Février 2016. Un beau jour quelconque au bureau, je me suis senti l’envie inexplicable de vouloir changer le fond musical de mes écouteurs et d’envoyer du bon vieux chiptune qui tache, de la musique oldies comme on n’en fait plus. Ouverture de Youtube, clic rapide sur un énième « top 70 des meilleures musiques NES ». Mon dieu que ça sent l’échec, mais diable, peu importe le flacon tant qu’on a l’ivresse !
Les pistes défilaient en fond, la satisfaction s’inscrivait sur mon visage. Rien de plus. Puis vint le moment fatidique : fermeture d’un dossier et remontée de l’exploreur web sur mon deuxième écran. Sous mes yeux ahuris défilaient alors des images d’un jeu, images qui n’auraient probablement pas eu plus d’effet sur moi que la raie –hélas bien trop visible– de la camionneuse remplissant son fuel à la station essence sur ma libido si elles n’avaient pas été précédées par un titre pour le moins barbare. Flash instantané, envie d’instant buyer comme on le dit
dans le milieu, quelques heures plus tard l’irréparable était commis (pour la cartouche, pas la camionneuse hein).
Depuis combien d’années ma NES n’avait pas avalé goulument une cartouche telle une petite salope des bas quartiers (merde à la censure) ? Ben tiens, l’occasion est trop belle. Sans connaitre quoi que ce soit du jeu en question, je savais que je le déflorerais en toute innocence à l’ancienne sur ma bonne vieille console, juste pour son titre abscons et tellement old school. Oui, parce le Crystal Palace dont il est ici question évoque pour moi le club de football anglais du même nom qui, au-delà du fait de m’avoir toujours amusé, aura permis au King Eric (rapport à l’accroche de la présente critique, pour ceux qui auraient du mal) de renforcer sa légende. Qui était déjà grande, mais atteignit là des sommets immémoriaux.
N’en déplaise aux trois bulots du fond qui baillent, preuve ostensible s’il en est de leur inculture crasse, je ne m’abaisserai pas à relater ce geste de légende. Sachez tout au plus que ça parle vaguement de kung-fu dans la gueule d’un jeune et sale briton.
Bref Crystal Palace, ça me parle, et s’il s’agit d’aller le conquérir ce n’en est que meilleur. Je m’empare donc de la fameuse manette aux arêtes à angle droit, enfonce la cartouche dans la console (après avoir esquissé un léger haussement de sourcil en contemplant le talent du graphiste de l’étiquette, talent que je qualifierais de douteux) et démarre la partie. Enfin, façon de parler, la NES reste une console mutine et nécessitera plusieurs redémarrages forcés, mais ça y est, on tient le bon bout. Crystal Palace, me voilà ! *insérez ici un rire démoniaque et énigmatique à la Fantomas*
Ecran titre immobile tout en simplicité et sans intérêt (si ce n’est le logo de l’éditeur du jeu, je suis convaincu d’avoir déjà vu ce dragon rose quelque part, mais où ???), passons vite à la suite par un prompt mais non moins subtil et délicat Start. Le jeu balance immédiatement une introduction, plongée immédiate et immersive dans l’histoire, qui m’est narrée par… un chien. Oui, un chien. Un clebs. Non, pas Droopy, ni Rantanplan. Oubliez également Pif et le petit Pifou, glop glop, le canin ici présent porte le doux nom de Zap. Dieu que c’est laid. Mais Zap est un chien qui en a et il parle !
Il explique au héros qu’il est son gardien attitré. Exactement. Le chien me (oui, moi, car l’immersion atteint son paroxysme et je n’oublie pas que je suis l’incarnation du héros de ce jeu) couve depuis ma plus tendre enfance alors que d’infâmes démons ont pris possession du Crystal Palace. Et maintenant que j’ai atteint un certain âge, il est temps d’aller reprendre possession de mon dû, occire du streum, bouter les intrus hors de mes frontières et montrer que le boss, ici, c’est moi.
Ca me plait. Jusqu’à ce que je revoie le doux sobriquet dudit héros : Farron. Il y a des limites à l’immersion totale. Désolidarisation instantanée, je retourne à mon quotidien mièvre : désolé princesse, il va falloir que tu trouves quelqu’un d’autre pour te fesser au lit ce soir, nous le savons tous deux, je mérite mieux qu’un prénom aussi vilain.
Evidemment qu’il y a une princesse à secourir, n’oubliez pas que nous jouons à un jeu NES de 1990 ! Nous avons certains standards à respecter, mais croyez-moi l’essentiel est ailleurs. Notre ami le chien, une fois sa petite intro déroulée, propose de choisir entre trois items affectant les capacités du héros. Selon l’orbe sélectionnée, le brave Farron (ses parents ne devaient pas vouloir de lui, l’IVG n’était sans doute pas autorisé au Crystal Palace, je ne vois pas d’autre explication) verra au choix sa barre d’énergie, sa capacité de saut ou bien sa puissance de frappe augmentées. Excellent point qui permet de refaire le jeu de manière différente ! Il est toutefois à noter que chaque item peut être récupéré en cours de partie, mais j’apprécie réellement cette petite ingéniosité qui m’est totalement inédite sur NES, a fortiori sur ce type de jeux.
Conquest of the Crystal Palace est en effet un bête jeu de plates-formes / action comme il en existe quinze à la douzaine sur NES. Quand des développeurs ne savaient pas quoi faire comme jeu à l’époque, pouf : jeu de plates-formes / action ! Des bons, des moins bons, des nuls, il y en a pour tous les gouts et tous les niveaux, les plus mauvaises cartouches pouvant aisément substituer aux parpaings pour la réfection des murs vicinaux. Un peu comme à Carcassonne, où les habitants de la ville construisaient leurs baraques avec les pierres de la Cité qui menaçait ainsi de disparaitre, jusqu’à l’arrivée de Violet-le-Duc et d’autres éminents personnages qui interdirent le pillage et recomposèrent ainsi les murs et remparts à grands coups d’importation et de cartouches de Shaq-Fu, pour en faire cette merveille architecturale que l’on connait tous.
[NES Pas?], c’est aussi le site de la culture quand on ne l’attend pas.
Chose complètement folle, notre héros débute sa quête par le premier tableau ! Observation sibylline, vous en conviendrez, mais qui soulève un lièvre : pas de mot de passe ni de sauvegarde. Le joueur expérimenté l’aura tout de suite compris, pour voir la fin de ce jeu il faudra traverser les cinq niveaux d’une seule traite. Et croyez-moi, la fin se mérite et ne s’offre pas aux bleus bites (mais depuis le temps que l’on se connait, nous savons bien que vous n’en faites pas partie). Conquest of the Crystal Palace est assez rude, pique un peu comme la tante Berthe, s’apprend à la dure : bref, ce jeu est difficile. Pas de la difficulté toute rascleuse que l’on a honni si souvent, mais plutôt celle assez frustrante qui donne envie de faire manger la manette à la console alors qu’au final, le problème, c’est vous ! Et aussi un peu la physique toute particulière de notre avatar vidéoludique, il est toujours bon ton de le rappeler.
Transition toute trouvée pour revenir sur notre beau héros, le « prince Pédé l’ami du gouter » comme l’appellent ses amis imaginaires. Il se déplace assez mollement, n’a pas de bouton pour courir et a un physique proche du Flamby. Mais il répond malgré tout de manière irréprochable aux commandes, tenons-nous là un petit miracle inespéré ? Ne sois donc pas si impatient, la réponse se trouve dans le paragraphe suivant.
Difficile de s’exalter devant la course de notre héros qui se traine un peu la bite, la demi molle qui colle à l’entrejambe, celle qui commence à devenir difficile à dissimuler en réunion. Et pourtant il est maniable, c’est assez décontenançant. Ses sauts obéissent à la même logique et renforcent l’impression de lourdeur du personnage : c’est une sorte de golem hybride qui répond présent, une limace agile. Et c’est donc ce jeune pourceau qui veut monter sur le trône ? Laissez-moi rire !*insérez ici un rire démoniaque et énigmatique à la Marcel Desailly*
En fait, le seul impair se trouve au niveau du saut *ascendant*. Comprenez bien, je parle du moment où le héros prend de la hauteur, pas quand il retombe. Ca non, on s’en fiche bien, rien ne saurait vous contrarier. En revanche si vous avez la mauvaise idée, pour je ne sais quelle raison (je ne sais pas moi, un truc farfelu comme vouloir dégager un ennemi), de dégainer votre lame en plein saut, pouf, sanction inextricable et définitive. Porter un coup en l’air annule le saut et vous fait retomber illico, ce qui provoque par là même des situations ubuesques lors des premières parties à la découverte de cet épiphénomène. Sincèrement, je n’ai pas souvenir d’une telle subtilité rigolarde, mais sur le coup ça m’a laissé un peu froid.
Mais autant on peut se crouter comme une merde dans le premier précipice venu à cause de cette petite blagounette des développeurs, autant on peut aussi détourner la chose et ainsi devenir un champion de l’esquive. Le saut est ici un élément à part dans le gameplay qu’il est important de bien maitriser pour espérer aller loin dans l’aventure.
Notre héros, cousin de la chaussette mouillée roulée en boule, traverse donc les niveaux avec sa petite épée prêt à mener des duels au corps à corps. La lame est efficace mais appellera toutefois à la prudence de par sa courte portée. J’aime beaucoup trancher à tout va et je ne suis pas peu fier d’avoir découvert sans aide la botte secrète de notre nain de jardin : en appuyant sur la direction opposée juste après avoir décoché un coup d’épée, ce dernier se retourne instantanément et porte un coup plus puissant en arrière dans un schlac vengeur. Je m’amuse à placer la combine dès que je peux : c’est vraiment un coup inutile donc totalement indispensable. Mais dans l’ensemble les ennemis tombent comme des mouches et, avec une aisance non dissimulée, notre héros les débite en tranches (débite en tranches, débite en tranche, DEBIIIIIIIIIIIIIIITE !!!)
Parfois, certains ennemis laisseront derrière eux des items comme un bonus temporaire pour l’épée, celui qui permet d’attaquer à distance et de rendre les choses plus belles. Son effet disparaitra après un certain nombre de coups portés, mais en bénéficier au moment de rencontrer un boss n’a pas de prix.
A certains endroits des niveaux, une bouche de métro conduira à la rue Montgallet et il sera possible d’acheter du matériel informatique à pas cher dans ses boutiques asiatiques. Je plaisante. Notre héros rencontrera sur son chemin une jeune vendeuse qui, sous sa robe chinoise, proposera des items divers et variés afin de faciliter la progression. De la recharge d’énergie à la vie supplémentaire, en passant par les armes secondaires, on se met à aimer ouvertement la jeune fille. J’ai presque envie de laisser tomber la mission en cours et lui proposer de partir main dans la main, courir dans les vertes prairies, jouer en riant dans la rivière, lui soulever la jupe, aller faire des enfants derrière l’aire de pique-nique du coin ! Raaaaaah ! Puis je reprends mes esprits et je me souviens que cette cruche m’a vendu des armes secondaires sans m’expliquer comment les utiliser. Je vois bien sur l’écran que je dispose d’un arsenal varié, mais comment les déclencher foutredieu ?
Cette godiche de vendeuse parle bien d’une combinaison haut+B mais ça ne sert à rien. Par dépit, j’ai fini par consulter Gamefaqs et appris que la solution était tout naturellement d’appuyer sur bas+A, ce qui permet de sélectionner l’item secondaire. Merci internet. Sincèrement, qui aurait trouvé intuitivement, sans manuel, que pour utiliser la boule de feu qui tend les bras avec son regard aguicheur de petite salope qui se refuse (merde à la censure, ça fait déjà deux fois) il fallait appuyer sur bas et A en même temps ? Ce n’est pas comme s’il y avait un bouton qui s’appelle Select sur la manette, bouton qui sert généralement à sélectionner comme son nom éponyme l’indique. Dites-moi messieurs les développeurs, vous ne seriez-vous pas un peu foutus de nos gueules sur le coup, mmmmmmmm ?
Ca doit être une conspiration mondiale. Des gars ont créé des manettes pour jouer et inclu un bouton tout en sachant qu’il ne sera jamais utilisé par personne. C’est moche. Sauf que là il aurait été utile, pourquoi ne pas l’avoir attribué à cette commande toute bête ? Je m’interroge, sérieusement.
‘fin bon, les armes secondaires rendent les choses plus simples, c’est cool, bien qu’elles soient à durée limitée à l’image du power-up de l’épée dont je parlais déjà plus haut. On peut aussi appeler à la rescousse le clebs qui ne sert à rien et qui se fait gangbanger par les ennemis comme une jeune aveugle devant un glory hole en braille (je crois que la censure a compris là, mais je veux bien une illustration quand même). Mais vu que l’ensemble est assez ardu, on ne crachera pas sur ce petit présent tombé du ciel (non, je ne parle plus de la jeune aveugle, suivez bordel !)
Ensemble assez ardu certes, quoique réparti progressivement. Les deux premiers niveaux se traversent allègrement, une main dans le fut’ et l’autre sur la manette, le temps d’apprendre à maitriser la bête. Le ton monte tout doux, rien d’insurmontable pour les esthètes que nous sommes. Dès le troisième tableau, ça pique (et pas que les yeux) mais ce n’est encore rien par rapport au suivant, celui de l’enfer rose.
Non, il ne s’agit pas un mouvement néo-lesbien mais d’une mise à l’épreuve pour les plus hardis d’entre nous. Imaginez plutôt : un sol qui tue, un plafond qui tue, des plates-formes habilement placées pour pousser à l’échec lorsqu’elles ne s’effondrent pas, des colonnes de feu qui surgissent sans prévenir et des ennemis facétieux prêts à vous piquer le derche et vous plonger dans les affres du game over. Ce niveau me rappelle furieusement celui du soleil dans Life Force, gage de qualité. Vous allez suer comme un goret pour voir le bout de celui-ci et invoquer le ciel pour qu’un ennemi laisse derrière lui le bonus d’invicibilité, croyez-moi.
Enfin, le cinquième et dernier niveau contient un odieux labyrinthe dont les branches tournent en boucle tant que l’on n’a pas trouvé le bon chemin. Ca aussi c’est de l’oldisme dans son jus, lorsque l’inspiration vient à manquer : hop ! Labyrinthe ! Celui-ci est assez fourbe au point de donner au vrai chemin l’illusion d’être lui-même une mauvaise boucle et donc de pousser le joueur à explorer une nouvelle piste, procédé assez retors vous en conviendrez. Mais un duel épique en deux phases face à un boss final énorme est à la clé, du coup on se motive. Hop hop !
Et pour finir ce compte-rendu en grande pompe, vous prendriez bien un petit supplément de couleurs NES qui bavent, n’est-ce pas ? Eh bien notre Crystal Palace ne manque pas à ses devoirs et propose une palette de couleurs ébouriffante ! A l’arrêt, les teintes sont assez quelconques, c’est si bon comme ça. Mais dès que le scrolling est amorcé, quand tout se mélange, ça donne un gout étrange (© Sinclair) qui bave dans tous les sens et transporte le rendu aux limites de ce que mes performances visuelles tolèrent. Ajoutons à cela des petits ennemis monochromes en ton sur ton, et hop, voilà de la WIN en barre ! Vous êtes comme moi, je suis comme vous, nous avons vu pire. Mais ça reste tout de même toujours un brin déstabilisant, toujours acceptable mais pas forcément folichon pour autant. Je donne quand même un petit certificat de qualité au niveau 3, dont le choix et l’application des teintes lui valent dans le milieu le doux surnom de « lendemain de tajine aux pruneaux ».
Les sprites des ennemis (et de notre héros, ne l’oublions pas) sont en revanche la simplicité même mais restent assez efficaces, je ne cracherai pas dessus. Si ce n’est qu’ils sont également frappés par le mauvais sort du colorateur fou, c’est assez inégal tout ça.
Mais attendez… Si vous avez bien lu jusqu’ici, vous aurez noté que nous n’avons pas encore mentionné un point. Alors même que c’est celui qui a conduit mes pas jusqu’à cette cartouche (oui oui, relisez le tout premier paragraphe si besoin) ! Je ne vous ferai pas languir plus longtemps, je termine avec la bande-son du jeu : nombreux sont les jeux ayant des musiques épiques, virant parfois au sublime. Batman, la série des Megaman, les Zelda, Saddam Hussein’s Hideout… Eh bien ce n’est pas le cas ici. Non pas qu’elle soit mauvaise, bien au contraire, mais cette bande-son manque dans son ensemble de l’étincelle qui lui permettrait d’inscrire son nom dans le marbre du panthéon des jeux NES. Au lieu de cela, elle se contentera de se ranger un cran en-dessous dans le casier des bons sons, ceux qui accompagnent une partie plaisante et ne donnent pas une franche envie de baisser le volume pour balancer du Patrick Sébastien à fond les ballons dans les enceintes de la Vespa. Je les aime bien les musiques de ce jeu, leur sonorité asiatique colle parfaitement à l’ambiance, celle du premier niveau est une petite réussite qui mériterait une franche accolade à leur compositeur si je venais à le rencontrer. Dommage que les boucles soient dans l’ensemble trop courtes et répétitives, sans quoi on aurait eu du TRES TRES bon, il s’en sera fallu de peu.
Je crois que j’ai à peu près fait le tour du sujet. Conquest of the Crystal Palace aura été une excellente surprise, de celles que l’on n’attend plus après avoir tant baroudé. Dois-je pour autant en faire un top de la NES ? Je ne crois pas, non. Est-ce un must have ? Oui, à condition d’aimer admirer les aplats anaglyphes de Klimt avec les lunettes 3D adéquates. C’est en fait un bon petit jeu honnête, qui prouve que tous les titres qui n’ont pas traversé l’Atlantique ne sont pas forcément les bouses que l’on veut nous faire croire. Il lui manque juste les petits détails qui taillent les légendes dans la roche, comme une meilleure fluidité et un rendu graphique plus travaillé, la finition qui fait les grands jeux…
Et soudain, le miracle : faire tourner le jeu sur émulateur permet de gommer certaines lacunes. Les infâmes couleurs baveuses passent à la trappe et les décors s’affichent dans toute leur splendeur, le rythme qui se trainait la bite n’est qu’une conséquence des pauvres 50Hz de nos consoles européennes, sur le support d’origine il est en fait plus qu’acceptable (tu m’étonnes, il était calibré pour ce format à la base) ! Il subsiste encore quelques impondérables que la technique ne saurait améliorer, mais ces seuls petits correctifs magnifient la cartouche et la rendent autrement plus sympathique... Alors devant un tel revirement de situation, tous ensemble : « Ooooh, aaaaah, CantonAAAAAA !!! »