On m'a vu faire beaucoup de choses insolites. On m'a vu, déguisé en épouvantail celte, effrayant des marmots dans une colonie de vacances. On m'a vu montrer mes fesses et pire encore face à la Méditerranée, à côté de jeunes hommes faisant des pompes. On m'a vu m'exploser le pouce et les yeux en jouant 7 heures d'affilée à Gauntlet II "pour voir s'il y avait une fin". On m'a même vu dans le Vercors sauter à l'élastique, voleur d'amphores au fond des criques.
Mais le pire du pire, la crême des crême, restera quand même ces longues pages griffonnées d'une main hâtive, les soirs de pleine lune. Des pages pleines de signes cabalistiques, de lignes à l'interprétation glissante, alors que je haletais tel un damné. Je m'entends encore dire "j'y arriverai ! j'y arriverai !". J'en tremble encore.
Vous allez bientôt comprendre.
Replongeons-nous dans le contexte. Les premiers magasins d'occasion ouvraient à Nantes, en cette fin d'hiver. Était-ce en 1995, 1996, je ne sais plus. 1997, peut-être même. J'avais dégotté à peu de frais un Super Metroïd et un Super Probotector. J'étais heureux, j'étais fou. Soudain, au détour d'un étal, un nom me fait frémir. "Non, non, c'est impossible... je deviens dément... ô Seigneur, prends pitié de mon âme..." Et pourtant, elle était là, cette boîte. Elle arborait humblement ses lettres rouge et or sur fond bleu, épellant le nom du roman qui hantait mon imaginaire jour et nuit depuis plusieurs années. Lord of the Rings... Impossible, incroyable, fou, il y avait donc un jeu qui était sorti ? Oui même toi, ami oldies, tu ne le connais pas. Ou si peu. Alors petit retour sur la chose.
Il fut prévu, fut une époque, une adaptation du roman de JRR Tolkien sur NES. En trois jeux, correspondant aux trois livres. Finalement, retards, difficultés techniques (!), bref, c'est Interplay qui s'y colle, et qui sort un jeu sur SNES un peu à la ramasse, à tel point que le jeu n'a eu qu'une diffusion limitée en Europe.
Bref. Théoriquement, une grosse licence comme ça donnant un jeu inconnu, ça aurait dû m'alerter. Sauf qu'à l'époque, j'étais encore jeune et con. Maintenant j'ai vieilli et je ne me laisserai plus avoir.
J'étais perdu. J'achetais et mes journées suivantes furent dévastées par ce jeu. Et pourtant, il y avait de quoi décrocher. Mais à cette époque, je voulais tout finir. Et croyez-moi, ce fut dur, très dur. Très très dur. D'autant qu'il a des qualités, ce machin.
Oui, les deux du fond, vous m'avez bien entendu, des qualités. Mais les deux du premier me rang me disent "attendez, on ne sait même pas de quoi il s'agit comme type de jeu". Ce à quoi je répondrais que c'est moi qui cause ici, et que j'aime pas les fayots.
Ceci dit, donc, Lord of the Rings est un jeu d'aventure. Vue à la pseudo-verticale, comme un bon Zelda des familles. On contrôle son petit perso, on le balade, on a un bouton pour attaquer (et un pour parer - mythique), on a un inventaire, un écran-carte... ah non, pas d'écran carte. Ah tiens. Ah. Aaaaaah. Déjà, on sent la tuile arriver, là...
L'histoire, on la connaît : Aller amener l'Anneau Unique à la fonderie locale. Evidemment, y'a eu des aménagements pour le jeu, genre il faut commencer avec Frodon et Pippin, chopper Sam, explorer, trouver Merry, etc. De ce côté-là, y'a pas grand chose à redouter, du moins quand on sait à quoi s'attendre avec toutes les adaptations de ce genre. Bien sûr, vous aurez un haut-le-coeur quand vous devrez collecter les amulettes magiques pour permettre à Elrond de vous donner de l'XP... enfin...
Visuellement, on ne peut pas dire que ça soit le naufrage. C'est moche pour de la Super Nes, certes. Joli pour de la NES. Sauf que bon... Les sprites sont peu détaillés, peu colorés, et peu nombreux, surtout. Mais, je ne sais pas, il y a quelque chose, un climat, une harmonie dans les tons (!!) qui fait que, bon, finalement on leur pardonne. C'est du pauvre assumé, quoi. Et l'écran-titre est superbe, c'est toujours ça.
Les sons sont inexistants. Mais musicalement, c'est très intéressant. Très très intéressant. On retombe un peu dans le syndrome Dragon's Lair sur Game Boy : deux-trois pistes qui se battent en duel, une pour l'intro, une pour le jeu, mais super longues à chaque fois. Et belles à pleurer. (Enfin, deux d'entre elles).
J'ai tremblé sur Castlevania IV. J'ai pleuré sur Chrono Trigger. J'ai vibré sur Secret of Mana. Mais sur Lord of the Rings, j'ai simplement écouté. Écouté longuement. Comment dire ? L'ambiance parfaite, un poil médiévale, un poil folklore anglo-saxon, un poil épique... flûtes, tambours, violons, une orchestration classique pour un climat complètement Tolkenien. Fou. Aussergewöhnlich, même. Ajouté à la saveur graphique dont j'ai parlé, ça donne que globalement, une ambiance très très sympa. Et surtout, rare.
Mais patatra. Here comes the maniability, et sa copine, la jouability. Et là, fini, terminé, exit les bonnes intentions. C'est un cauchemar sans nom. L'Ombre de Mordor s'étend sur nos consoles, pauvres compagnons.
Les persos sont très peu maniables. Pas de diagonales, des mouvements lents, pires que Castlevania : l'anticipation des coups d'épée vous demandera une sacrée acclimatation. Quant à parer, n'y pensez même pas, c'est le meilleur moyen de vous en prendre plein la figure. Et quand ça commence, vu qu'il n'y a pas d'invincibilité partielle, ça s'enchaîne, et la mort vient vite.
Ensuite, sachez que l'on contrôle le perso principal et le reste du groupe va et vient librement, y compris en dehors de l'écran. On peut les "rappeler" et - attention mythe - les contrôler en appuyant sur un bouton, mais ils font tous le même mouvement simultanément, dans ce cas. Et votre perso principale ne bouge plus. Oui, vous avez bien compris : on peut donc switcher entre contrôler le perso numéro 1, contrôler le perso numéro 2, et contrôler tous les autres à la fois. C'est beau. Sauf que ça sera pas multijoueur, hein, faut pas rêver.
Toujours pas clair ? Globalement, en fait, au début, on contrôle Frodon, et les autres Hobbits suivent. C'est donc un choix Frodon / Le groupe. Puis vient Aragorn, et le choix devient Aragorn / Frodon / Frodon + le groupe. Groupe auxquels vont s'ajouter Gimli et Legolas, ce dernier ayant la particularité de ne rien faire. Oui, son arme est l'arc, et il ne tire pas une flèche du jeu. C'était pas prévu. J'adore. Gandalf viendra faire un tour dans le niveau de la Moria, pour dire coucou. Boromir par contre vous fera un cordial salut à Fondcombe, mais ne se bougera pas les fesses, parce que trop de sprites à gérer, vous comprenez...
A la limite, en étant oldie de mauvaise foi, on pourrait y trouver un intérêt. "Ouais ça renouvelle le gameplay et tout." Ha ha. Vous voulez être de mauvaise foi ? Alors dites carrément "ce jeu est un vrai challenge vu la façon dont il est construit". Car c'est encore plus lourd de ce côté-là.
Dans la série des RPG, il y en a où le chemin est plus ou moins évident. Parfois, c'est un peu le bazar, on doit explorer un minimum pour arriver au bout. Jamais, cependant, je n'ai vu de labyrinthe aussi horrible qu'ici. Les maps sont énormes et intraçables : les salles font plus de 2 écrans de côtés, elles se ressemblent toutes, ce qui fait qu'il est même presque impossible de faire une carte papier ! AAAAAH ! Cauchemar ! Même la technique du "toujours tourner du même côté" trouve ses limites. Et ça n'attendra pas le dernier niveau : dès le premier donjon, on a le tournis. Les Hauts de Galgals sont une épreuve redoutable. Alors la Moria, évidemment...
Du coup, c'est chiant. Le mot est lâché. Chiant car monotone. Vous comprenez mieux l'intro de cet article, non ? Attendez, ce n'est pas fini. Heureusement, si le jeu est difficile, il y a des sauvegardes.
Ah ben non, même pas. Des passwords. Et quels passwords ! Quand je vous parlais de signes cabalistiques, j'exagérais à peine. Bon, c'est de l'alphabet de base, mais il y en a tellement, des lettres ! 48 ! QUARANTE-HUIT CARACTÈRES DANS CES MOTS DE PASSE A LA CON ! Six minutes pour en rentrer un ! Et puis, utiles avec ça : il doit y avoir 3-4 points de réapparition dans tout le jeu. Le tout truffé de bugs qui vous font réapparaître avec les mauvais objets, des personnages qui disparaissent, etc. La grande Classe.
Voilà pourquoi j'ai passé des nuits entières à faire des cartes dans tous les sens, noter 150 passwords, et à perdre ma santé mentale. Le tout pour une immense frustration : le jeu ayant été un bide cosmique, aucune suite n'a été réalisée... et vous vous trouvez donc comme un con, avec une fin en suspens dans la Lorien, alors que vous savez pertinemment tout ce qui aurait pu suivre derrière.
"Même les sages ne peuvent voir toutes les fins", qu'il disait... il avait de l'humour le père Gandalf... Dommage. L'ambiance est vraiment unique, mais le gameplay ruine tout...
BONUS TRACK : Le Mythe Ultime (MU) du jour
Alors voilà, ami oldies. Comme moi, tu n'as pas peur, le challenge, c'est ta raison de vivre. Comme moi tu as passé 35 jours à faire ce jeu, à optimiser tes caracs à mort, à prendre tous les objets, et tu arrives, blindé d'XP, à la fin de la Moria, avec ton groupe au complet, pétant de santé. Tu te pointes devant le Balrog et, comme moi, tu réussis avec classe à placer tous tes persos de sorte qu'ils touchent ledit Balrog sans eux-mêmes se faire toucher. Et tu le meules à grand coup d'épées dans la tronche, tandis que Gandalf balance ses boules de feu à fond les asticots.
Car oui, c'est possible, il y a des positions complètement à l'abri au niveau de ce bordel de pont de Khazad-Dûm. Et donc, pan pan pan pan dans ta face, monsieur le Bœuf Charolais de 15 mètres de haut. Sauf que non, il ne crèvera pas. Il ne crèvera pas tant que Gandalf ne sera pas fait ratatiner. Bordel ! Évidemment, on connaît l'histoire, mais c'est tellement ridicule de devoir attendre que Gandalf se fasse transformer en charbon actif (et pas tomber, sacrilège !!) alors qu'on blaste tout, que bof, caca, prout, et tout ça. Voilà, je deviens vulgaire. C'est dit. Le passage le plus terrible du bouquin qui revêt des allures de foire aux glitches (je sais pas, ils auraient pu mettre une cinématique à deux balles, au moins, histoire que ça soit automatique), c'est frustrant.