Swaaaaag sur les cimes
Tiens donc. Ah ben ça par exemple. Eh bé mais ho. Un jeu français. C'est pas banal ça. D'aucuns diraient même que c'est pas fréquent. Un jeu Super Nintendo qui plus est. C'est du propre. Si je m'y attendais. Ce n'est pas tous les jours qu'un fumet tricolore émane d'une cartouche de console (ceci est une licence poétique). Savourons la surprise et creusons un peu ce que le destin nous a collé entre les pattes.
La France et les jeux vidéo c'est une histoire contrastée, contrariée, chamarrée, mélopée (trouvez l’intrus). A commencer par le support. Développer français il y a une vingtaine d'années c'était avant tout développer micro. Les jeux sur consoles de salon, c'était pour ces japonais bizarres ou ces cons d'anglo-saxons. Les rares incursions de nos coqs à béret sur consoles se comptaient sur les doigts d'un lépreux guitariste. L'offre était mince, Arnaud Montebourg s'en serait mordu les dents de désespoir.
La Savoie : sa neige, sa neige, sa neige et ses carences en iode
En dehors de l'ogre Infogrames et du Gargantua Ubisoft, les développeurs français formaient une tribu exsangue. A coté des gros, il y avaient des plus sweltes, comme Loriciel. La boite dont le nom n'aurait raisonnablement pas pu être inventé en dehors de l'Hexagone et qui évoque aussi bien les jeux vidéo que des services d'expertise comptable ou de prothèses auditives. Mais on ne va pas fuir le navire pour autant.
Parce que si le nom de l'entreprise fait autant vibrer l'échine qu'un bol de chicorée froide, les petits gars ne nous ont pour autant pas pondu des tartines de merde. C'est un peu le syndrome Balladur : l'homme ne faisait pas rêver mais les résultats furent pourtant là.
Donc.
Tout suspens intolérable pour un système nerveux normalement constitué est saboté dès la lecture du titre : Val d'Isère Championship. Ben mon colon. On en viendrait presque à rêver d'une trilogie complétée de Palavas-les-flots Wild Surfing ou Tourcoing Enduro Racing. Passons, c'est français. Comme pour une voiture Renault, l'intérêt est moins à l'extérieur qu'à l'intérieur (ou dans sa capacité à être une voiture bélier relativement abordable).
Donc.
On est à Val d'Isère. Ses étendues de poudreuse, ses chalets industriels en bois bétonné laid, ses mouflons, ses cons à ski. Un jeu qui se déroule au cœur des Alpes, sans brûler trop de calories intellectuelles on peut supputer qu'il y a peu de chances qu'on soit invité à faire du bowling ou de l'aviron. C'est du ski. Bravo, vous pouvez revenir en deuxième semaine. Dans les grandes largeurs on parle d'un type qui caresse la gravité dans le sens du poil pour aller boire un verre de vin à la cannelle le plus vite possible sans se râper le museau sur des rochers ou des déneigeuses. Le sport des parvenus qui ont un tantinet compris comment fonctionnait les lois de la physique.
Étrangement, dans l'histoire des jeux de sport, le ski et ses dérivés stagnent souvent dans une strate qui n'offre qu'une demi-molle à l'amateur de transpiration numérique. Sorti des incontournables licences tentant de sucer un peu de pognon lors de compétitions olympiques, le choix est famélique. Et encore, nul n'a visiblement osé nous faire rêver avec un hypothétique Albertville Golden 1992. Savoie, terre maudite.
Mon sourcil gauche est donc fermement rehaussé lorsque j'engouffre la cartouche dans l'orifice prévu à cet effet. Celui pour jouer. Sur téléviseur.
Donc.
Le sourcil gauche levé est toujours signe de méfiance, tout primatologue ou chef d'équipe à la SNCF (les deux métiers confluent) vous le dira. L'air frais des alpages, le bronzage allogène et le vin chaud retirés, un jeu de ski génère relativement peu d'entrain. Un embryon de frisson me parcours intérieurement à cette seule idée : je vais peut-être me faire chier. Pis encore : peut-être même faire ressurgir le souvenir détaillé de l'abominable combinaison mauve que j'ai portée à la Mongie durant quelques jours de février 1996. Les bouquetins en rient encore. Peste, l'affaire est loin d'être emballée dans le sac.
Eh bien non, figurez-vous. La surprise est bonne car le jeu l'est tout autant. Détaillons.
Déjà sur de basses considérations graphiques. Si l'on savait construire des voitures aussi abouties sur le plan technique que ce jeu, Renault collerait son avant-bras dans le fondement des japonais depuis plus de 20 ans. C'est beau et transparaît l'amour du travail bien fait (et celui des animaux ou bien j'ai imaginé ce sprite d'ours qui encule une marmotte). L'usage du mode 7 est parfait et n'a pas à rougir face aux ténors de ladite technique, les F-Zero ou autres Mario Kart. L'ensemble est fluide et détaillé, il impose le RESTECP.
Un RESTECP consolidé à l'étranger par le fait que la mention « Val d'Isère » a été biffée pour l'exportation, il y a tout de même des limites à la confiance en soi.
Une simulation pur jus aurait été aussi captivante qu'un congrès du PCF, on a donc droit à un jeu typé arcade. Ce qui ne le rend pas simple pour autant. Il est même probable que vous en chiiez (la conjugaison de ce verbe s'accorde parfaitement avec l'imagerie de la pratique de la glisse sur neige, je trouve) des sapins au bout d'une poignée de courses pour d'une part voir la ligne d'arrivée d'une piste et d'autre part y parvenir sans avoir des branches de résineux incrustées entre les dents. Dans le meilleur des cas.
Parce que votre bouffeur de poudreuse va vite, très vite. En jetant un coup d’œil sur le compteur de vitesse, on a même l'impression d'être une couille enrobée de Teflon dans un tube pneumatique. C'est même assez grotesque. A tel point que les sapins n'arrivent plus vers vous, ils se téléportent directement sur l'arête de votre nez. Ce qui paradoxalement ne vous aidera pas à atteindre le bas des pistes plus vite. Les premières courses vous feront saigner du fion sans préliminaires.
Une fois que votre organisme s'est habitué à ces paramètres, les choses se présentent sous un meilleur aspect. On profite du dénivelé et on commence à tenter de jouer avec le terrain pour grappiller du temps, un temps précieux qui fera très souvent défaut au début pour espérer arriver en bout de piste et déguster un steak de chamois au chalet. La nervosité crispe toujours le bout des doigts mais l'humiliation de l’abandon en milieu de parcours s'efface petit à petit.
Et si l'on persévère, on peut même déceler des différences fondamentales entre la paire de ski et la planche de snowboard (on ne se casse pas la gueule de la même façon). Le lecteur trentenaire aura noté l'absence du monoski, cette pratique qui a connu un grand succès sur les pistes entre novembre 1989 et avril 1990. Après quoi on l'a confié aux JO paralympiques. On saura également faire abstraction de la combinaison de votre sportif pixélisé : si le début des années 90 nous a apporté la mort de Beregovoy, il nous a aussi confié les combinaisons de ski dont on regrette l'achat quelques années plus tard, les Troc de l'Ile et Emmaüs seront leur cimetière des éléphants. Et s'amuser aussi. Parce que mine de rien, ce truc franchouillard est drôlement bien foutu. La réalisation est exigeante, le contenu varié et plutôt riche (pour un jeu de ski s'entend, hein, on parle tout de même d'un des sports les plus cons du monde). Et saluons l'exploit de l'équipe technique qui réussit à nous donner du plaisir avec la Savoie, ce qui n'est pas la dernière des performances.
Ne vous fiez finalement pas à l'apparente ringardise du sportif qui semble sortir d'une publicité pour de la cocaïne destinée au marché des 10-15 ans, figurant sur la jaquette de ce jeu : Val d'Isère Championship a bien mieux vieilli que le tombereau de titres sportifs qui moisissent désormais dans le cachot des siècles. Non, le titre reste efficace, fun et prenant, sans avoir à se geler les noix sur un télésiège en se demandant si on n'aurait pas mieux fait de claquer l'argent de ce putain de forfait trois vallées en bols de vin chaud et autres grogs savoyards.
Quand on sait pas, on fait pas