Qu'est devenu Romain B. ? Si vous vous en foutez, c'est que vous n'êtes pas moi, ce qui est quelque part rassurant. Mais si vous êtes moi, alors vous savez qui est ce jeune homme, qui doit être aujourd'hui un sémillant trentenaire. A l'époque du collège, Romain B. vivait avec sa mère non loin de mon modeste logis ; il faisait du tennis, se faisait amener à l'école en Ford Orion décapotable par une génitrice ma foi fort baisable en y repensant avec mes yeux d'adulte, et surtout, il possédait un Atari 1040 STF. Mon Dieu... combien de samedi après-midis ai-je passé en sa compagnie, dans sa chambre, mains sur nos joysticks respectifs, à pousser des râles d'émotion ? S'il ne fut pas le premier à me laisser faire joujou avec sa bécane, il restera, de mes copains d'alors, l'un des plus marquants. Au logis familial, en cette époque, aucune de ces machines modernes, le salut était ailleurs. Et Romain m'aura sinon dépucelé vidéoludiquement, au moins appris la vie, les bases, les premiers jeux sur lesquels j'aurai tenté un début de perfectionnement, de suivi - à la différence d'autres après-midi chez d'autres camarades qui ne se résumaient qu'à des essais en one-shot. Bref, mes premiers émois qui durent. Pour la petite histoire je lui rendis la pareille, quelques mois plus tard, dans cette petite ferme domaniale où nous passions nous vacances conjointes en lui apprenant la masturbation, ce qui nous éloigne de notre sujet.
J'étais Atariste convaincu, simplement du fait que personne autour de moi n'avait un Amiga. A tel point que quand mon père décida de munir la famille d'un ordinateur, je militais farouchement - jeune con - pour cette marque, évidemment en vain vous imaginez. Bon, pas grave, on aurait un PC, je pourrais copier les disquettes d'un autre copain, le mal est moindre. Ah non, finalement on aura un Mac. Chiotte. Du moins en apparence mais c'est une autre histoire.
Bref, Atariste convaincu, et Romain ayant toute une tripotée de jeux, je plongeais dans le vidéoludisme avec délectation. Je n'ai même plus la mémoire de tout les titres, mais certains ont imprimé mes souvenirs à jamais : soit pour leur mode multijoueur jouissif (Double Dragon, mon Dieu ! Gauntlet II, rhâââ lovely !!) soit pour un truc qui claque dans le bide une fois pour toute et qui y reste scotché pour l'éternité. Une idée de gameplay, une animation folle, ou plus souvent, évidemment, une musique. Et si je vous dis "Rob Hubbard", là vous pigez tout de suite qu'on entre dans le domaine de la légende.
Romain a changé de collège, est parti sous d'autres cieux, emportant ses précieuses disquettes, mais jamais, oh grand jamais je n'ai oublié le thême de Goldrunner. Et mettez-vous dans le crâne qu'il n'y avait pas d'internet à cette époque pour nous faire des piqûres de rappel. Non, si j'ai gardé cette mélodie fidèlement en tête pendant plus de 15 ans, c'est bien que nous touchons au mythe. Ecoutez-moi ça ! Tout le chiptune de la grande époque. Une basse hypnotique, une rengaine remplissant parfaitement son rôle de scie musicale, des sonorités grasses, tout y est. Je crois bien qu'on se le lançait uniquement pour ça.
Parce que pour le reste c'est un peu plus mystérieux. Nous ne passions pas beaucoup de temps sur Goldrunner. Le jeu était dur. Beau, mais monojoueur, donc même en se relayant, bon, ça va cinq minutes. Au moins on pouvait admirer le spectacle. C'est que Goldrunner est joli, oui, même sur un Atari, je sais, ça choque. Voix digitalisées, graphismes soignés, yabon.
Qu'est-ce donc au fond que Goldrunner ? Un shoot-them up vertical. Ah. Sur un scénario accessoire, nous allons donc devoir encore et toujours tout péter. Eh bien vous ne croyez pas si bien dire. L'objectif de Goldrunner n'est pas de suivre un scrolling imposé en pulvérisant des vagues d'aliens jusqu'à un boss final, pas du tout même. Dans Goldrunner, il faut péter le décor. Si si. Des vaisseaux viendront vous emmerder bien sûr mais votre objectif, c'est le décor. Ah. Donc liberté totale, panard, si vous oubliez un morceau derrière vous, le niveau est infini donc pas de souci. Youhou.
Les différences avec un shoot-them-up classique ne s'arrêtent pas là. Ici, pas d'upgrade : on commence gros bill et on perd des niveaux de tir à mesure que notre santé s'amenuise. Exit aussi le scrolling imposé : vous allez dans les deux sens à la vitesse que vous voulez ! Ce qui nous donne au passage deux choses bluffantes : un scrolling hyper rapide et nerveux (scotchant pour l'époque et la machine) et une superbe animation lors des retournements, toute en douceur et décomposé velouté. Oui je suis poète à mes heures. Ensuite, les boulettes ennemies sont lentes, très lentes. Faciles à éviter ? Non, parce qu'elles ont une certaine inertie en fonction de la vitesse du vaisseau qui les lance, et suivent un peu l'élan général. Difficile à décrire, mais en gros, alors que vous êtes très maniables, vous allez toujours les retrouver sur votre chemin... Alors la tentation est grande de lancer un boost et de fuir quelques mètres plus loin. Sauf que non ! Si vous faites ça sans avoir reconnu le terrain avant vous courrez au crash dans ce fameux décor et ses buildings. Certes vous pétez les trucs au sol, soit, mais attention : certains bâtiments sont indestructibles (ils ont une ombre plus grande, montrant qu'ils sont plus "haut") et vous risquez de vous emplafonner comme un ours bourré à la bière dessus. Et c'est la mort, brutale, définitive, avec tout le niveau à recommencer.
Et d'ailleurs, comment sortir d'un niveau cyclique, infini, sans boss de fin ? Ah ha... bonne question. Très très bonne question. Vous n'imaginez pas à quel point c'est une EXCELLENTE question. Tellement excellente que Romain et moi n'en avions pas la réponse.
Oui. Vous avez bien lu. J'ai passé des après-midi entières sur ce jeu sans JAMAIS dépasser le premier niveau. Pour une raison simple : nous ne savions pas comment. Et pas d'internet. Et nous n'avions peut-être même pas essayé le minitel, je ne sais pas pourquoi, on préférait lancer un autre jeu que de perdre dix minutes à chercher. Une autre époque... Donc j'ai vécu 15 ans sans connaître autre chose que le premier niveau, et les aperçus des niveaux suivants dans la démo de l'écran-titre. Nous faisions du scoring, point. On se disait qu'à force un truc se passerait... Eh bien oui. Effectivement, quelque chose se passe. Au bout d'un certain nombre de bâtiments détruits, une icône disparaît dans vos cadrans de bord. Et ? Et rien.
Ce n'est que lorsque j'ai émulé ce jeu, fébrilement, la bave au lèvres, Rob Hubbard à fond, et que je me suis rencardé sur internet que j'ai compris. Mon Dieu. Après tant d'années à jouer les Danaïdes, la lumière du Seigneur m'apparaît : un des putains de gros bâtiments de merde du début n'est autre qu'un hangar. Dans lequel vous vous croûtez comme une merde en début de partie, mais une fois ladite icône disparue, c'est tout simplement la porte vers les niveaux suivants.
Bande d'enfoirés de merde. Misérables remugles de caséum, pustules scrofuleuses et grappes de bubons collés au cul de Staline un soir de gastroiovsky-entéritovska. Evidemment qu'on allait plus jamais lui rentrer dedans, à ce hangar de mes deux, comment vouliez-vous qu'on sache que ce truc qui nous tue au moindre contact dès les premières secondes, et que donc on évite sans même plus le regarder au bout de trois ou quatre parties, est le point à viser ensuite ? CONNARDS !! FUMIERS !! SALAUDS !! DENTISTES !!
Mais sinon, Goldrunner est un excellent petit shoot mignon, gai et primesautier, à la réalisation coquette et au charme fou. Et à la difficulté d'outre-tombe, au passage. Bisous.