A l'heure où le monde semble s'effriter entre nos mains comme un vieux quatre quarts breton que l'on aurait oublié dans le coin d'un placard, où tous nos repères sont chambardés comme les boules d'un loto du dimanche et où même nos plus sacro-saints refuges sont souillés par le stupre et l'infamie, il est salvateur d'une part de ne pas abuser des phrases à virgules et d'autre part de se rattacher à des valeurs inébranlables -et je baise mes mots- qui traversent nos siècles sans voir leur éclat ternir sous l'effet de la médiocrité ambiante. Comme se taper sur la gueule avec son prochain, par exemple. Je ne parle pas bien sur de la vulgaire empoignade parce que ce connard de Mougeot a encore passé la tondeuse un dimanche matin à 9h00. Non, il s'agit ici de la transcendance des âmes par les phalanges sur le nez, la catharsis des maux par le coup de talon dans les incisives. Organisons un combat. Tiens, un combat mortel pour ne pas faire les choses à moitié. Et quoi de mieux qu'un petit Mortal Kombat II sur Super Nintendo pour parvenir à nos fins. Le monde est rudement bien fait finalement.
La saga Mortal Kombat, c'est un peu l'autre pays du fromage. Où l'uppercut et la boule de feu remplacent le gouda et la tranche d'édam. Le premier titre de cette famille d'équarrisseur fut la réponse de Midway au Capcom fanfaronnant du début des années 90 avec son arrogant Street Fighter II qui déchainait les passions et la production d'antiépileptiques. Une réponse qui jouait la carte du challenger en porte-à-faux puisque lorgnant plus du coté de la série B sanguinolente que de la démonstration martiale rigoriste. Un choix plutôt judicieux pour les paralytiques de la manette comme moi, qui misaient plus sur l'ambiance et les effets théâtraux que sur la précision et la maitrise technique. Et puis de toute façon c'était la manette qui déconnait. Parce que soyons objectifs, Luc Besson est un réalisateur largement surcoté. Soyons objectifs et revenons à notre sujet sans digresser : les Mortal Kombat n'ont jamais fait jeu égal leurs coreligionnaires de chez Capcom ou SNK. Pour compenser ces carences techniques, les développeurs ont fait contrepoids en misant sur le grand guignol pour notre plus grand plaisir. Du mien tout du moins.
Mortal Kombat II, le retour. Un titre qui sonne comme une affiche de film bis. A juste titre. On nage même dans une production Roger Corman ou peu s'en faut. Quoi de neuf depuis l'épisode précédent ? Du changement dans la continuité en fait. La situation politique entre l'Empire du Mal et les Forces du Monde Libre est au statu quo, chacun campant sur ses positions. L'aile droite radicale menée par Shao Khan s'oppose à tout compromis quant à ses visées expansionnistes sur notre monde et la coalition menée par Liu Kang poursuit une campagne pour stopper le réarmement de la Rhénanie ou peut-être que je mélange et digresse dangereusement. Quoi qu'il en soit, vous êtes cordialement invités à participer de nouveau au tournoi de l'Autre Monde et ceci en veillant à respecter les quotas de gros rouge versé, on a une audience à satisfaire. Et pour assurer le spectacle, on a débauché 12 intermittents plein d'entrain dont certains sont loin d'avoir des gueules de porte-bonheur.
Une suite, c'est l'occasion de renouveler la gamme ou du moins de rafraichir les peintures. Aux rayons des nouveautés, il y a du mouvement au sein de la fine équipe des distributeurs de caramels. Des sept rigolos de l'épisode précédents, on a renouvelé le contrat de 5 et on leur a adjoint sept nouveaux petits camarades de jeu. Procédons à une rapide revue d'effectifs. Nos amis Keno et Sonya s'étant bêtement fait capturer (ils apparaissent néanmoins en position christique dans le fief de Shao Khan, en arrière-plan), ils sont remplacés par Reptile, un clone de Sub-Zero/Scorpion avec des écailles ; Baraka un vilain chauve aux dents en inox et couteaux à désosser dans les avant-bras ; les soeurs Mileena et Kitana aux cuisses dénudées et ustensiles tranchants ; Shang-Tsung le chinois métamorphique désormais jouable ; Kung Lao, un moine au borsalino affuté et Jax, le boxeur bio-ionique - oui, j'utilise cette orthographe en hommage à Steve Austin. Que du beau linge ou peu s'en faut. Viennent se greffer à ce petit groupe des personnages cachés (non jouables), plus ou moins issus de délires éthyliques de programmeurs. Le reste est quant à lui plus convenu, un classique affrontement mano à mano jusqu'aux seigneurs de guerre responsables de tout ce merdier, les bien nommés Shao Khan et Kintaro.
Mais peu nous chaut les subtilités - ou plutôt leur absence - des modes de jeu. Si on enfourne virilement une cartouche estampillée Mortal Kombat toutes babines humides, c'est bien pour une chose et une seule : tartiner le moindre arpent de mur de flots vermillons. La saga a presque exclusivement acquis sa notoriété avec sa propension à payer généreusement sa tournée de Saint Emilion. Pour cette seconde fournée, le jeu ne faillit pas à sa réputation et ouvre grand les vannes.
On peut même dire que niveau vivisection, les développeurs n'y vont pas avec le dos de la louche. Faisons un petit calcul : si l'on met de coté les coups qui enlèvent déjà quelques litres de picrate à chaque voyage, on a tout de même deux fatalités livrées de série avec chaque combattant, ce qui nous fait la somme rondelette de 24 façons d'accommoder la viande crue. Ajoutons au menu trois environnements utilisables pour saloper le cadavre de vos adversaires (des pieux au plafond, un chute mortelle d'un pont et un bassin d'acide) et vous aurez à votre disposition moult moyens d'épancher vos déviances carnivores. Mais le plaisir ne s'arrête pas là. Les petits vicieux de chez Scultural Software ont fait carburer la machine à conneries pour nous régaler d'innovations aussi inutiles qu'indispensables. Aux cotés des désormais légendaires falatities, débarquent les babalities et les friendship. Qu’es aco ? Les premières vous permettent de transformer le vaincu en nourrisson (sur lequel on ne peut malheureusement pas enchainer sur une fatality). Idiot mais délicieusement humiliant. Les friendship quant à eux se manifestent par un cadeau offert à l'adversaire ou tout simplement votre personnage qui en profite pour faire le con (tel Liu Kang sortant la boule à facette pour danser le disco). Une rumeur courrait à l'époque sur la présence de sodomities à débloquer mais rien n'a jamais pu être prouvé jusqu'à présent.
Voilà donc le postulat de ce Mortal Kombat : du sang et de la dérision. Et le duo fonctionne assez bien in fine. On s'est un peu écarté de l'univers folklorique noir de l'épisode précédent au profit d'une ambiance légèrement plus décalée à l'image de certaines productions de série B. On éviscère en rigolant, on démembre pour la déconne. Un esprit "pour de rire" entretenu par la fameuse voix grave, délibérément exagérée pour coller à l'ambiance globale. Assez rapidement, on se prend au jeu - c'est le cas de le dire - pour devenir autant spectateur que joueur/acteur. Ce qui ne pousse plus finalement à chercher le combo le plus efficace ou la contre-attaque la plus redoutable mais plus à faire du carpaccio avec les roubignoles de votre vis-à-vis de la façon la plus bouffonne et poilante.
Pour autant, le jeu n'a pas été réalisé par dessus la jambe. On peut toujours palabrer sur les choix artistiques du précédent opus - comme les digitalisations d'acteurs qui font rires nos enfants - mais reconnaissont que le jeu avait une gueule bien à lui. De la dark fantasy rococo certes mais en parfaite adéquation avec l'ambition de coller à cet esprit de cinéma populaire. Même menu pour la suite donc, avec du dessert en plus. Des aires de combat plus variées, des combattants plus fins - enfin, façon de parler -, plus d'effets, plus de sang et de fatalités dégueulasses et une recette avec encore plus de pépites de chocolat ou bien je commence de nouveau à digresser. Que du bonus vous dis-je. Tenez, la bande-son est elle-même au diapason, contribuant parfaitement avec cette ambiance poisseuse de carton pâte. Ajoutez des bruitages et des cris du même tonneau pour compléter le tout et c'est du bonheur à tartiner. C'est d'ailleurs dans cet épisode qu'apparait le légendaire Dan "Toasty" Forden, désormais passé à la postérité. On relèvera tout au plus des fatalités qui rechignent à sortir facilement mais après tout, le précieux grenat n'est que la récompense des méritants.
Ce Mortal Kombat reste celui d'une autre époque, celle d'avant la pente savonneuse sur laquelle s'est aventurée la série jusqu'à la grande dégringolade, amorcée dès l'épisode suivant qui lorgnait déjà goulument vers le n'importe quoi. Mais baste, nous avons ici un produit équilibré, au nez fin et avec un caractère fort et de fins arômes boisés ou bien je digresse une fois de plus. Le jeu est fun en diable et sait rester stoïque face au souffle froid des ans qui passent et qui, sans posséder la finesse de la concurrence, se rejoue avec plaisir, ne serait-ce que pour épancher nos sadiques soifs de sang. Car vous en avez, ne baissez pas le regard, en témoigne encore ce matin au bureau avec ce connard de Mougeot qui ne vous a pas donné toutes les pièces du dossier Gonzalez. Si vous ne faites pas partie de cette obscure caste d'amateurs de jeux de combat qui abordent une partie de Street Fighter avec la rigueur d'un bilan comptable, Mortal Kombat II saura se trouver une place légitime dans votre collection. Malgré les errements de la saga au cours du temps, on reste en présence d'un pilier du genre et je ne parle pas du gros André qui se bat avec la clientèle le samedi soir au bar PMU de la banlieue de Béthune. Mais je digresse peut-être un peu.
Bonus : un petit florilège des différentes mises à mort. Attention, ça tache.