En France, on n'a pas d'idées, mais on a [Nes Pas?]
Shadowrun
Dataeast - 1993
Cyberpunk m'était contée par Petemul

Extras : Musique - Manuel TXT - Manuel PDF
Quand on parle de jeu d'aventure sur Snes, on pense principalement à Zelda ou aux jeux de Square. Et 99% du temps nous nous trouvons donc dans des jeux à l'ambiance vaguement heroïc fantasy, dans une vue de haut. Je passe volontairement sous silence l'échec d'Equinox avec sa vue 3D isométrique qui aura causé des ulcères à plus d'un d'entre nous, moi le premier. (Une des rares fois où j'ai failli décocher un coup de pied à ma Snes, soit dit en passant. Ceci dit il faudrait être mad, ou très con, voire les deux, pour en arriver réellement à une telle extrémité.)



Et là, pouf, Shadowrun. Je connaissais l'univers en question puisque j'avais fait mes griffes dans le jeu de rôle du même nom, donc en le voyant je me suis dit "banco". Et j'ai vu les screens et j'ai pensé à Syndicate, donc je me suis dit "super banco". Nous voici donc avec un jeu qui avait tout pour me plaire. C'est parti pour du bonheur en tranches fines et en 3D isométrique avec pointeur géré au pad.



Oui, je sais, j'ai lâché la fin de la dernière phrase de façon un peu abrupte, pour voir vos réactions. 3D isométrique, tout de suite, vous me dites "Equinox", que je citais plus haut ; et automatiquement vous vous dites "ce jeu pue la défaite, ça va être incontrôlable." Et par ailleurs, "pointeur géré au pad", ça sonne un peu comme "street fighter II joué au joystick", on a beau dire, ça ne met pas en confiance. Sauf que là si vous y réfléchissez, l'association est lumineuse. Qu'est-ce qui fait chier dans la 3D iso, hein ? La visée. Et quoi de mieux pour pallier cela qu'un viseur géré à la croix directionnelle ? Et pouf, la stratégie de l'échec, par une magnifique allégorie mathématique (un nombre négatif multipliant un nombre négatif donne un résultat positif, oui oui), se transmute en stratégie gagnante.



Mais n'allons pas trop vite. Commençons donc par resituer le cyberpunk pour nos lecteurs les plus jeunes. Le cyberpunk, amis oldies, c'est un courant de SF qui sent bon les années 80-90. Pile-poil l'âge béni de la guerre Sega-Nintendo, l'époque qui nous fait tous vibrer ici. Rien qu'à évoquer le cyberpunk je revois déjà les pubs Sega, Harrison Ford dans Blade Runner, Robocop qui enlève son casque et Syndicate sur le Mac de mon pote du lycée. Du gris, du sale, de la ferraille, des câbles tordus et des lance-roquettes greffés sur des bras dans des mégalopoles huileuses et pluvieuses, aux rues tellement encaissées entre les gratte-ciels qu'on a oublié le soleil depuis longtemps. Je revois ces héros blasés, bouffant sans conviction un mélange Nem-Kebab dans une pochette de papier gras, ceintrés dans leur imper délavé, cachant à peine un gros flingue pendant au holster sanglé contre le coeur. Oui, quand j'étais petit, je voulais devenir Samouraï des Rues, je voulais mêler ma sueur à celle des cités futuristes et planter mes crocs dans la faune rouillée des bas-fonds. Aujourd'hui, je suis fonctionnaire de l'Etat Français... autant vous dire que ma machine à rêve en a pris un sale coup. Paraîtrait même que le Père Noël est une légende et que Sega bosse pour Nintendo. O simple things, where have you gone...



Donc, du cyberpunk. Ici pas de princesse à sauver, pas d'épée à aller tirer d'une racine d'un baobab, non, ici il va falloir casser la gueule à des méchants à côté desquels les meilleurs vilains de chez Final Fantasy font office de ballerines. Dans ces villes-là, quand on est du côté obscur, on n'est pas un génie du mal, on est juste un génie du crime. Ca veut dire notamment qu'on ne cherche pas (vainement) à avoir de la gueule en promenant son katana contre ses cheveux argentés de 3 mètres de long, mais juste à avoiner la gueule de ses rivaux, qu'importe les pustules et les bourrelets. Quand au héros, Jake, (oui, toi aussi joue à "ce nom sent le cliché"), il essaie juste dans un premier temps de survivre, en recollant les bouts de sa mémoire, ne serait-ce que pour comprendre pourquoi il se fait descendre dans la scène d'ouverture. Et comment il s'en sort miraculeusement.



Par contre pour sa petite copine on repassera, elle le largue comme une grosse salope dès le début, et merde à la censure. De toute façon elle sentait des pieds. Plus intéressant sera, finalement, la relation avec ce chien bizarre qui vous suit et qui vous parle. Et s'il ne faisait que parler, déjà, ça serait suffisant pour aller consulter un psychanalyste de garde pas trop cher, mais en plus il parle d'esprits, de destin, de mission. Ah. Oui. Parce que ce que je ne vous ai pas dit, c'est que la particularité de Shadowrun, c'est d'assaisonner le cyberpunk d'un poil de magie.



Ce qui fait que nous allons trouver, au milieu de nos braves hères humains mécanisés de partout, des elfes, des orcs, des vampires, des créatures magiques, des sorciers plus ou moins shamaniques. Aaaah... là tout de suite on fait moins le malin. Surtout quand vous vous ferez coincer entre un orc toutes mitrailleuses dehors d'un côté, et un sorcier des rues qui essaie de vous emplafonner à coups de boules de feu. Ou qu'une pâle copie du Joker de Batman version "L'Exorciste est de retour" vous enverra toute la racaille de la ville aux fesses, à grand coup de boules de feu. Et là, votre pauvre 357 Magnum vous semble bien dérisoire... cruelle réalité de la vie...



Et s'il n'y avait que la réalité ! Mais le monde virtuel est là aussi. Oui, Matrix n'a rien inventé, scoop. Déjà avant Neo, des héros se promenaient sur des réseaux de communication, avec vrais combats et tout. Alors là je vous préviens, c'est sommaire. N'empêche qu'en infiltrant les réseaux informatique, vous arez droit à des séquences spécifiques, certes sobres, mais on s'en tape. Retenez que les dégâts que vous subirez ne seront pas virtuels, eux, alors allez-y avec circonspection si vous voulez avoir tout le pognon sur le compte secret de M. Bidule, ou ce foutu code pour couper le broyeur du niveau 3-2-6-3-8-2-7.



Je vous préviens : Jake, et vous-même, allez en baver des ronds de chapeau pour découvrir le fin mot de l'histoire. Même si la maniabilité est tout à fait correcte (la 3D iso est finalement donc très agréable et se promener dans les menus austères, en fait, se fera sans peine), même si les déplacements et la visée viennent facilement, même avec les armes, les alliés, les niveaux que vous gagnerez, les magies, les objets, vous allez prendre cher. Et si l'on peut gagner de l'expérience, celle-ci vient vraiment parcimonieusement. Un peu trop.



Ce n'est pas inhumain, mais le côté labyrinthique de certains niveaux, certaines parties de la ville, et le foisonnement d'ennemis, vous mettront en face d'un challenge tout à fait appréciable. Vous serez peut-être un peu perdus parfois, malgré les nombreux dialogues qui essaient de vous filer des tuyaux, mais après tout, vous avez été élevé à la dure, êtes venus à bout des Zelda NES et de Battle of Olympus, alors rien ne vous est impossible.



Je suis passé un peu vite sur le gameplay, j'y reviens. Basiquement, avec votre croix vous vous déplacez sur la grille. Un bouton pour accéder au menu, des boutons pour examiner les objets, passer en mode curseur (un pointeur apparaît, dirigé sans trop de lourdeur par la croix, joie), voire en mode viseur : oui vous visez "à la souris" sans pouvoir vous déplacer. C'est un coup de main à prendre, mais de fait, au milieu d'un échange de tirs, ça ne vous servira pas à grand-chose de chercher à éviter les balles, le but est plutôt de trouer l'adversaire le plus vite possible. Donc on se concentre sur ça cible et on encaisse en attendant. Et finalement c'est aussi bien, car rappelez-vous, nous somme en isométrique et essayer de viser juste est voué à l'échec si on n'a pas un joli pointeur de souris. Encore une fois, repensez à ces boss dans Equinox, que vous ne touchiez que parce qu'ils avaient la courtoisie de faire un demi-écran de large. Et comme la Super Nintendo n'a qu'une seule croix, autant qu'elle serve à viser, et pour les déplacements on repassera. Oui, désolé, pour avoir deux croix, il faudra attendre le Virtual Boy, moi aussi quelque part ça m'épate.



Evidemment, vous pouvez parler aux gens, ce qui ouvre un écran de dialogue (oui, chose rare, les dialogues n'ont pas lieu dans la fenêtre de vos déplacements comme dans le reste des jeux) et on parle avec des choix multiples, c'est rigolo ce côté aventure textuelle à l'ancienne. Ca donne un côté CPC complètement chouette. Enfin, vu de loin. Sinon, en vrac, vous gérez votre équipement, vos objets, votre pognon, de façon très classique. Des personnages secondaires pourront se joindre à vous moyennant finances, ils vous suivront servilement et ne prendront aucune initiative, sinon d'envoyer la purée de tout leur arsenal en cas de baston sur le premier ennemi venu. Et le truc bien c'est que vous pourrez vous servir de leurs pouvoirs. Genre la grosse mage qui a de la magie de soin niveau 20, là, même si elle n'est pas siliconnée, on l'AIME.



Et tout ça sans trop être lassé par l'environnement graphique et sonore. Ce n'est pas à tomber, mais ça tient la route. Palette cohérente, décors un poil répétitifs mais après tout, c'est la monotonie de la ville dans toute sa splendeur, idem pour la musique qui manque un peu de variété mais dont la "couleur" est fort sympathique dans le paysage de la SNes. Un ou deux thêmes pourront vous rester dans l'oreille une fois la console éteinte (en même temps, en l'écoutant en boucle pendant trois heures...)



Le tout se savoure donc comme un petit RPG orienté castagne bien dosé, un peu retors et très dépaysant. Le seul gros reproche que je lui ferais serait son côté "étriqué", parce que mine de rien, on a quelques quartiers à explorer, quelques "donjons", mais le monde manque un peu d'espace et d'envergure. Certes nous sommes oppressés par la mégapole, oui, j'en conviens, mais justement, on pouvait espérer un peu plus de rues qu'à Parigné-l'Evêque.



Cela n'en fait peut-être pas le jeu du siècle, mais un bon titre, bien plus recommandable que certains sous-produits d'un Square ou Enix des mauvais jours. Et franchement, sortir des elfes au brushing fluo et des cristaux à récupérer avant que l'arbre de vie se fasse cramer par le double maléfique de votre père (lequel a sauvé le monde il y a 100 ans, rappelez-vous), ça fait un bien fou.
Le point de vue de César Ramos :
Classique, pas si courant, mais à pas cher.