"Ma petite maman chérie,
Mon tout petit frère adoré,
Mon petit papa aimé,
Je vais mourir !"
Tel aurait pu être l’épitaphe de ce jeu René Shadow Vidéo. Mais il n’en est rien.
Promis, j’arrête cet humour ras la Môquet. Place au jeu.
Shadowgate est un point’n click. "Encore un" me dira-t-on, mais justement non : les point’n click, c’est le bien, surtout s’ils sont bons. Ah ah, ai-je d’ores et déjà vendu la mèche en même pas trois paragraphes, ce jeu serait donc BON ?
Patience, jeune scarabée. L’impatience est l’ennemi du désir. Contente-toi de lire, tu verras à la fin, il y aura peut-être un passage à lire avec des lunettes 3D.
Un point’n click donc. Du haut de ses plus grands titres, le genre nous contemple. Oui, je pense bien à vous, Day of the Tentacle, Monkey Island et Counter Strike. Quoique non, pas Counter Strike. Quoique ce dernier possède avec l’intéressé du jour une perspective intéressante : la vue à la première personne.
Redéfinissions donc en exclusivité mondiale Shadowgate comme étant un FPC,
first person clicking. Et d’un seul coup, ça en jette beaucoup plus. Ou pas.
Cette vision a pour principal intérêt de plonger le joueur dans l’ambiance même du jeu, au hasard des dédales sinueux et sombres du château. Et niveau ambiance, croyez-moi, ça balance pas mal. Et si, à l’heure des Resident Evil et autres survival horror, on pourrait être tenté d’esquisser un sourire moqueur, je persiste et signe : l’ambiance qui entoure ce jeu a de quoi foutre les pétoches. Quand on a huit ans et qu’on voit le jeu par-dessus l’épaule de son grand frère.
Je n’ai pas honte de le dire : oui, ce jeu a réussi à me faire connaitre ces premiers vrais frissons de terreur sur console. Et c’est bien la raison pour laquelle je me dresse devant lui aujourd’hui, la plume à la main, car il faudrait être vraiment mad ou très con (voire même les deux !) pour baisser sa garde devant un pavé plastique tout gris. Et une foultitude de possibilités de mourir aussi improbables qu’inattendues.
L’histoire est toute simple : vous incarnez un jeune héros de lignée royale envoyé pour occire le tyrannique sorcier Warlock en son antre sordide de Shadowgate. Le décor est posé, vous êtes seul, armé de votre seule bite et d’un couteau pour faire face aux nombreux pièges mortels et sanguinaires que les développeurs ont imaginés. Esprits tordus que ces hommes, je dois l’admettre, leur fourberie n’a d’égal que leur ingéniosité.
Le cheminement type du jeu pourrait se résumer à ceci : entrée dans une pièce – examen – clic malheureux – mort sordide. C’est à peine caricaturé, certes. Mais autant certaines issues sont plus qu’évidentes ("Tiens un dragon, et si j’allais lui dire bonjour ?" – VLOUF – "Ah ben c’est amusant ça, je suis mort"), d’autres sont bien plus vicieuses et inattendues. Comme cette simple porte accessible d’un pas leste, en plein milieu du couloir. Mais bien entendu qu’il faut tout explorer pour progresser, prêt à cliquer dessus ?
Ah ah. Tu es mort jeune fou.
C’en serait presque lassant si l’écran de game over n’en était pas un vrai, chaque mort vous reconduisant immédiatement à la dernière salle visitée comme si de rien n’était. Ou encore s’il n’était pas possible de faire une sauvegarde à n’importe quel moment du jeu, quelle que soit la situation. Bref, il n’y a aucun souci à vouloir tout expérimenter et à cliquer sur tout ce qui peut l’être, si ce n’est le fait de vouloir jeter la cartouche au loin dans un cri de rage.
Ceci dit, il faut reconnaitre que cette incertitude constante ne fait que contribuer à l’atmosphère si caractéristique du jeu. Au final, on vient même à réfléchir à deux fois avant de faire n’importe quoi, au cas où les choses tourneraient mal. Mais cette ambiance ne se résume pas à ça. Tout d’abord, il y a la bande-son.
Elle ne fait pas partie de ce qui se fait de mieux dans l’univers du jeu-vidéo, qu’il soit sur NES ou pas, mais elle pose d’office le décor : énigmatique, inquiétante et vite casse-burnes. Ce qui fait qu’au bout d’un certain temps vous voudrez couper le son…avant de voir un écran de game over puisque vous n’aurez pas entendu la musique changer, alors que la torche du héros était sur le point de s’éteindre. Rien que cet exemple permet de prendre tout le sens de l’expression « musique d’ambiance ». Et de comprendre qu’elle est parfaitement réussie, collant parfaitement à chaque situation tout en étant insupportable. Chapeau les artistes.
Si l’on aime bien tendre les oreilles, on ouvre surtout les yeux. A moins d’être aveugle, ça va de soi. Mauvais trait d’humour, je le concède, cesse donc de brailler.
Bref. Graphiquement, ce jeu est loin de casser trois pattes à un canard, sobriété est d’ailleurs son maître mot. Pas faramineux, pas mauvais, juste sobre. Et justement, ne serait-ce pas ce qui colle le mieux à l’ambiance décrite précédemment ? Pas d’effets spéciaux chiadés, de couleurs pétantes ou de crachages de boyaux de la console, juste le minimum syndical : des écrans fixes et vides de presque tout mouvement (allez, une petite animation par ci par là pour faire joli), des changements de pièce en mosaïque, du très root en fin de compte. A l’image de l’affichage du jeu à l’écran, tout en austérité avec une délimitation en trois blocs : la pièce en cours sur la gauche, la liste des objets en possession sur la droite et un cartouche lui-même divisé en trois parties au bas, où se trouvent notamment les différentes actions à accomplir sous forme verbale.
Au final, nous avons là un système de jeu bien connu, servi par une réalisation classique. On serait tenté de dire banco, mais voilà, c’est au moment où la vigilance baisse que l’on se fait perforer par un troll au détour d’un pont.
Comme dit auparavant, ce jeu est d’une fourberie à en faire pâlir Josef Fritzl en personne. Notre héros connaitra mille morts avant d’envisager ne serait-ce qu’une fois de voir l’écran de fin. Et non, le game over n’est PAS un écran de fin, même s’il se suffit en lui-même tant on peut être tenté de décrocher définitivement à chaque apparition de la faucheuse. Ah ça, il faut l’imaginer vous dire avec son air goguenard que" Eh oui ducon, tu t’es encore fait avoir comme une merde, mais essaye donc une autre fois tu vas peut-être y arriver !" Salope. Mais vu que vous êtes un homme qui aimez bien ce genre de jeu, vous réessayez…
…ah bah vous êtes encore mort, vous ne seriez pas un peu con en fin de compte ?
En fait, la mort de Shadowgate partage quelques similitudes avec ce dernier tube r’n’b à la radio, à savoir qu’à la première comme à la dixième rencontre, elle fera toujours autant chier. Mais on finit aussi toujours pas s’en remettre, ce qui est bien la seule différence avec cette foutue musique. Mais ce running gag récurrent ne serait pas si drôle s’il n’était pas accompagné par des énigmes capilotractées à en faire perdre le sommeil aux ZZ Top en personne. On me dira alors que non, tu vois, tu n’as pas l’esprit pour jouer à ce genre de jeu, tu n’es pas attentif. Ce à quoi je répondrai laconiquement que merde, les textes incompréhensibles rédigés par le père Fouras, ça va deux minutes, mais que les enchainer les uns après les autres dans la deuxième partie du jeu, faut pas déconner.
Mais ce n’est pas tout, il y a un challenge supplémentaire apporté à ce jeu : il a été traduit en français ! Chose bien rare pour l’époque, intention louable… si elle n’avait pas été complètement bancale. Ici, on ne collectera pas les sandwichs comme dans Dragon Ball, mais on trouvera le moyen de traduire un balai (broom) en chambre (room), ce qui est vraiment pratique lorsqu’il est question de répondre aux questions d’un sphinx. Je vous le dis, tout est fait pour vous empêcher de finir ce jeu d’une traite sans aide extérieure et ce dès la première tentative.
Shadowgate est finalement un classique marqué par l’âge, comme tout un lot d’autres jeux. Des défauts inhérents à son époque jusqu’aux approximations douteuses, il n’en reste pas moins que le charme plane et agit toujours.
En y repensant, je suis peut-être trop marqué l’amertume de ces vieux souvenirs de jeunesse et de ce jeu complètement inaccessible, symbole du jeu "pour grand" face à mes yeux d’enfant. Mais il n’empêche qu’en arpentant ses couloirs sombres et peu amènes, je finis toujours par prendre conscience de ce qu’il représente vraiment, de ce qu’est sa valeur réelle.
Shadowgate. Je ne crois pas en ce jeu, mais il me fait peur.