Shadow Warriors. Voilà un nom qui sonne bien pour les oreilles du joueur Oldies. Mais que se cache-t-il derrière ce titre bien connu ? Ce jeu est-il nippon ni mauvais ? Se démarque-t-il de la grande masse de jeux de ninjas sur NES ? Autopsie annoncée d’un classique de la NES, acte 37.
Le connaisseur érudit et attentif aura d’ores et déjà noté que j’ai choisi le titre européen de la cartouche. Alors que la série est bien connue sous le nom de Ninja Gaiden outre-Atlantique et que nous-mêmes joueurs croissants baguettes et bérets le nommons sous ce titre. Eh bien mon petit Candide, sache que nous sommes ici en Neurope et qu’en tant que bon neuropéen j’utilise la formule consacrée (et je fais le ramdam sur internet tout en plaçant ma voiture sur une zone de stationnement. Le français pour la gagne.)
Pour la petite anecdote de fin d’introduction, apprenons ensemble que Shadow Warriors est le titre du premier jeu de la série par chez nous, mais que sa suite se voit affublée d’un sous-titre « Ninja Gaiden 2 ». Alors que le troisième n’existe pas en Europe et s’appelle donc officiellement Ninja Gaiden 3. Bonjour la confusion.
Notons également qu'il aura fallu trois ans au jeu pour parvenir du Japon (1988) à la France (1991), écart suffisamment long pour que sorte au Japon, quelques mois plus tôt de la même année, le troisième et dernier opus de la série... Les délais d'importation étaient plus qu'élastiques mais nous trouvions pourtant le moyen de nous en complaire pleinement. Une simple capture d'écran mal photocopiée d'une preview japonaise dans un magazine suffisait encore à nous émoustiller. Joypad, Player One ou Consoles + remportaient sans peine leur duel face à Mallaury Nataf pour charmer la jeunesse. Comme le dirait l'un de nos illustres contributeurs,
Oh simple thing where have you gone ?
Bref. Si comme moi, vous avez connu Shadow Warriors au moment de sa sortie, ce qui vous a frappé –avant le poing accusateur de votre grand frère à qui vous avez encore cassé ses Lego– est la qualité astronomique de ses cinématiques. Oui, je dis astronomique et je réitère. Astronomique.
Déjà qu’une cinématique (ou une introduction) était alors tout à fait facultative, Temco nous balance là du foie gras et son supplément de confiture de figues alors que nous n’attendions rien de plus qu’un petit Choco BN et un diabolo grenadine. J’imagine que vous êtes comme moi et que vous aimiez aussi poser la manette au démarrage de tout jeu, en espérant secrètement et fébrilement voir démarrer une introduction de bon aloi qui ferait briller vos petits yeux de tout au plus pré-adolescent. Et si vous n’étiez pas comme moi, tant pis, vous n’avez pas d’âme et vous irez brûler en Enfer le jour du jugement dernier. Il n’empêche que j’étais plongé dans une infinie tristesse quand un jeu ne contenait pas cette belle petite séquence animée. Autant dire que j’étais trop souvent triste.
Mais là… Wow. J’étais tellement fier de cette intro que je démarrais le jeu juste pour le montrer à un copain invité à la maison histoire qu’il sache. Oui, regarde un peu ça, on dirait un FILM. Pas moins.
Deux ninjas qui s’élancent dans une verte prairie, sous une lune brillante, pour un duel intense. Le tout accompagné d’une bande-son fantastique. Enorme. Brillant. Le jeu aurait pu se limiter à cette séquence, ç’aurait été pareil vu le nombre de fois où j’ai allumé ma NES juste pour la voir. Rien que pour ça !
Si vous êtes comme ci, téléphonez-me.
Or, il se trouve que par un heureux hasard, derrière cette séquence d’intro se cache UN JEU. Incroyable ! Et à ce moment, vous pourriez être en droit de demander si insister à ce point sur une intro (ai-je dit à quel point elle était ENORME ? Les superlatifs me manquent) ne dissimule pas quelque chose de louche. Oui vous en avez le droit. Mais en fait non. Parce qu’il m’est impossible de ne pas m’épancher sur ce sujet puisqu’il est la première chose que vous verrez en démarrant le jeu. Et ce n’est pas tout.
Car en plus d’en mettre plein la vue dès ses premières secondes, Shadow Warriors est un bon jeu. Tout simplement. Je pourrais mettre là le point final à cette critique tant tout est dit, mais ce ne serait pas lui rendre hommage.
On y dirige un ninja du nom de Ryu (patronyme hautement original du panorama vidéo-ludique, ou quand l’inspiration vient à manquer) parti en mission pour venger son cher papa mort au combat. Si vous avez vu l’introduction, inutile de passer plus de temps là-dessus, tout y expliqué. Bon, là, ça ressemble à du très commun, je le concède volontiers. Or la construction du jeu est très inédite puisqu’il est monté comme un film ! Rien que ça ! Chaque niveau est présenté comme un acte (avec son animation et sa musique percutante) et ponctué d’une nouvelle cinématique qui pose les jalons d’une intrigue rudement travaillée. Car Shadow Warriors cache un scénario costaud, ça change pas mal des productions de l’époque et des princesses à sauver dans un autre château.
Souci étant, à cet âge-là, ma maitrise de l’anglais ne me permettait pas encore de lire du Steinbeck, du coup le scénar’… Ce qui me permettait de me consacrer à l’essentiel, le jeu. Qui est nerveux et exigeant. Le p’tit Ryu bouge vite et bien, aux antipodes d’un Simon Belmont et son balai dans le fondement de Castlevania (toujours et encore le même exemple éculé. Pauvre Simon). Et tant mieux pour notre héros, car il aura fort à faire vu le nombre de sales enfants de mauvaise famille qui lui en veulent personnellement. Pourquoi ? Je l’ignore. Peut-être a-t-il dérobé un pain au chocolat dans la boulangerie du quartier et que le tenancier a lancé un avis de recherche international à son encontre. Le fait est-il qu’il va pouvoir jouer du sabre dans tous les sens pour trancher du vil escogriffe dans les longueurs, les largeurs, les profondeurs (dans tous les sens j’ai dit). En ponctuant chaque sortie d’un « shlac » vengeur, bruitage singulier et un brin inapproprié. On ne peut pas être au top partout.
Et puisqu’il est un ninja, l’ami Ryu est capable de s’accrocher aux murs et de sautiller d’une paroi à l’autre. Rien que cet argument suffit à convaincre le joueur Oldies du potentiel qu’il a au bout de la manette. Seule ombre au tableau, la petite latence au moment où notre ninja se colle au mur et où il peut en repartir. Comme dans Batman, si ce n’est qu’il reste bien collé à la paroi et que la grimpette n’est pas un mécanisme parfaitement huilé (ce qui tranche un peu avec son maniement au sol), réaliser un saut sur une courte distance peut devenir plus compliqué qu’il n’y parait.
Autre petit souci regrettable, la fâcheuse tendance qu’a notre jeune héros à subir un recul énorme et irréversible lorsqu’il est blessé. Sur un terrain plat, ce n’est pas trop un problème, mais dès qu’un précipice se profile ce n’est plus trop la même histoire. Le deuxième monde expose rapidement les problèmes incombés par ce recul inopiné, fichtre.
Du coup, si notre ninja est d’une efficacité redoutable pour détruire les méchants qui parsèment sa route, la moindre collision le rend aussi vulnérable qu’une fillette à bord d’un bangbus conduit par Emile Louis. Traduction : vous allez prendre cher et salement. La musiquette accompagnant chaque perte de vie vous sera accessoirement vite insupportable, tel un compagnon de route agréable à la première impression, mais dont on se débarrasserait volontiers sur la prochaine aire d’autoroute dès lors qu’il aura décidé de chanter par-dessus tous les titres diffusés par une autoradio dont le bouton on/off est défectueux. Et bloquée inexorablement sur Skyrock de surcroît.
Pour rendre les choses plus acceptables, on peut utiliser les armes secondaires ramassées. Une seule à la fois, c’est dommage, mais quel résultat ! Loin du très classique shuriken, le plaisir du shuriken boomerang ou celui de la botte secrète ninja. Ou le bouclier de feu. Gros gavage en perspective pour les affrontements face aux boss ! Inutile de dire qu’à l’exception des deux premiers, ceux-ci ne dénotent pas dans la difficulté ambiante du jeu. On touche même à une difficulté frustrante tant le jeu se veut bien huilé et assez nerveux, mais totalement imparable lorsqu’il est question de se mettre au-devant de ses échecs. Ca pique, on y retourne volontiers pour essayer d’aller plus loin, du moins jusqu’à ce que ses limites le permettent.
Il n’empêche que l’on progresse de manière frénétique, sans réels temps morts, bien aidé par ces ennemis qui disparaissent en un seul coup de sabre. Je pourrais appeler ça un « run and slash » et je le fais d’ailleurs. Paf. On court jusqu’à rencontrer une mort sournoise, jusqu’à de ses erreurs et apprendre les patterns par cœur pour finalement ne plus trop se faire prendre au piège. C’est que l’on appelle l’exigence et la persévérance, deux des pierres angulaires de ces titres que nous chérissons tant. Tout simplement.
Le jeu est très difficile mais livré dans un si bel écrin. Les cinématiques et son scénario sont travaillés comme jamais pour un jeu NES et sa bande-son est dantesque, quoiqu’assez inégale. Non pas qu’il y ait vraiment des hauts et des bas, mais certains thèmes tutoient à un tel point les anges d’un dynamisme indéniable que les autres en pâtissent forcément et en deviennent très moyens. Ils accompagnent malgré tout l’action à merveille et ravissent les oreilles : c’est bien ce qu’on leur demande ! (‘fin bon je dis ça mais je n’aime pas trop le thème des boss, les goûts et les couleurs…)
Quant aux graphismes, ils font le job : une palette un brin pâlotte et un sens du détail trop poussé rend l’ensemble parfois confus et terne, mais le résultat est très efficace. La NES a sans aucun doute matière à rendre quelque chose de plus joli mais perso, je trouve qu’ils collent parfaitement à l’ambiance voulue réaliste, donc je m’en complets parfaitement. Et je ne dis pas ça parce que je suis très bon public pour le rendu des jeux NES. Je pourrais facilement monter une amicale des graphismes baveux et colorés entre deux stands de la foire au gras de Castelnaudary, je serais peut-être le seul membre mais au moins il n’y aurait pas de désaccord avec la ligne directrice !
Je peux sans honte affirmer que je n’ai jamais terminé ce jeu sur console. Il faisait même partie de ces rares cartouches de mon tiroir qui se montraient récalcitrantes, à côté de TMHT et Battletoads ça se pose bien. Je me souviens bien d’une après-midi estivale de 2003 en pleine période de job saisonnier. Seul à la maison, j’avais installé la console dans le salon, prêt à en découdre et enfin montrer au jeu qui était le patron ! Paré de ma plus grande détermination, certain de mon expérience, je traversais les niveaux animé d’une grande froideur presque professionnelle, assuré que la victoire serait au bout de ma route. Rien ne saurait entraver la voie du succès.
…
Tout ça pour me faire plier lamentablement face à l’une des formes du boss final et sa bille de Bozo le clown. Rétamé comme une merde sans même comprendre ce qu’il fallait faire. Humiliation totale. Echouer si près du but dans l’impuissance absolue. Alors qu’en fait, la cinématique précédant le duel désignait clairement la cible, quelle négligence de ma part ! Non content de rire mesquinement de ma faiblesse, le jeu soulignait clairement et ouvertement mon incompétence. Cette claque me fait mal, encore aujourd’hui.
Je ne vous décris pas mon air déconfit lorsque j’ai vu un gars terminer ce jeu sur le net et découvrir qu’il y restait non pas un, mais deux boss supplémentaires à affronter après. Ah. Ah. Aaaaaaaaaaaaaaah.
Une goutte de sueur remplie d’effroi coule le long de mon échine en écrivant ces lignes. Le jeu est finissable (mouais) mais tellement exigeant qu’il en devient monstrueux. Tout échec face au dernier boss, quelle que soit sa phase, renvoie au début du niveau 6. C’est juste insupportable pour les pauvres nerfs qui avaient été déjà bien mis à vif par ledit niveau, un modèle du genre de pression et de torture psychologique.
Tout cela fait de Shadow Warriors un énorme classique de la NES, un titre auquel il est bon ton de se mesurer pour savoir si oui ou non on a dans son pantalon. Attention messieurs, votre virilité risque bien d’en prendre pour son grade.
Et un petit cadeau Bonux pour la route : le joueur Oldies aguerri le sait bien, le Japonais est une quiche en anglais et nous livre souvent de belles erreurs de syntaxe dès qu’il est sujet de rédiger un texte dans la langue de la perfide Albion. Evidemment, Shadow Warriors n’échappe pas à la règle et traine aussi son petit lot de coquilles rigolardes auxquelles on pourrait hurler la question déchirante, complètement nu au bord d’une falaise face au soleil couchant : « Pourquoi ??? »
Quand soudain, au bout des crédits, la révélation.
La fine équipe, réunie pour vous.