Le gras c'est la vie, la viande c'est la force.
Kwirk
Acclaim - 1989
La vengeance de Super Tomate. par Petemul

Extras : Musique - Manuel TXT - Manuel PDF
La vie du critique oldies n'est pas toujours rose. Il faut supporter les quolibets de ses amis, il faut faire de la place pour toutes ces vieilleries chez soi, il faut supporter le regard désapprobateur de Patricia lorsqu'on lui avoue au détour d'un repas aux chandelles "tu sais... j'ai quelque chose à t'avouer... je... j'écris des tests de jeux vidéos... sortis il y a 20 ans..." Bref, l'horreur. Et je vous parle pas du pantalon en velours côtelé, ni des DVDs d'Errol Flynn au milieu de la saison 1 de Star Trek.



En plus de ça c'est dur, parce que le filon s'amenuise forcément, mathématiquement, irrémédiablement. Eh oui, il n'y a pas de nouvelles sorties, bananes, donc une fois qu'on a fait le tour de sa ludothèque et de celle des autres chroniqueurs qui vous piquent vos idées, les salauds, eh ben on bloque. Oh bien sûr, l'émulation nous ouvre des terrains vierges et fous, mais j'ose espérer que le mot "déontologie" a encore quelque valeur dans ce monde pourri et technocratique.

Je promenais donc un oeil morne sur l'étalage d'un de mes revendeurs habituels qui pratique des tarifs à en faire rougir la Reine d'Angleterre, désabusé, me planquant du regard des passants en enfouissant mon visage sous mon chapeau. Coup de pot, personne ne m'a reconnu cette fois-ci, pas comme ce jour maudit où un de mes élèves a eu le malheur de s'acheter un jeu avec sa maman en même temps que moi. La petite raclure. Donc là, j'étais relativement en paix avec moi-même, et je me préparais à repartir bredouille quand WOOOOT ! L'illumination.



Dans un coin de la vitrine, derrière une pile de F1 Race (oui, le jeu produit, pour une raison obscure, à un ratio d'à peu près 1 cartouche / habitant de l'Inde et de la Chine réunies, allez comprendre), dans ce coin donc, je tombe sur une étiquette orange avec une tomate rouge à lunettes. Genre Cool Spot, mais en volume, et avec une crête de punk. Kwirk ! Foutredieu ! "He's a-maze-ing ! Il est stu-pé-fiant", le jeu de mot le plus mal traduit de l'histoire des jaquettes de jeu vidéo, Kwirk merde ! Ce jeu, qui surgit des méandres de la légende, de ces jeux des âges farouches qui étaient présents dans le premier catalogue de la console (que je recherche toujours activement), au côté des Qix, Boxxle et autres Boulder Dash ! Kwirk ! Merde !



Le souffle frais des étals de Toys 'r Us me revint en mémoire, il était là, devant moi, moi et mes boutons d'acné naissante, mes lunettes en plastoc marron, et mon Montesquieu dans la main droite (le bifton, pas le bouquin, abrutis, vous pensez vraiment que je me baladais avec "Histoire véritable d'Arsace et Isménie" ou "Les maladies des glandes rénales" à Toys 'R Us ?). J'étais donc là, il était là lui aussi, juste avant que j'achète Tortues Ninja 1, parce que faut pas déconner quand même. Mais oui, c'était à cette époque bénie... en sortant du rayon des jeux vidéos, je devais tomber sur la Super Nintendo qui venait d'arriver en démonstration et ne pas comprendre ce que c'était, mais c'est une autre histoire. Non là, retour sur terre, Nantes, janvier 2009, je suis frétillant, quelques piécettes d'euro aux lèvres, et la main sur ma bave. Il est là, pour moi !



Alors je vous la refais doucement. Nous sommes bien en 2009 et l'individu que vous voyez s'apprête à mettre la main au portefeuille, avec enthousiasme, pour un puzzle-game sorti en 1990. On a quand même 19 ans dans la gueule. Et excusez-moi du peu, mais Kwirk, c'est quand même un dinosaure du Game Boy, vous allez vite comprendre.



Bref. Sentant déjà l'odeur des pain d'épice fourrés au chocolat Prosper dans mes narines et entendant presque la Mano Negra chanter "Mala vida", je fonce chez moi, masquant péniblement mon érection à Madame Pinchard qui faisait le piquet devant sa boulangerie, et j'enfourne la cartouche dans ma SP, zou.



Trois heures plus tard, je me dis que je mangerais bien et que merde déjà 21h30 ? Ah c'est con j'ai raté "La Classe" avec Fabrice sur FR3. Hein euh non attendez, où suis-je, ah ha ha vous y avez cru voyons non je n'ai pas oublié que nous sommes en 2009, allons... Ahem. Merde, Bigard serre la main au Pape et Palmade a les cheveux courts, on vit dans un monde étrange... Donc, ok, pour le côté "addictif", c'est déjà gagné.



L'allusion au Pape n'est pas si fortuite. Ce jeu, c'est un peu une expérience mystique à plusieurs niveaux de lecture, finalement. Des graphismes purs, non, épurés, non, vides. Les graphismes de cette époque. On s'en foutait de mettre un décor, hein ? Alors des tiles ridicules répétées à l'infini devraient suffire à remplir l'espace. Ca sera toujours mieux qu'un Game & Watch. Et puis crotte, pour un sokoban amélioré avec des touniquets, on ne va pas sortir l'artillerie lourde non plus. Des ombrages ? Ah ha non soyons sérieux nous sommes entre gentlemen. Non, les jeux des temps anciens utilisaient l'à-plat et la ligne claire, old chap. Il faudrait être mad, ou très con (les deux même !) pour espérer le soin apporté à un Dragon's Lair.



Mais l'épure graphique ne serait rien sans la musique des sphères. Sans le souffle cristallin du monde qui apaise vos oreilles et vos âmes. Oh, Kwirk, tomate de plénitude, délivre-nous du mal et de la corruption qui ont mené les éditeurs à la décadence en leur faisant composer de vraies musiques avec thêmes, développement, variations, orchestrations subtiles qui claquent. Non, les détenteurs de la vraie foi oldies savent qu'une piste-son qui transpire la vérité se doit d'être aigrelette, répétitive, de structure fumeuse, et sonner comme rien de connu. En ce sens Kwirk a extrait la quintescence du son de puzzle-game oldie qui tache. Je dis bien "le son de puzzle-game". Vérifez : alors que les jeux de plate-forme, de baston, de simulations ont eu du temps de l'Amiga et de l'Atari des morceaux qui déchirent et qu'on se prend à fredonner au volant de sa Fiat Uno, tous les jeux de réflexion de cette époque ont une espèce de non-mélodie de merde qui part dans les aigus. Comme s'il était acquis que quelqu'un se creusant le cerveau devant des sprites avait besoin de s'aérer ce dernier en ayant du bisounours en overdose de caféine dans les oreilles.



Que serait le Dogme sans vraie Parole à défendre ? Au service de quelle doctrine tout ceci est-il à l'oeuvre ? Au service de vos esprits. Kwirk procède par énigmes, comme autant de paraboles.

Kwirk est une tomate. Kwirk a une petite amie. Kwirk veut la retrouver, parce que si cette conne n'avait pas disparu comme toutes les autres, 95% des jeux vidéos ne verraient jamais le jour.
Donc Kwirk se balade dans des labyrinthes moches, vides, creux, carrés, avec des blocs à pousser et des tourniquets. Dans chaque tableau, vous partez du point A et vous devez vous démerder pour aller au point B. Sans manuel j'ai pigé le bousin d'entrée de jeu, alors me faites pas chier. Ceci dit attention malheureux ! Ca commence soft mais ça finit hard. Parfois, votre puissance intellectuelle seule suffira. Mais s'en remettre uniquement à la Raison, en oubliant l'intervention du mystère de la vie, serait une erreur. Kwirk a donc la faiblesse humaine - et c'est ce qui le rend finalement si parfait - de parfois marcher aussi un peu au hasard en tâtonnant comme un gros sale, et je n'ai pas de comparaison théologique à la con pour ça et je vous emmerde.



Kwirk est donc un défenseur de la vraie Foi. Un concentré (gag) de parole divine. Et la beauté de l'Un ne se mesure pas aux dorures ni aux enluminures, mais à la puissance de la Révélation qu'il provoque.

Creusez pour lui une petite chapelle dans vos chiottes, à côté de Tetris (quand vous avez envie d'un peu plus de rélfexion sereine) et de Mario's Picross (quand vous voudrez un peu plus de bourrinisme). Il y sera bien, il y sera beau.



Je ne vous demande pas de l'aimer, mais d'y croire.
Le point de vue de César Ramos :
A tendance à se raréfier, mais à trois fois rien.