Tabouret, T-A-B-O-U-R-E-T.
Syndicate
Bullfrog - 1993
Conventions collectives et 9mm par Clence_tum

Extras : Musique - Manuel TXT - Manuel PDF
Syndicate est un jeu culte, le Highlander de la manette, la clé de voûte romane en plein cintre de la cathédrale du vidéoludisme. Syndicate est à la conscience collective des joueurs ce que Chuck Norris est à la pensée occidentale : le commencement et la fin de toute chose. Syndicate est le jeu dont vous avez toujours rêvé, que vous avez toujours connu sans le savoir, un peu comme Leïa avec Luke. Bref, Syndicate est un de ces mythes auquel il FAUT avoir touché pour pouvoir causer sérieusement en soirée, sous peine de passer pour le boulet de service qui n’a pas compris pourquoi seul le maître connaît le bruit de son ombre, le soir derrière les bambous. Exactement.



On vous l’a dit et répété, le futur c’est la zone. Que ce soit le communisme, la pollution, les machines ou les terroristes barbus, il y a toujours un fléau pour faire de la vie de nos arrière petits-enfants un enfer. Dans ce cas précis, des méga-conglomérats sans scrupules ont racheté tous les pays de la planète un par un, et sont donc devenus les véritables maîtres du monde. Le sale hippie aux cheveux sales que j’ai très bien entendu dire « comme aujourd’hui, quoi » me fera le plaisir de sacrifier deux télés HD et un Touran diesel au dieu du Capital. Oui jeune homme, inutile de vous retourner, c’est à vous que je parle.



Après des années d’OPA hostiles, le résultat reste trouble et aucune des trois plus grandes corporations ne semble l’emporter, quand un beau jour un jeune ingénieur d’Eurocorp invente miraculeusement le CHIP. Le CHIP, c’est la version technoïde du panem et circenses : une puce qu’on implante dans la nuque et qui, en diffusant diverses drogues dans l’organisme, fait croire au porteur qu’il vit dans un monde rose bonbon ou les immeubles sont en marshmallow et les parcmètres en sucre d’orge. Vous aurez compris l’avantage économique d’une telle invention : il suffit d’implanter un CHIP à l’ouvrier qui passe huit heures par jour au charbon à visser des bouchons sur des tubes de dentifrice, pour qu’il se croit rentier sur une plage de Papeete. Exit les grèves, les manifestations et les revendications, place au profit. Evidemment, les autres entreprises ne tardent pas à mettre la main sur cette technologie miraculeuse, et s’ensuit une guerre de plus en plus ouverte pour la domination du monde, à laquelle ne tardent pas à se joindre les Syndicats (des organisations criminelles du futur, genre Jihad International ou une CIA privatisée), qui noyautent petit à petit les réunions d’actionnaires et entendent bien bouffer salement leur part du gâteau, en employant pour cela des cyborgs lobotomisés contrôlés à distance, surarmés et massivement drogués. Imaginez le Terminator sous PCP aux commandes d’un B52 Stratofortress avec deux miniguns greffés à la place des bras, vous seriez encore loin du compte. Le contrôle de gestion ça a l’air vachement plus chouette dans le futur.

Au début du jeu, on endosse le costume Armani en solde d’un jeune executive aux dents longues, au service d’un syndicat d’Europe occidentale et prêt à conquérir le monde, le souffle de l’aventure sentant l’eau de Cologne bon marché caressant son visage rasé de près. Pas le temps de s’émerveiller devant la Porsche de fonction ou les toilettes réservées aux cadres, au boulot. Le jeu débute devant un planisphère, divisé arbitrairement en une cinquantaine de zones (Kamchatka, ceinture du Pacifique, Scandinavie, Saint-Etienne nord, etc etc). Le but est de conquérir le monde en expulsant les syndicats adverses de toutes les régions, les unes après les autres.



Pour ce faire, l’action se divise en deux parties. Premièrement, sur la carte, on décide d’une zone à attaquer parmi celles proposées à chaque tour. Ensuite, on sélectionne quatre agents cyborgs dans notre réserve cryogénique personnelle, on leur achète des armes (qui vont du piou-piou au turbo-laser qui fait fondre la cible en un tir), des bricoles (médikit, bombe à retardement), des implants cybernétiques (cerveau, œil, torse, cœur, bras, jambe) qui améliorent la résistance aux balles, la guérison automatique des blessures, et j’en oublie. On passe aussi par la case R&D où l’on peut attribuer des fonds plus ou moins importants aux différentes branches de recherches (armes légères, lourdes, implants, tout ça), histoire d’avoir du matos encore plus puissant au tour suivant. Puis on lit le briefing de la mission, basiquement « un policier/journaliste/procureur menace de faire du tort à notre belle entreprise familiale de rillettes en conserves, tuez-le, violez sa femme, vendez ses enfants à un bordel de Bangkok et persuadez sa mère de travailler pour nous ».

On entre alors dans le vif du sujet. Le jeu passe dans une vue en 3D isométrique, et on contrôle nos quatre agents, seuls ou groupés, à la manière de n’importe quel jeu tactique en temps réel. On se ballade généralement dans des métropoles cyberpunks du futur, avec des voitures qui circulent, des flics qui patrouillent et des piétons qui piétonnent. Les objectifs se résument souvent à tuer quelqu’un, persuader quelqu’un ou tuer quelqu’un puis voler des documents, voire persuader quelqu’un puis voler des documents. Evidemment, on ne va pas vous laisser faire, et si le sheriff local n’est que rarement un problème, il arrive que les agents des autres syndicats débarquent et là tout se complique, vu qu’ils sont aussi rapides et aussi méchants que vous, voire plus si vous n’avez pas géré au poil votre équipement. Pour s’aider, on peut trifouiller les taux de drogues dans le sang de nos champions, et selon la quantité injectée, modifier leur intelligence, leur perception et leur réactivité, pour augmenter leur vitesse, leur capacité à viser juste, et ainsi de suite. En cas de problème, on peut même enclencher un « Panic mode » en appuyant sur L et R en même temps, qui booste toutes les jauges au max et qui permet à un agent de se dépatouiller plus ou moins tout seul (plutôt moins que plus) pendant que vous êtes occupé ailleurs ou que vous êtes débordé par la situation. Evidemment, l’usage de la dope est limité dans le temps, et si on épuise les réserves on retrouve nos agents se traînant dans le caniveau et servant d’aimants à balles.



Si on réussit la mission, la zone passe sous le contrôle de notre syndicat, et on pourra lever des impôts pour faire rentrer toujours plus de liquidités afin de soutenir l’effort de guerre. Attention cependant, si vous essorez trop les contribuables, ils se révolteront (à croire qu’on leur a implanté des CHIPs tombés du camion), et vous perdrez la région.

C’est bien joli tout ça, mais cela ne nous dit pas pourquoi Syndicate est un jeu génial. Certes. Tout d’abord, Syndicate c’est une ambiance. Sans vraiment savoir précisément pourquoi, on a immédiatement l’impression de se retrouver dans un monde foutu, immoral, où l’on joue un type sans scrupules qui serait prêt à manger des bébés phoques si ça lui permettait s’augmenter ses parts de marché sans tâcher son veston. Par la fenêtre de son bureau au 250ème étage de la tour de Crapules Incorporated, on n’aperçoit pas le haut des grattes-ciel, caché par l’épaisse couche de pollution. La pluie qui tombe en continu fait apparaître des halos autour des enseignes au néon vantant les mérites des faux souvenirs de vacances préfabriqués ou la dernière pilule-suicide. Dans les rues, des hommes pressés en trenchcoats noirs croisent des filles de joies en mini-jupes fluorescentes et des flics en armures anti-émeute. Oui bon, c’est Blade Runner quoi, vous aurez compris le potentiel jouissif d’une telle ambiance quand elle est réussie, ce qui est le cas ici. On se ballade dans des villes crades et grouillantes, les gens vaquent à leurs propres occupations, et ils s’égayent en hurlant quand on déclenche une fusillade au milieu de la rue, en poursuivant un agent ennemi en fuite au milieu des voitures (à ce propos, vous ais-je dit qu’on pouvait prendre le contrôle de n’importe quel véhicule ?), scène courante dans Syndicate, qui n’est pas sans rappeler l’éxécution de Zhora par Deckard au milieu d’un Chinatown futuriste et bondé (Blade Runner toujours).



D’ailleurs, je ne vous ai pas encore parlé de l’objet qui est un peu l’âme du jeu, qui résume à lui tout seul cet esprit si particulier: le persuadatron. Vous vous rappelez peut-être que j’ai parlé un peu plus haut de « persuader des gens », hé bien le persuadatron sert exactement à ça (c’est fou hein, de prime abord on aurait plutôt pensé que c’était une machine à éplucher les bananes). Il s’équipe comme n’importe quelle arme et se déclenche tout seul dès qu’une cible est à portée, et alors là zzzzap, le sujet passe de votre côté, et combattra même avec vous s’il trouve une arme à ramasser sur un cadavre. Il faut commencer par convertir les civils, puis une fois qu’on en a un certain nombre on peut persuader les flics, et enfin les cyborgs ennemis (ce qui est d’ailleurs le seul moyen de remplacer vos propres agents morts au combat). Et rien n’est plus représentatif de Syndicate que de persuadotroner toute une ville, pour être suivi partout par cinquante clampins, avant de poser une bombe et de vous barrer en voiture avant de tout faire exploser.

Par ailleurs, la côté RPG est bien amené, jamais trop lourd, toujours plaisant. Soyons clair, Syndicate est un jeu pour les durs, ceux pour qui l’intérêt principal d’un jeu de rôle n’est pas de contrôler un groupe de gamins prépubères pour sauver un village de bouseux, mais plutôt d’en chier un maximum, de passer des heures à « leveller », comme on dit dans ce milieu austère, pour enfin se payer la grosse épée et aller expliquer au sorcier maléfique que non, ce pays n’est pas pour le vieil homme. Ici c’est pareil, en remplacant l’épée par un lance-flammes, bien évidemment. Au début, on lutte, on transpire des litres d’huile, on se fait retourner par les agents ennemis, et puis petit à petit on investit dans la recherche, on achète des implants de plus en plus puissants, de nouvelles armes, et là je peux vous dire que quand on arrive en ville, les gens n’ont pas le temps de changer de trottoir, car une rafale de sulfateuse leur a déjà coupé les jambes. On massacre tout le monde indifférement, on explose les voitures de flics pour le fun, on se retrouve à extraire en urgence un VIP en courant dans les rues d’une métropole est-asiatique du futur après avoir fait exploser une boite de strip-tease, et on a un peu l’impression de se rejouer la sortie de la banque dans Heat, version XXIIIème siècle.



Malheureusement tout n’est pas aussi gris qu’il le faudrait. Syndicate est surtout connu comme étant un jeu d’ordinateur, et ce n’est pas pour rien. Les versions pour consoles sont amputées de pas mal de choses, et c’est bien dommage. Déjà, le moteur graphique n’a rien à voir avec celui du grand frère, ici on a une sorte de version cartoon mignonette qui cache difficilement les faiblesses de la Super Nintendo. Attention, je ne dis pas que c’est moche, mais ça n’a pas la classe des versions Amiga ou PC. De plus, pas mal de détails superflus et donc essentiels ont été oubliés, les missions sont moins variées, c’est bien triste. Et n’oublions pas la maniabilité, qui sans être vraiment défaillante fait bien sentir que le jeu a été conçu pour un clavier et une souris.

Autre problème, présent dans toutes les versions celui-là : on ne voit pas les intérieurs. Quand on rentre dans un batiment, on devient aveugle et on est bon pour se diriger avec la carte minuscule et tirer au hasard (merci la visée automatique). Néanmoins, ça vous a un certain style, quand un agent déboule dans l’un ou l’autre bistro glauque, qu’on appuie mollement sur le bouton de tir et que le bruit des balles n'est ponctué que par les cris d'agonie en 16-bits (les mêmes font les bruits de moteur en sous-régime dans Top Gear) ; tout cela est très cinématographique, et nous rappelle un peu la caméra qui s’éloigne pudiquement quand le héros solitaire va flinguer tout le bar de la mafia qui a tué son père sous ses yeux d’enfants. Oui, avoir de l’imagination est un plus quand on joue à Syndicate.



Voila donc un jeu pour ceux d’entre vous qui sont dénués de toute morale et qui ne rechignent pas à tuer des innocents pour augmenter leurs profits, bref ceux qui auraient bien aimé devenir jeune cadre surpayé mais qui ont préféré aller à la fac. Néanmoins, privilégiez plutôt le jeu sur ordinateur, parce que Syndicate sur console, c’est comme le sexe quand on est moins de deux, c’est vachement moins drôle.
Le point de vue de César Ramos :
C'est le genre de jeu que l'on trouve sans faire exprès, à pas trop cher, même s'il est plutôt rare.