitude, le tout sous la forme d'un ersatz de shoot-em up vertical. Un gorille robot (voire plus bas la note concernant les cyber-bestioles) tente mesquinement de vous faire dérailler en barrant la voie des ses paluches métalliques et probablement sales. Une fois de plus, la dame en noir de SEGA se secoue les tripes pour notre bonheur en ajoutant des déformations et effets de perspective qui forcent le respect. L'exercice est cependant de courte durée puisqu'il s'agit en fait d'une des phases de bonus courtes mais fun qui parsèment l'ensemble. Le jeu sera rythmée ainsi, des petites friandises de ce genres venant faire office de charnière entre deux niveaux. Vous aurez ainsi droit à un jeu d'adresse sur une piste disco, un jeu de cache-cache écrabouille (concept) et même un rigolo clone de Zoop. De délicieuses cerises confites sur un excellent gâteau. Miam. Pour tous ces passages, un seul mot d'ordre : de l'action. Il faut que ça bouge, hop hop hop. Pas d'éléments superflus, on est pas là pour tricoter du gazon.
Vectorman est un modèle qui attirera toutes les ménagères soucieuses d'efficacité : il est multi-fonction. Tout au long du jeu, vous aurez la possibilité de vous transformer pour surmonter un obstacle ou tout simplement pour le fun. L'ami robot peut se changer, pour une durée limitée, en machines aussi variées qu'une voiture, un véhicule marin, un marteau-piqueur ou même un bombe (concept). Plus accessoires qu'autre chose, ces options vous permettront la plupart du temps de débusquer des passages secrets pour vous goinfrer de bonus. Et de faire le con avec votre androïde. Gogo gadgeto robot. A ceci, viennent se greffer des options plus classiques qui vous permettront de faire bouffer du proton de façon plus efficace. Les amateurs de Contra seront même en terrain connu : du tir automatique, en mitraille, au flanc. Rien qui ne transpire d'une originalité folle mais peu importe, le déroulement reste d'une redoutable efficacité.
Petit aparté : un truc m'a toujours amusé dans la cosmologie des histoires de robot, à savoir le concept du robot musclé. La logique voudrait que l'être de métal et divers polymères issu des aspirations prométhéennes de l'homme défiant l'œuvre du Seigneur lui-même s'affranchisse des contraintes fonctionnelles qui limitent nos actions d'êtres pathétiquement organiques. Pas clair, hein ? Faisons plus simple : allez-vous m'expliquer pourquoi un robot qui n'a pas besoin de muscles pour être costaud doit ressembler à un foutu culturiste ? Ils disposent de pistons hydrauliques, des batteries nucléaires et des articulations en tungstène mais ils ont quand même besoin d'avoir les épaules des nageuses de la grande époque de l'Allemagne de l'Est. Non contents d'être armés de canons à protons, ils fréquentent également la salle de musculation. Métaphoriquement du moins. Frimeurs de merde.
Tenez, restons dans le registre du folklore robotique et attardons nous sur ce qui vous tombe sur le râble métallique. Des robots. Certes. Mais des robots de toutes sortes. On frôle même le n'importe quoi à certains moments. Outre les robots à gros bras susmentionnés, on se fait picorer l'arrière-train par toute une faune de cyber-bestioles : des moustiques, des poissons et mêmes des extincteurs (on ne s'en méfie jamais assez). Et il a tendance à en surgir d'un peu partout. Loin d'être spécialement coriaces, ils ont néanmoins tendance à se comporter comme de vilaines petites salopes, profitant odieusement d'un coin d'ombre ou d'un élément du décor pour vous sauter dessus sans autre forme de procès. Et les boss de fin de niveau donnent dans le même registre : du rigolo saupoudré de n'importe quoi. A titre d'exemple, vous aurez maille à partir avec un pélican se transformant en ours cracheur de feu, un robot-singe ou l'inévitable tête nucléaire sur pattes mentionnée quelques paragraphe plus haut. Le futur est véritablement un véritable terrain de jeu pour cybernéticien immature.
S'ajoute à tout ceci le que fait que l'ensemble du jeu est long. Très long, même. Une brouette de niveaux se dressent entre vous et la despote machine de fin. Le challenge est globalement assez relevé. Treize niveaux à déguster en petites gorgées. Des gorgées qui picotent un peu la gorge tout de même, les niveaux ne se traversant pas comme un green de golf à bord d'un 4x4. Les ennemis ne sont pas particulièrement retors et les niveaux globalement linéaires. Le risque, en revanche, est d'être grisée par la puissance de feu protonique mise à votre disposition et de foncer dans le tas en tirant à vue et en hurlant "Sobreeeevidaaaa" -ce qui ne veut rien dire soit dit en passant. Erreur fatale qui risque de se solder en un petit nuage de boulons et d'énergie : vous. La tentation est grande mais la prudence est de mise. Après avoir reçu quelques décharges dans le fondement ferreux, vous aurez tendance à frapper avant d'entrer et à avancer à tâtons (dans la gueule, certes) pour progresser. Traverser l'ensemble du jeu tiendra surtout de la course de fond plutôt que du sprint effréné.
Vectorman est une perle ornant la rutilante joaillerie d'une époque bénie. Celle où la notion d'identité pour une console de jeu avait encore un sens. Ces temps, pas si anciens, où chaque constructeur s'efforçait de ne pas ressemblait à celui d'en face et où pousser un système dans ses derniers retranchements signifiait encore quelque chose. Cette époque où l'on pouvait véritablement choisir son camp dans une guerre idiote dont les moins se 20 ans se contrefoutent et qui fait briller une petite lueur nostalgique, un peu futile, dans l'oeil des vieux de la vieille. Le chef-d'œuvre des petits gars de Blue Sky donnerait presque des larmes aux yeux tant il offre une fin de règne pleine de panache à la merveilleuse petite machine de SEGA. Une page se tournait à l'époque mais elle était en lettres d'or sur papier vélin. We are the robots.