A chaque jour suffit sa peine, et à chaque console suffit son Zelda. Ce proverbe issu de la sagesse populaire n’a jamais été aussi vrai que dans le cas présent. Primo parce que la SNES est la seule console a n’avoir reçu qu’un seul Zelda (je n’inclus pas les consoles encore officiellement sur le marché), et secundo parce que cet épisode est considéré à juste titre comme le plus abouti de tous les Zelda (ça n’engage que moi, mais si vous avez quelques mois à perdre, on peut en parler).
1991. La SNES arrive enfin en vue des côtes européennes. Il était temps. Près de 2 ans après le Japon, c’est enfin notre tour de goûter aux joies du 16 bits version N. Les jeux sont bons, voire très bons. Mais il n’existe qu’un seul Dieu dans le firmament de la SNES. Mario est seul dans son palais, et même s’il est d’un éclat à faire pâlir le jour, il s’ennuie ferme. Et à lui tout seul il a du mal à faire exploser les ventes de la console en Europe.
Mais la rumeur naît. Miyamoto aurait encore frappé. Zelda serait de retour. Dans une aventure qui défie l’imagination tant techniquement que scénaristiquement. D’un point de vue technique on ne se fait pas trop de soucis. On a vu Mario à l’œuvre, et de ce côté là ça semble plutôt bien parti. Encore qu’imaginant Zelda premier du nom, on se demande mal comment la chose pourrait être améliorée. Mais ce qui fait monter la température anale de beaucoup de joueurs c’est la promesse d’un jeu identique au premier opus dans son déroulement. Joie. Exit la dualité carte/combat avec la désastreuse (on aime ou pas, vous voulez en parler ?) vue plateforme lors des phases d’action. Par contre a priori la magie est restée ! Re-joie.
Mais il va falloir attendre, le jeu n’ayant pas encore pris le bateau pour l’Europe. Va falloir serrer les fesses, mais la vie d’un homme est quelque fois douloureuse.
D’autant plus que les screenshots commencent à arriver dans les « Consoles + » et autres « Player One ». Cette fois c’est sûr, Sega est définitivement mal embarqué. Ce jeu est d’une beauté diabolique. Et quand on connaît la qualité de l’homme, on se prend à rêver d’un jeu si parfait qu’on en reparlera peut être plus de 10 ans après… Quand même c’est amusant de penser que Sega a pratiquement tout perdu à cause d’un seul homme, certes à la tête d’une équipe, mais quand même. Je ne connais pas le salaire de Miyamoto, mais je pense qu’il peut raisonnablement négocier le double tous les 3 mois. Toujours est-il que les photos publiées en preview prêtent à réflexion chez ceux qui ne croient pas en Dieu. Carrément.
En tout cas l’attente devient vraiment compliquée. Voire inhumaine. On se prend à s’endormir en y pensant, et à se réveiller dans le même état d'esprit. Jour et nuit. La légende de Zelda est déjà en marche. Et puis en ce beau jour de printemps 1992…
Il est venu chez moi. Un copain. Enfin c’était un copain. Je crois. Bref il est venu avec dans son sac une cartouche US de Zelda. Et l’adaptateur. Incroyable. Adolescent naïf de mon état, c’était un véritable conte de fée de voir qu’on pouvait se procurer ce genre de marchandises aussi loin de Paris ! Je ne savais d’ailleurs même pas que ça existait ! Il est donc venu, et il m’a laissé le jeu pour 3 jours. 72 heures. Pas une de plus. La sale petite ordure.
Faut-il voir là une pure manigance sadique, ou plutôt un acte généreux mais légitimement limité ? Avec le recul j’opterai pour la deuxième solution. Je le connaissais peu, et il était loin d’avoir fini le jeu. Mais le matin du 3 ème jour j’avais des envies de le trépaner avec un gros caillou.
Ce que j’ai ressenti lorsque j’ai posé mes doigts sur Zelda 3 a peu d’équivalents dans ma vie vidéoludique. C’est très vraisemblablement comparable à mes débuts avec Megaman 2, Mario 2, Super Mario World et Zelda : Ocarina of Time. Je tremblais de partout. A 15 ans, si c’est pas malheureux…
Mais parlons un peu du jeu. D’entrée le scénar vous colle dans l’ambiance. Il pleut (que c’est beau putain…), vous entendez des voix dans votre sommeil, et au réveil votre oncle se barre épée à la main pour inspecter les alentours. Inutile de vous dire qu’il ne sera pas rentré pour midi… Il vous faudra donc sortir sous la pluie battante pour vous introduire dans le château au nord de chez vous et prendre ainsi pied dans l’un des plus fantastiques jeux de toute la création.
Autant Zelda 1 est empreint d’une charge émotionnelle colossale qui m’étreint quand je dois en parler, autant il m’est plus facile d’analyser cet opus de manière constructive. Alors voilà : C’EST LE MEILLEUR JEU DU MONDE. C’est dit. Lapidez moi si vous n’êtes pas d’accord. Dégagé de toute émotion relative à l’enfance, c’est donc seul le plaisir qui prend le contrôle de votre petite personne quand vous collez vos doigts grassouillets sur le pad. Et un plaisir version XXL hein !
Graphiquement c’est parfait. Ca touche au sublime par endroit (la forêt déchirée par les écharpes de brume… mythique). Et ce même 12 ans après. A tel point que de doux dingues ont même crée une suite uniquement codée en flash et fidèle comme un chien à l’original. Culte que je vous dis ! Très honnêtement c’est de loin l’épisode que je préfère de ce point de vue là. Quand on me demandait d’imaginer un Zelda parfait à l’époque, je n’osais même pas penser à un truc pareil. C’est là qu’on sait que c’est du Miyamoto. C’est d’une beauté fracassante, mais jamais tape à l’œil. Le vrai génie est modeste, et il n’éclaboussera pas ses idées lumineuses par un déballage graphique racoleur. Il n’empêche, c’est beau à en crever.
Et les previews ne nous ont pas menti. C’est bien un gameplay style Zelda premier du nom qui est à l’honneur. On reprend la vue de dessus et les écrans successifs, même si les aires de jeu sont désormais beaucoup plus vastes. Mais beaucoup plus. Vraiment. Plus.
La musique est elle aussi féerique. Koji Kondo a renouvelé son contrat et c’est tant mieux pour les millions de tympans qui espéraient une suite à la mélodie princeps. C’est chose faite puisque le maître réussit le tour de force de mêler habilement l’air légendaire de Zelda avec de nouvelles musiques tout aussi enchanteresses. Du pur bonheur vous dis-je. Les thèmes des donjons sont inoubliables, celui du Dark World tout autant. Vous n’oublierez jamais l’air qui vous accompagne sous la pluie, et quand le thème principal de Zelda retravaillé viendra enfin faire son apparition…Gloups… Snirfl… Enfin vous voyez quoi.
Côté gameplay on ne change pas ce qui marche. On reprend donc les mêmes ingrédients que dans Zelda. Et comme la cuisine reste de la chimie, ben la mayonnaise prend à nouveau. Mais les développeurs s’en sont donnés à cœur joie niveau inventaire cette fois-ci. Un très beau panel d’objets tous plus ou moins utiles, dont certains changeront les aptitudes physiques de Link. Miyamoto a juste viré ce qui était pénible (alors, potion ou cœur ? Pffff…) et a sublimé le reste : des donjons sur plusieurs étages, enfin des rubis un peu partout dans les fourrés, des petits bouts de cœurs disséminés sur la carte, des villages bourrés de dialogues avec des personnages attachants, des moments d’émotion soulignés subtilement par la musique, etc etc etc…
Zelda 3 n’apporte rien de neuf au jeu vidéo, c’est son seul véritable « défaut ». Mais à l’image d’un Diablo ou d’un Warcraft, il extrait la substantifique mœlle de ce qui se fait de mieux dans le genre pour arriver à un résultat inimaginable. Un monstre d’efficacité. Si Zelda a montré la voie et par là même est devenu immortel, Zelda 3 est clairement le plus réussi de toute la série parce qu’il a réussi à magnifier tous les aspects de son aïeul.
Le monde est réellement immense. D’ailleurs un petit passage en mode carte version mode 7 (celui qui zoome et qui tourne) vous prouvera vite fait que vous n’êtes pas au bout de vos peines. Et quand vous aurez épuisé la carte, le monde sombre s’offrira à vous, copie exacte en taille du monde de lumière. Et c’est ça LE concept novateur de Zelda 3. A partir d’un certain point du jeu, vous récupérerez un miroir qui vous permettra de passer à loisir d’un monde à l’autre, seul chemin possible pour accéder à des endroits a priori inaccessibles. Cette seule idée novatrice refond entièrement le gameplay et lui offre une nouvelle dimension. Grandiose.
Le scénario n’est pas en reste. Contrairement à ceux de la NES, le scénario de Zelda 3 est réellement bien ficelé, et même s’il reste un jeu clairement orienté pour les enfants, cela n’empêche pas que le niveau soit monté d’un cran avec l’apparition de villages complets, de personnages secondaires impliqués dans l’aventure, de monstres vraiment variés et d’énigmes toutes plus tordues les unes que les autres. Ca va fumer sec sous les scalps ! Armez vous de patience, Zelda 3 ne s’offre pas au premier venu, mais il reste largement accessible à condition de persévérer un peu. La plupart des énigmes sont logiques ou vous seront facilitées par de larges indices.
Au niveau des donjons on retrouve bien entendu carte et boussole, le trousseau de clés de passe-partout, un bon gros objet très utile pour accéder au boss et/ou pour le vaporiser, et, c’est nouveau, une grosse clé à dégotter pour ouvrir la dernière salle. Ah ben oui, vous ne vous imaginiez pas qu’un boss allait se contenter d’une serrure de merde ? Hop hop hop, c’est du 3 points avec clé percée s’il vous plaît ! Le gros changement vient en fait de la multiplication des étages. Normal me direz vous. Quand on exige une porte blindée, c’est pas dans un 3 pièces de plein pied. Non. Donc vous vous baladerez dans des tours parfois gigantesques s'étalant sur parfois 8 niveaux. Et puis tant que vous y serez rappelez vous bien l’organisation des étages que vous passez, on sait jamais, des fois que le plancher vienne à s’écrouler…
Saupoudrez le tout d’une bonne dose de magie avec 3 sorts disponibles, plus divers objets enchantés ainsi que l’apparition des grandes fées qui vous fileront un coup de pouce. Rajoutez une pincée de petits détails burlesques (le filet à papillon, les pommes dans les arbres…) et un zeste de folie Miyamotesque et vous obtenez l’un des jeux les plus fignolés de tous les temps, vestige d’une époque où l’équipe de développement ne passait pas sa vie sur les graphismes mais bel et bien sur le contenu du jeu, et ce pour notre plus grand bonheur.
Attention toutefois : ce jeu est totalement addictif. Je décline toute responsabilité dans les perturbations de votre vie sociale inhérentes à son utilisation. Y jouer à 15 ans avait des gros avantages quand j’y pense :)
La suite de l’histoire ? Ben je n’ai pas trépané mon copain, je ne crois pas l’avoir jamais revu, et j’ai souffert le martyre pour économiser les 840 francs nécessaires pour acheter Zelda US plus un adaptateur (690 + 150) dans le magasin Boulanger (oui, moi non plus je comprends toujours pas) d’Avignon-Le Pontet. Quand on voit le prix de ces cartouches complètes aujourd’hui, on se dit qu’on a finalement bien de la chance d’avoir vécu le moment unique et si intense d’en posséder une neuve et de l’ouvrir avec toute la délicatesse qui sied à l’effeuillage d’une femme trop belle pour qu’on ose y toucher… et que finalement on possèdera goulûment tant toute résistance est dérisoire.
Finies les conclusions dithyrambiques comme pour Zelda 1, l’émotion n’est plus la même. Mais ne vous y trompez pas, Zelda 3 est l’un des plus grands jeux de tous les temps, toutes consoles confondues. Vous y rejouerez encore et toujours. Je ne connais personne qui n’ai pas aimé, même pas ma sœur ! Et je peux fournir une liste détaillée de connaissances crachant habituellement sur les consoles qui ont acheté une SNES uniquement pour pouvoir jouer à Zelda 3. Accordons-leur donc la rédemption puisque nous en sommes capables. Zelda 3 a fait de nous des demi-Dieux.