Ca faisait longtemps que je n'avais pas pondu de critique pour [Nes Pas ?] et ça commençait à me travailler. Oui, les années passent, et la plume s'effrite. Tant de projets avortés dans mes cartons, qui me rappellent sans cesse ma décrépitude... la flamme ne m'animait plus. J'étais fini, au bout du rouleau, tel le vieux briscard fatigué dans les western, qui regarde avec compassion sa vie d'exploits, de headshots et de femmes faciles.
Et puis, un soir que je réexpliquais mes théories sur la vie, l'univers et le reste à une vieille amie, nommée Solitude, l'idée sotte et grenue me vint de ranger un peu mieux mes 24 jeux Game Boy qui commençaient un peu à se répandre sur l'étagère. Et alors que je les manipulais d'une main lasse, désintéressée, mes yeux tombèrent sur l'un d'eux.
Mon sang ne fit qu'un tour.
Un château au sommet d'un piton rocheux défie du regard le joueur potentiel en se découpant fièrement dans un ciel marine. Au dessus de lui, quelques lettres, qui forment quelques mots, qui forment un titre.
The Rescue of the Princess Blobette - car c'est lui - venait de me replanter un couteau, nommé "nostalgie", dans le ventricule gauche. Que j'ai fragile, depuis qu'une brune de l'Est l'a brisé, mais c'est une autre histoire. Et c'est désormais mon sang que je répands sur cette page tout à l'heure vierge, pour vous, pour moi, pour ma folie.
Je m'en rappelle comme si c'était hier. Ou même avant hier, car je ne recule devant rien. J'avais mon Game Boy depuis peu. Je n'avais à l'époque qu'un seul jeu, qu'un jeune loup - Jérôme, si tu nous lis... - qu'un jeune loup, tombeur de filles, m'avait échangé contre trois de ses jeux à lui. Tout ça pour faire son grand cœur charitable devant Gwenaëlle. Mais comme j'étais déjà geek, je ne lui en ai pas voulu et ai donc accepté d'échanger, le temps des vacances, mon Fortress of Fear contre Dragon's Lair (vite permuté avec un Double Dragon, mais ça aussi c'est une autre histoire), Gargoyle's Quest et Rescue of the Princess Blobette. La boucle est maintenant bouclée, vous voyez où je veux en venir. Je me dois de faire la critique de tous ces jeux, TOUS.
Ce jeu, qui est au passage une reprise du concept du jeu NES
A Boy and His Blob : Trouble on Blobolonia (1989), ce jeu mérite votre attention et la mienne. Car il est ... différent. Oui, très différent. Je ne connaissais rien au monde du jeu vidéo. Je n'avais pas le manuel. J'arrivais donc en terrain complètement vierge. Allumez votre écran et suivez pas à pas le chemin que j'ai défriché pour vous il y a de cela bien des hivers, bien des douleurs...
Un écran-titre nous accueille, et déjà, un constat s'impose : nous sommes bel et bien en 1991. Pas de doute. Pas d'intro, un gros écran avec que du texte, qui alterne avec l'équipe de conception composée de cinq membres. Le oldie que nous sommes fleure déjà le mythe.
Mais un détail nous gêne. Enfin, ça dépend. Soit vous connaissez le jeu NES et alors pas de problème. Soit vous ne connaissez pas et vous êtes restés sur l'image de l'étiquette du jeu, et là... qu'est-ce que c'est que ce délire-fumette ? Un gros "A boy and his BLOB" bariolé (en niveaux de gris, mais tout de même), une musique du plus bel effet "When the Schtroumpfs meet Indiana Jones"... Je m'en souviens, mon sang ne fit qu'un tour. Allez, Start, la curiosité est trop forte.
Crévidjiou. Ou rogntudjû. Ou même créfieu, c'est Noël. What the hell is this ? A l'époque, j'avais beau sortir de Fortress of Fear, tout de même, ça fouette l'iris. C'est graphiquement, hum, nous dirons pudiquement "sommaire". Ceci dit, il faudrait être mad (ou très con, ou les deux mêmes ! ) pour nier l'évidence : visiblement, on est dans un château, ok. Sommaire mais interprétable pour l'oeil avisé.
Et qu'est-ce que... qu'est-ce donc que ce... cette... ce machin ? Je vois bien ce qui semble être un personnage vaguement humain, mais à côté de lui, un bidule, tout sourire, sautille gaiement sur place. Une sorte de croisement entre un barbapapa et une boule de Mozarella. "A boy and his BLOB" : l'avertissement était pourtant clair, il ressurgit comme une évidence dans mes pensées. Donc ça c'est le blob. Ah. Aaaaah.
La sueur qui perle à mon front ne me fait pas perdre pour autant mon sang-froid. (Sang qui n'a fait qu'un tour, souvenez-vous). Essayons les boutons. Gauche, droite, ok, le personnage bouge, le blob, non. Bas : rien. Haut : rien. J'essaie un bouton : le personnage porte la main à sa bouche et siffle. Je... ok, faisons celui qui n'a rien vu, tout est normal. Deuxième bouton, il va bien sauter, non ? Non ? Non ! Il lance un truc. Ah, une pastille. Le blob l'avale. Le blob se transforme en échelle.
...
Je réalise en un quart de seconde (le temps pour mon sang-froid de faire un tour), que sous l'écran de jeu, il y avait des choses écrites, et que de "2 Licorice" on est passé à "1 Licorice". Par un savant jeu de déductions, j'établis comme une certitude que donner 1 Licorice au Blob le transforme en échelle. Notons qu'à l'époque je ne pipais mot en anglais et que je ne me doutais pas que licorice voulait dire réglisse. Ce qui n'a pas vraiment d'intérêt en soi.
Quelques pataugages et tours de sang plus tard, j'ai en main le principe du jeu. C'est clair, c'est diaphane. Vous dirigez le garçon. Vous ne pouvez que : le faire aller de gauche et droite, le faire siffler, ou donner un bonbon. Avec "select" vous sélectionnez des bonbons que vous avez en poche. A chaque bonbon correspond une transformation du blob. Siffler vous permet de détransformer le blob. Et à vous de jouer pour parcourir le château en long, en large et en travers, découvrir ses recoins, ses trésors, et ses pièges. C'est limpide, c'est évident, c'est beau comme l'antique.
Pour faire quoi ? Pour libérer la princesse. La Princesse Blobette, copine de notre ahuri en mastic. Voui, c'est beau l'amour. A vous donc de faire preuve d'imagination, d'audace, et d'initiative. Une grille vous barre le passage ? Votre sang ne fait qu'un tour, et vous transformez, à coup de bonbon à la pomme, votre blob en crick pour trifouiller la serrure au-dessus de votre tête. Un trou vous empêche de passer ? Votre blob fera un magnifique pont, pour peu que vous lui filiez une fraise. Imagination, j'ai dit.
Et endurance.
Je ne vous cache pas en effet que ça sera long. Enfin long pour un jeu de l'époque, c'est à dire un jeu qui se recommence à chaque fois du début. Il faudra plusieurs tours de sang pour en voir le bout. Peut-être aussi qu'il vous faudra couper le son : la musique devient lassante au bout de 47 secondes, soit une boucle. Graphiquement, on ne pourra rien pour vous : le sentiment de néant absolu ne vous quittera pas plus que ce froid glacé qui m'étreint depuis tant d'années. Tant d'années en compagnie d'une autre vieille amie, Amertume... une longue histoire, là encore.
A l'heure où j'écris ces lignes, une question me vient. A l'époque, j'étais jeune, j'étais plein de vie, je ne connaissais ni les drogues, ni l'alcool, ni l'étreinte bienfaisante de Lulu la Nantaise. Comment alors ai-je pu tenir jusqu'au bout ? Où ai-je trouvé la force ? Peut-être que ce sont ces mimiques trop choupi de ce blob qui m'ont permis de tenir. Cet air déçu quand vous lancez un bonbon à côté de lui sans qu'il puisse le rattrapper. Ces airs débiles qu'il conserve dans ses transformations. Ces petites musiques et sons rigolos quand il reprend sa forme. Cette façon de se dandiner sur son cul pour vous rejoindre, au risque de vous pousser dans le vide, ou sous une machine fatale (oui, car vous ne pouvez pas vous tenir à la même place que lui. Ah ha. Subtil.). Peut-être même sont-ce ces énigmes à la con, venues de l'espace : lui donner un bonbon à la banane pour en faire une clé à molette. Ah ben oui... on vous avait pas dit qu'en anglais, clé à molette se dit "Monkey Wrench" ? Monkey > Banane. C'est idiot. C'est génial. Ce qui est génial c'est que je viens de faire le rapprochement uniquement à la seconde, là, maintenant, en écrivant ces lignes, plus de 15 ans après. J'en ai une boule dans la gorge.
Je passe sur le reste : des trésors à chercher, ou pas. Ca ne change rien. Des bugs et des trucs qui vous permettent de finir le jeu en deux minutes au lieu d'y passer quatre heures. Des tronches de crétin quand votre "boy" est pendu dans le vide et court comme un damné pour retourner sur le mur qu'il vient de quitter. Un bonbon qui ne sert que dans une seule situation, laquelle vous fait perdre toutes vos vies d'un coup.
Et une fin encore plus naze que celle de Dragon's Lair et Dr. Franken réunies. Ce qui n'est pas rien.
Je ne sais pas si je dois vous conseiller ce jeu. Je ne sais plus... tout se mélange dans ma tête. Mon corps gît dans mon sang, l'odeur de mort envahit la pièce, ma pensée se brouille... ô, folie, ô, nostalgie, mal qui ronge les hommes...
Je n'aurai finalement qu'une dernière parole : oui, essayez-le. Car ce jeu, finalement, est porteur d'un esprit, d'un souffle qu'on ne rencontre plus. Des types qui ont porté jusqu'au bout leur concept, leur gameplay unique, leur réalisation artisanale. Un jeu qui, avec un level-design plus soigné, aurait pu être une bombe. Il ne sera finalement qu'une curiosité. Mais je sais que vous êtes curieux. Comme je le fus... en ces temps lointains... bien avant que vous ne croisiez ma route... et que je redevienne cet homme triste et seul... oui, parfois, je me sens seul, si seul depuis que vous êtes partie, Natalia...