Pouf, un mythe. Un de plus. Et un si énorme qu'on se demande comment personne ne l'a encore critiqué sur ce site. C'est d'ailleurs ce qui m'est arrivé hier soir, en me couchant : "tiens, mais comment se fait-il que personne ne l'ait encore critiqué sur [Nes Pas ?] " ? Je me répète mais c'est pour bien fixer l'idée dans les esprits. J'aime que mon message soit sans ambiguité.
Parce que dans la catégorie "mythe", Prince of Persia se pose un peu là tout de même. Permettez-moi de vous prendre par la main (c'est une image, jeune sot) pour faire avec vous un petit saut dans le temps.
L'époque où je vous emmène est un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. Une époque bénie. Une époque où TOUT est né. Mon cher Kévin, apprends que Castlevania, Final Fantasy, et autres Prince of Persia qui te donnent la gaule aujourd'hui sont apparus en pixels et en chiptunes dans ces années-là, les années 80. Et en ces temps reculés, un homme et un seul suffisait pour faire un jeu. D'ailleurs on ne "faisait" pas, on "créait". Oui, à ce stade on parle de création, on parle d'art. Et on se découvre devant ces Monsieurs, Eric Chahi, Alexei Pazithnov, ou Jordan Mechner, j'en passe.
Ca peut paraître fou. Ca paraîtra d'autant plus fou quand je vous dirai qu'il aura fallu près de 4 ans au dernier sus-cité pour mettre au point, sur son Apple II, un jeu révolutionnaire. On en était encore à la toute puissance de la plate-forme bondissante : Super Mario emportait tout sur son passage, les jeux mettaient en scène des personnages sur ressort à la détente sèche de sauterelles. Même Simon Belmont, le golem des Carpathes, saute son 1 mètre 80 à l'aise avec son armure en acier de 75 kgs sur le dos. Avec quelques frames grotesques pour faire illusion. Et au fond tout le monde est content, on est là pour jouer, merde.
Et là, Jordan Mechner, MONSIEUR Mechner même, décide que non, lui il va faire autre chose. Un jeu en pixels, mais aux mouvements réalistes. Le bougre - qui n'en est pas à son premier jeu - emprunte donc une caméra, filme un homme réel en train de faire ses exercices, essaie de numériser tout ça, et en tire un personnage de jeu animé comme jamais.
Imaginez donc. A l'époque, les processeurs ont une puissance qui se compte en quelques Mégahertz, les mémoires en kilo-octets. Eh ben Mechner va s'asseoir copieusement sur toutes ces considérations pour offrir le héros de jeu vidéo le mieux animé de l'histoire, qui fait même un pied de nez un brin arrogant (mais il a raison le brave garçon) à certains jeux 3D d'aujourd'hui.
Notre Prince - puisque c'est de lui qu'il s'agit - marche, court, saute, s'accroupit, manie l'épée, avec un réalisme bluffant. Bon évidemment, il ne connaît pas la fatigue, mais un jeu qui s'arrêterait au bout de 10 minutes parce que le héros est en hypoglycémie, ça ne serait pas super vendeur. Outre ce détail, c'est parfait. L'éditeur applaudit et la communauté de joueurs aussi : le jeu va être un carton, porté sur quasi toutes les plate-formes. Performance notable quand on sait que point d'internet, point de médiatisation à outrance, non, en ces temps reculés, c'est presse spécialisée, magasins obscurs et copie sauvage sur l'ordi des collègues de papa. Ah oui tout de même.
Ceci dit, un personnage bien animé c'est bien joli, mais ça ne fait pas un jeu. Au mieux c'est une démo technique. C'est à ce stade que le génie de l'auteur se fait vraiment sentir. Et là je dis "Bonjour Jordan". A genoux. Notre prince est le héros d'un bon drame à l'ancienne, ambiance "Le Voleur de Bagdad", méchant Vizir, princesse éplorée et tout. Il va falloir s'échapper des geôles du grand méchant et sauver sa promise sur l'heure. Oui, le jeu est chronométré, chose qui a son importance quand on sait que les niveaux sont longs et bardés de pièges mortels qui vous feront recommencer du début tandis que le chrono tourne toujours... et il va donc falloir vous farcir tout ça en évitant les trous, les pics, les lames de rasoir, et vous battre contre quelques rares gardes en jouant de l'épée - attaque et parade, rien de moins ! - avec un stress qui vous collera à la peau comme l'odeur de tabac froid après une soirée entre "jeunes".
Le gameplay et l'ambiance sont impeccables. Le carton, comme je l'ai dit, est mondial. Alors forcément, chez Nintendo on va faire les choses en grand : le jeu sortira sur la reine Super Nintendo. Pour cela, c'est Arsys Softwares (illustres inconnus plein de talent), avec Konami à la distribution, qui s'y colleront. Eh ben les illustres inconnus d'Arsys mériteraient une statue.
Plutôt que de bêtement porter le jeu original en faisant un copié-collé du gameplay et des niveaux (tiens, parlons de GTA IV voulez-vous ?), avec juste un lifting graphique, ils vont carrément le refaire. Une version étendue, plus grande, plus forte, plus puissante, plus tout ce que vous voulez. la Super Nintendo aura donc SA version exclusive : 20 niveaux, 120 minutes, des musiques de folie, des graphismes parfaits, et une ambiance au top.
Prince of Persia va vous coller un bon challenge oldie comme on n'en fait plus. Les niveaux sont tortueux et les pièges sont partout. Et tout est fait pour que vous vautriez comme une merde sur ces pics dont pourtant vous auriez dû voir les trous annonciateurs dans le plancher... Rick Dangerous est un "die and retry" à apprendre par coeur. Megaman est un jeu vicelard mêlant dextérité et savant calcul du timing. Prince of Persia se rapproche un peu de ce dernier : un jeu de plate-forme où la prudence est reine.
Le compteur tourne, le temps est contre vous, les niveaux sont labyrinthiques, avec des énigmes à base d'interrupteurs et tout, et vous devez avancer prudemment ! C'est là que réside toute la torture mentale de ce jeu. Explorer sans se presser. Sans quoi, sanction : vous devrez vous retaper tout le niveau depuis le début. Ca fait réfléchir... à vous donc de penser à avancer à pas de loups pour ne pas déclencher ce gros piège qui pend du plafond. Et en même temps, enchaîner des sauts à la chaîne pile sur la bonne dalle dans le bon tempo en vous raccrochant au mur en face. Certains passages sont de la plate-forme la plus sadique qui soit, qu'on est heureux de franchir, et que l'on redoute d'avoir à se retaper pour une bourde quelques écrans plus loin.
Tout ceci est d'autant plus délicat que, toujours par souci de réalisme, votre personnage a une inertie tout à fait humaine. Si vous courez comme Carl Lewis, n'imaginez pas vous arrêtez d'un coup au bord de ce précipice ! Combien de joueurs se sont écrasés comme de pâles étrons parce qu'ils sprintaient comme des abrutis et sont arrivés au début d'un écran lancés sans pouvoir s'arrêter dans le trou une tile plus loin ? Combien se sont retrouvés tranchés en deux par un garde parce qu'ils ont mal calculé le timing de leur parade après un coup d'estoc un peu trop audacieux ? Combien ont fracassé leur pad après ce saut mal calculé juste au passage d'un hachoir géant ?
Mais combien également ont joui en réussissant ce triple saut avec aggripage à une plate-forme solitaire au milieu du vide ? Combien on souillé leur caleçon en poussant un de ces sales gardes dans une fosse ou sous une presse impitoyable ? Oui, Prince of Persia offre aussi ce bonheur-là : vos ennemis souffriront des mêmes pièges que vous, ce qui vous permettra d'éprouver un plaisir sadique lorsque, passant derrière un adversaire, vous lui ferez faire le pas de trop. Exit les ennemis invincibles ! Ca demande de s'accrocher à son pad, mais l'enjeu en vaut la chandelle.
La Super Nintendo répond en tout cas au poil et vous sert ce bonheur sur un plateau d'argent orné de danseuses mi-nues. Les contrôles sont parfaits, la réalisation léchée, avec une palette juste un peu terne et des musiques un brin entêtantes, mais ça passe. Tout est fait pour votre plaisir et vous serez seul responsable de votre défaite ou de votre succès. Et c'est ça la force de ce jeu : cette montée, leeeente, longue, harassante, de niveaux en niveaux, ce crescendo est tout juste parfait. Vous êtes le héros, vous suez comme lui, cette princesse, c'est la vôtre, et ce vizir vous le détestez du plus profond de votre âme. Oui, avec cette cartouche, niveau émotions, vous en aurez pour votre argent, largement.
Alors n'hésitez plus. Ne jamais avoir joué à Prince of Persia 1 est déjà en soi un crime contre le vidéoludisme. Si cette version n'est pas à proprement parler l'originale et peut rebuter l'intégriste de passage, elle n'en est pas moins superbe. Il faudrait être mad, ou très con (les deux même !) pour refuser l'expérience sous ce seul prétexte. Foncez !