Ma chère Marcelline,
Nantes est grise comme un jour sans pluie lorsque tu n'es pas là. Loin de tes gestes feutrés et de ton sourire carmin, mon coeur se déssèche comme une muqueuse nasale en plein désert des Tartares. Toi, ma mie, mon alpha et mon oméga-3, tu étais à mes côtés comme le beurre sur la crêpe : douce et fondante, chaude et grasse. Maintenant, tout me paraît si morne et vain...
Je jette des regards effrayés autour de moi : quelle immensité, quelle tristesse ! Je vois des objets qui nous sont familiers. Ce roman que tu lisais en passant distraitement la main dans tes cheveux, cette toile de Titien que tu aimais contempler en écoutant
La Mer de Debussy, cette paire de menottes délicatement posée à côté du téléphone... Il y a dans l'air un parfum d'illusions sèches et de regrets.
T'en souviens-tu, de ces soirées folles et ivres, à suivre des yeux les bateaux sur l'Erdre paresseuse ? T'en souviens-tu, de ces éclats de rires à la terrasse du café "Der Bier Garten, Arbeit macht Frei" ? T'en souviens-tu enfin, de ce doux matin d'automne, quand nous nous enfournâmes goulûment, et sans fausse pudeur, cette cartouche dans le slot ?
Oui, souviens-toi Marcelline. Alors que les oiseaux s'étaient tus au-dehors, le printemps s'ébrouait prématurément dans la télévision et nos sous-vêtements. Pastel, vert pomme, rose escalope de veau, et
Casse-Noisette de Tchaïkovsky reproduit avec une fidélité troublante, plus troublante encore que ta voix suave et indécente murmurant mon nom : l'ouverture - au sens musical - de ce jeu était déjà un tourbillon de sensations sucrées.
La musique... en dehors de ton amour, je ne connais rien de plus beau. Et ce jeu lui était dédié corps et âme (à la musique, pas à ton amour, crétine) tout comme j'y étais moi-même dévoué (à ton amour, pas à la musique, espèce de gourdasse écervelée). La musique... qui ne pouvait se trouver un autre héros, un autre troubadour, que cet homme, ce garçon fougueux, ce grand blond ténébreux : Hamel. Oui. Lui. Comme dans "Le Joueur de flûte de Hamelin", mais avec un violon, parce que les flûtes, tu comprends, c'est un peu trop... oooh ne me regarde pas comme cela, tu m'as comprise, je le vois à la rougeur de tes joues charnues...
Il était blond, il était beau, il sentait bon la fable chaude. Serait-il un peu comme moi, au fond, ce violoniste habité par une blessure qui fait de lui un être "différent" ? Mais pour être comme moi, il lui faudrait une compagne à ta mesure, oh, Marcelline, ma muse, ma buse, ma Syracuse. J'ai encore en mémoire ton soupir d'aise quand tu découvris celle qui pouvais te faire office d'alter-ego : Flute, ses grands yeux et son chapeau. Et, comme toi, ses pouvoirs mystérieux...
Orgie de tons chaleureux, chiptune frais et de bon goût, un écrin pour notre amour tel que l'on en fait plus : nous continuâmes. L'histoire ? Un prétexte. A-t-on besoin d'une vraie raison pour s'aimer, toi et moi ? Alors pourquoi faudrait-il une raison pour sauver le monde ? L'histoire, tout comme notre passion, nous dit juste d'avancer. Avançons, main dans la main et zigounette dans le pilou-pilou, et faisons avancer Hamel et Flute, main dans la main et violon dans la penderie ambulante. Je vois que tu as saisi l'allusion, ou si tu ne l'as pas fait, cette lettre t'en livrera la clé plus loin.
Marcelline, on raconte que j'ai vaincu ton coeur avec mes sérénades. Quelle joie nous avons eu quand nous avons vu qu'Hamel faisait de même ! Il terrasse ses ennemis à grands coups de concertos. Virevoltant de droite et de gauche, de plate-formes en plate-formes, il envoie ses notes sur ses ennemis et les réduits à l'étant de flan aux pruneaux. Tout comme l'était ton âme après mes chansons, n'est-ce pas fou, n'est-ce pas grand ? Et tout comme tu me colles au derrière en quête d'un mot doux, Flute colle au cul d'Hamel comme une patelle à son rocher. Comme toi, elle le suivrait partout, jusqu'au bout du monde, jusque dans les pics mortels et les gouffres sans fond. Flute est à l'image de notre union : invincible, invulnérable, immortelle.
C'est elle qui sauvera Hamel du pétrin. Ne m'abandonne pas. Sauve-moi, comme elle le sauvera. Flute et toi, Marcelline, avez deux choses en commun : une fidélité sans faille (elle reviendra toujours, malgré son intelligente Indépendance Assistée par Ordinateur) et une collection de fringues absolument délirante. Oh bien sûr, je préfère tes porte-jarretelles à ses costumes d'autruche ou de palet de curling. Mais force est de constater que, dans un cas comme dans l'autre, ils sont fort à propos pour aider le mâle dominant.
La simple vision de ta robe à fleurs m'allège de tous mes tracas. Pour Hamel, il en va de même avec le déguisement de poisson - entre autres - de Flute : il l'allège au point de pouvoir s'élever dans les airs. Je vois l'étincelle de la compréhension éclairer ton visage : Flute se déguise, Flute se pare, et Hamel en profite. Oui car finalement, là encore, c'est comme toi et moi, l'image du mâle dominant n'était pas qu'une image. Hamel utilise Flute à ses fins personnelles et je sais que ça te plaît, hein ? Redis-le, sale catin, hein, oh, oui, comme ça encore aaaaah. Hamel prend sans vergogne Flute, la balance contre les murs, lui grimpe dessus, la fait s'habiller et se déshabiller, et je te sens moite rien qu'à lire tout cela. Et grâce à cette juste répartition des rôles, l'homme peut atteindre son but, peut atteindre le bout, franchir les obstacles, les énigmes, et vaincre le Mal. Misogynie à part.
Mais c'est ça qui est beau. Cette alliance mutine, maligne, complice, délice, et quasi voluptueuse tant le cadre est cossu. Seule notre chambrette, Marcelline, aux murs constellés d'étoiles que nos souvenirs y accrochent à chaque seconde, peut rivaliser avec les décors de ce jeu somptueux ; et aucune musique n'a coulé si doucement telle du miel dans nos oreilles, à part mes poêmes en ton nom murmurés dans la nuit. Sauf que mes poèmes sont de moi tandis que dans ce jeu, les musiques sont à 50% pompées sur des standards du classique, alors le mérite, pfuiiit, ne me prends pas pour un jambon, ma truie.
Je lève les yeux de ma lettre, je regarde autour de moi, je cligne des yeux. Les larmes, la nostalgie... de toi, de ce jeu... tout comme lorsque nous éteignîmes la console après notre première partie de "The Violinist of Hameln" et, comme lorsqu'on a trop fixé le soleil, on voit sur toute chose ensuite un rond vermeil, sur tout, quand j'ai quitté les feux dont il m'inonde, mon regard ébloui pose des taches blondes. Comme notre amour, ce jeu fut trop court, comme notre idylle, il fut trop intense, comme tes draps, je m'y replonge à chaque fois avec délices.
Et, comme toi, il coûte beaucoup trop cher.