Patrick Roy lives.
De la culpabilité et de la difficulté à jouer à l’approche des 25 ans et au delà

Chienne de vie par Benjamin


Plus le temps passe et plus c’est dur d’être un joueur. Le premier –mais pas le principal- problème vient de la famille. Régulièrement, mon père me demande si je vais jouer toute ma vie de l’air de dire « mais tu n’as rien d’autre à faire ? ». Quand mon anniversaire approche, je n’ai jamais trop d’idée de cadeaux alors on m’offre des fringues ou d’autres trucs que je trouve inutile. Je n’ose pas dire que je préfèrerais nettement le dernier Super Mario Bros. J’imagine les sourires gênés du grand père qui a participé à la construction du Concorde qui voit son petit fils s’amuser à lancer des carapaces sur un champignon. Si la famille vous demande si vous jouez encore, répondez « très peu, le travail me prend énormément de temps ».

D’ailleurs au travail, c’est le même problème. Evitez de marquer « jeux vidéo » sur votre CV ou d’en parler lors de l’entretien d’embauche. C’est toujours aussi mal vu. Si malgré tout vous y tenez, il y deux solutions. La première consiste à la jouer sérieux en disant que vous êtes un fanatique de Civilization et de Sim City. Votre futur supérieur hiérarchique n’est pas encore prêt pour les dinosaures qui envoient des bulles colorées. L’autre solution consiste à dire que vous pratiquez le rétro-gaming. Ca passe plutôt bien et avec un peu de chance vous tomberez sur un interlocuteur qui a posé ses mains sur un CPC 64 ou un Apple II. Cela dépend évidemment de son âge. Ne vous étendez quand même pas trop sur le sujet, le but du jeu étant quand même de décrocher le boulot et pas de l’inviter à faire une partie. Une fois embauché et la période d’essai écoulée, n’ayez aucun scrupule : le fond d’écran Sonic, le t-shirt 1UP lors des cool Friday et le dernier numéro de Canard PC en prenant le train avec votre patron pour aller à une réunion importante. Au pire, planquez le dans un numéro de Les Echos.

Votre famille vous aime tel que vous êtes, vous avez un boulot intéressant où vous jouez à la DS aux chiottes mais il vous manque l’essentiel : la neo-geo… euh pardon la copine. J’aurais tendance à dire que ça dépend des filles, que les mœurs ont évolué et qu’elles jouent de plus en plus bla bla bla… N’empêche qu’il faut savoir où on met les pieds. Comme le dit un mec beaucoup sage que moi : quand le hamburger tombe, c’est parfois à coté de la confiture. Si elle vous demande si vous jouez, répondez presque directement « oui et toi ? ». Si c’est oui, discutez en un petit peu mais pas trop. Comme pour l’entretien d’embauche, le but est de sortir avec elle, pas de s’en faire un compagnon de jeu. Evitez d’être lourd et de balancer « si tu veux on peut aller chez moi, je te montrerai mon joystick ».

Si c’est non, ça complique les choses car il y a plusieurs degrés de négation. Si c’est le non accusateur le doigt pointé en avant qui signifie « comment tu peux jouer à ces conneries », ça peut signifier que si les choses se passent bien, tôt ou tard il faudra faire un choix : Bowser ou elle. Une fille qui vous demande de renoncer à votre passion en vaut-elle vraiment la peine ?
Si c’est non du style « je n’y connais rien et ça ne m’intéresse pas trop », ce n’est pas la mort. Par contre, il va falloir y aller en douceur. Lorsqu’elle vient pour la première fois chez vous, planquez vos sticks arcade, faites la poussière de vos étagères de jeux et SURTOUT rangez la couette Pokémon. Comme tue-l’amour, on n’a pas inventé pire depuis le remonte-chaussette et le slip kangourou.

Vous êtes maintenant un homme comblé qui faites du Mario Party avec votre boss, votre femme et votre neveu tout en buvant du vin et en écoutant du jazz. Il ne vous reste plus qu’un ennemi à combattre et ce sera le plus coriace : vous-même. A un moment de votre vie, vous regarderez votre collection de jeux d’un air triste en vous demandant « qu’est ce que j’ai fait de tout ce temps et de tout cet argent ? ». La culpabilité d’avoir passé des journées entières à faire des trucs totalement inutiles et rarement créatifs vous ronge. L’envie de tout mettre en vente sur ebay monte. Et si je me mettais à l’accordéon ? Du calme. Ne cédez pas à la panique. Réfléchissez. Lisez ce qui suit. Oui, jouer aux jeux vidéo ne sert A RIEN à part se détendre et se divertir. Et alors ? Lire un roman non plus. Regarder un film non plus. Tout au plus, un livre ou un film peut provoquer une prise de conscience qui durera une semaine dans la majorité des cas.

Par contre, si un roman fait travailler votre imagination, un jeu peut faire travailler l’ensemble de votre cerveau. Alors que des gens qui se prétendent bien au dessus de vous parce qu’ils ne jouent pas deviennent des légumes devant la télévision, vous travaillez vos réflexes, votre coordination, votre sens de l’analyse et de la prise rapide de décision, votre mémoire, votre intelligence… Nul besoin du Programme d’Entraînement Cérébral, il suffit de varier les styles de jeu pour faire marcher vos méninges. Faire marcher son cerveau, c’est le meilleur moyen de garder ses facultés quand on sera vieux et plus en âge de jouer.

Mais quel est l’âge limite pour arrêter de jouer ? Existe-il vraiment ? Si vous n’avez plus envie, il ne faut pas se forcer mais en tout cas il ne faut pas se sentir coupable. Après tout, un grand nombre d’adultes vont voir Matrix au cinéma ou lisent des romans de science-fiction. Iggy Pop va sur ses 60 ans et continue de gueuler torse nu dans un micro. Leslie Nielsen continue de jouer des guignols dans des comédies alors qu’il a 80 ans. Ce qui vient à manquer, c’est le temps. Même si les études sont une époque bénie pour jouer, la suite n’est pas géniale. Après 8 heures de boulot passées devant un écran, ce n’est pas toujours évident de se remettre devant un écran pour lancer une partie. Et le temps viendra à manquer de plus en plus quand vous serez en couple et qu’un enfant arrivera… quoi que vous pourrez toujours jouer avec lui.

Mais entre les week-ends, les jours de congés, les vacances, les grèves, les transports en commun,… On finit par trouver du temps pour se poser devant un jeu. Le problème reste le même : « et si je faisais autre chose de mieux ? » Exactement comme lire un livre ou regarder un film, jouer est-il vraiment du temps de perdu ? Certes, c’est peut être plus créatif de composer un opéra et plus utile de chercher un vaccin contre le sida. Rien ne vous empêche de faire les deux. En réalité, jouer c’est du temps de gagné.

Ca permet de revenir en un instant à une époque de sa vie où le futur le plus éloigné qu’on puisse imaginer était la fin du mois pour toucher l’argent de poche et se précipiter dans un magasin de jeux. Les gens qui vous regardent d’un air mauvais quand vous leur annoncez que vous jouez sont en réalité jaloux. Tandis que vous sauverez le monde ou la princesse pour la 50ème fois, leur quotidien restera banal et sans surprise. L’amitié qui les lient avec d’autres personnes n’atteindra jamais le niveau d’empathie qui lie deux personnes qui jouent ensemble. Dans un monde formaté où il faut être de plus en plus efficace et performant, jouer apparaît comme un acte inutile et gratuit permettant de s’échapper quelques instants de la course vers la mort.