Jeux Vidéo, autisme social et criminalité : fiction ou réalité ?
Culture Attitude par
Hebus San Vous êtes vous demandé pourquoi les joueurs de jeux vidéo réguliers étaient souvent la cible d’attaques médiatiques répétées ? Je précise réguliers pour écarter d’emblée les joueurs occasionnels plus considérés par les critiques comme des égarés à plaindre que comme de dangereux illuminés, ce dernier rôle nous étant réservé.
Alors ? Moi oui. Souvent. D’une part parce que je me tiens personnellement en très haute estime, sans exacerbation particulière de l’ego notez, c’est juste que je m’aime bien, et qu’il m’est difficilement concevable de me faire insulter sans raison valable. D’autre part parce que sans être un expert en la matière, je n’arrive pas à me convaincre du risque que je représente pour la société à travers mon passe-temps favori.
Soyons lucides sur notre condition de joueurs : le tout venant de l’humanité n’a que peu d’estime pour nous. Les femmes nous fuient (à quelques rares exceptions près de hardcore gameuses dont le physique souvent ingrat provoque la réaction inverse (ndr : nous les fuyons)), les personnes respectables nous méprisent, nos parents nous plaignent.
Oui mais voilà, il se trouve que, malheureusement pour tous, on a toujours pas trouvé le moyen d’arrêter le temps, et que l’adolescent pré-pubère amoureux de sa NES est, les années aidant, devenu un père de famille respectable en apparence. En apparence seulement ? Si l’on en croit les médias bien pensant : oui. Si l’on m’en croit moi : « quoi ? m’enfin ! mes couilles sur ton nez aussi, non ?! ». La raison de tout ce barouf : les jeux vidéo.
Vous qui lisez ces lignes êtes sûrement sur le même bateau que moi, et serez donc certainement d’accord avec moi : nous ne sommes pas anormaux. Du moins me plais-je à le penser. Alors pourquoi une telle vindicte populaire à notre encontre ? Problème épineux qui nécessite d’envisager plusieurs pistes.
La piste reine d’entre toute à notre époque est la piste économique. Les médias, puisque c’est uniquement d’eux qu’il s’agit étant donné leur statut de relais de l’info, ont-ils intérêt à flinguer le jeu vidéo ? Probablement pas. Marché ultra lucratif et prospère, avec un concurrentiel féroce dans un environnement restreint, le jeu vidéo est un archétype de l’économie de marché sauvage mise en place dès le début des années 90. Ses ramifications sont nombreuses, et son industrie fait vivre des millions de personnes à travers le monde. Du reste, ce n’est pas le vecteur qui est incriminé, puisque l’informatique est encensée depuis quelques années maintenant, et que la dépendance à ces systèmes est aujourd’hui beaucoup trop importante pour qu’on envisage sérieusement de dire « va te faire enculer » à un informaticien sans risquer une paralysie financière de plusieurs semaines si ce dernier était un peu taquin. C’est donc clairement le jeu lui même qui est visé, et non pas son infrastructure. L’honneur de l’économie mondiale est donc sauf. « Ouf ».
Le fait de jouer est-il alors en cause ? Je le pense de plus en plus. En effet, comment les autorités bien pensantes (car élues, je vous le rappelle) pourraient-elles considérer le jeu autrement que comme un perte de temps, elles qui prônent les vertus salutaires du travail à longueur de temps ? Dans notre société conformiste d’assistés, il est paradoxal et amusant de noter que de plus en plus de choses sont mises en place sur un plan social ou financier pour dégager du temps et de l’argent aux gens, mais que ce temps doit être utilisés pour continuer à travailler si l’on en croit la pensée populaire. Pensée populaire relayée ou imposée par les médias ? On ne sait plus très bien…
Mais si c’est le fait de jouer qui est en cause, alors dans ce cas pourquoi les joueurs du PMU ne sont-ils pas fustigés en public ? Pourquoi ne pas vomir d’indignation devant les clubs de bridge ? Que faire des joueurs de Loto, des enfants qui jouent au foot, des partie de jeu de société entre amis ?
La très « vénérable » association familles de France me répondrait certainement que le jeu de société est convivial, pépère, alors que le jeu vidéo fabrique une génération d’attardés renfermés sur eux même. Mais pourtant le jeu vidéo aussi est devenu convivial avec le temps. Les jeux massivement multijoueurs se développent plus vite que des morpions au cul d’une pute hongroise en séminaire de formation ! Le jeu n’est plus réservé à un plaisir solitaire et égoïste, cantonné à une élite financière. Le prix a considérablement chuté avec le temps, et l’équipement vidéo ludique a quasiment envahi tous les foyers de l’hexagone. Le jeu est devenu un formidable moyen de communication international sans égal ! L’explosion d’internet permet désormais de jouer librement avec la planète entière (ou presque). Quand au côté bon enfant des jeux de société, laissez-moi pouffer, grogner d’amusement, et autres synonymes du genre. Qu’est le monopoly sinon une réplique exacte de la dure loi de l’immobilier capitaliste où ceux qui ratent les bonnes affaires (faute de chance ou pire, faute de moyens financiers) sont condamnés à payer encore et toujours des loyers à des propriétaires de plus en plus riches et donc de plus en plus puissants ? Et Risk ! En voilà une belle simulation de conquête territoriale au mépris de toute politique diplomatique de dialogue à l’amiable. Docteur maboul ? Le reflet des erreurs médicales qui font frémir la population toute entière, sauf qu’à l’hôpital une erreur de manipulation chirurgicale se solde rarement par un nez tout rouge qui buzze…
Alors pourquoi tirer à boulets rouges sur le jeu vidéo. Commercialement rentable et bénéfique pour l’économie, culturellement et éthiquement pas plus violent que n’importe quel autre jeu classique, il n’en reste pas moins un mal aimé. Je pense pour ma part que c’est surtout un incompris.
En effet pourquoi s’acharner sur un média de divertissement qui n’est finalement qu’une évolution logique des besoins ludiques de l’homme ? L’homme a toujours besoin de se mesurer à son semblable. C’est un incontournable spécifique de sa race. Sans sombrer dans le nihilisme pur, la fin étant la même pour tous c’est ce constat sans appel qui nous pousse a vivre le plus intensément possible, à nous dépasser, à chercher à être le meilleur. Système pervers en lui même puisque ceux qui n’y sont pas forcément sympathiques y sont obligatoirement intégrés par ceux qui cherchent à se mesurer à eux. C’est pour éviter mort et destruction que l’homme joue. Le jeu est un dérivatif à ses instincts de domination primaires, qui lui permet de les satisfaire sans nuire à son entourage direct (hormis peut être un petit « je te l’ai bien mis profond, hein grosse chiennasse ! » à l’attention du perdant de temps en temps…). En soi le jeu est donc bénéfique. Le nier serait stupide et dangereux. Mais le profit a pris le pas sur la raison, et de nombreux salariés zélés ont oublié le plaisir simple du jeu pour se consacrer corps et âme à la tâche. Grand bien leur fasse, mais je refuse de laisser leur jugement faire loi pour la multitude. Le plaisir est un moteur essentiel du développement humain, et le jeu l’un de ses vecteurs principaux.
Dès lors, le problème qui va se poser se résume à : où commence et où s’arrête le jeu ? La frontière est tenue dans bon nombre des aspects que peut revêtir le jeu, et le jeu vidéo n’y fait pas exception. Média ludique principal de ces dernières années, il a le suprême avantage d’être en constante évolution. Toujours plus beau, toujours plus recherché, toujours plus réaliste. Et je pense que le fond du problème réside dans ce réalisme. Car finalement entre un Counter Strike entre amis et le bon vieux « gendarmes et voleurs » voire « cowboys et indiens » de nos parents, il n’y que cette différence là. Les enfants d’avant jouaient à la guerre eux aussi. C’est humain. La preuve ? Dans Astérix les enfants du village jouent toujours aux gaulois et aux romains !! Ce n’est pas de la bonne grosse référence historique ça peut être !!? Ah mais c’est que je me documente longuement avant d’écrire moi môssieur !
Je rajouterai que la question du réalisme est peut être plus ambiguë qu’elle n’y paraît. Les enfants d’antan jouaient physiquement à la guerre, alors que ceux d’aujourd’hui n’y jouent qui virtuellement. De façon beaucoup plus réaliste d’un point de vue esthétique certes, mais sans pour autant viser une cible physique. Il convient alors de se demander si c’est le retour à la réalité qui perturbe certains. Peut être. Mais finalement pas plus que les enfants se laissant emporter par le jeu et finissant par réellement se foutre des coups d’épée en bois sur le coin de la gueule. Je suis intimement persuadé que le faible pourcentage de gens n’étant pas capable de bien séparer la réalité de la fiction n’a pas progressé avec l’usage du jeu vidéo. Plus prosaïquement : y’aura toujours des tarés. Et si une étude vient me prouver le contraire je me délecterai de voir qu’elle ne fera pas le distinguo jeu vidéo/télé. Parce que c’est impossible d’évaluer l’impact de l’un indépendamment de l’autre d’une manière rigoureusement objective (statistiquement parlant). Peut-on légitimement mettre en cause la violence des jeux vidéo (on ne peut nier ce fait en voyant l’immoralité absolue d’un GTA) quand on voit ce que la télé diffuse à longueur de journée ? Toujours plus racoleuse et plus trash, mais en restant dans le politiquement correct… Et ce n’est pas les rondelles pseudo sécuritaires indiquant un âge limite de visionnage qui y changeront quoi que ce soit. La meilleure preuve c’est qu’il n’y en a pas apposée sur les images diffusées pendant les infos… alors que c’est bien là qu’on touche l’horreur la plus réelle qui soit. La guerre en Irak, les tortures, les exécutions publiques, la pollution, la misère, ça tu peux y aller, c’est de l’info. Oh putain Gérard attend, on a un bon sujet sur la violence des jeux vidéo et le crétinisme des joueurs ! On va caler ça entre les otages exécutés et les enfants battus à mort en Bolivie. Y’a pas à dire, c’est beau…
Alors ne serait-il pas venu à l’esprit de tous ces beaux professionnels qui nous exhibent en place publique avec un panneau « crétin dangereux » placardé sur la poitrine que c’est pour fuir la réalité pas toujours gaie du monde qui nous entoure que nous nous réfugions dans notre dimension virtuelle ? Finalement, ne serait-ce point de leur faute si nous n’avons pas vraiment envie de regarder dehors ce qui se trame ? Au moins pendant les minutes de notre évasion ludique avons-nous un sentiment de toute-puissance, l’impression de pouvoir réaliser ce que notre volonté nous permettra de réaliser. Sans être fataliste il faut reconnaître que la volonté ne suffit plus toujours aujourd’hui… Indispensable, oui, mais pas suffisante. Et devant cet inquiétant état des lieux, quel meilleur échappatoire que de fuir la réalité ?
Cependant ne vous méprenez pas sur mes propos. Je ne cherche pas à faire l’apologie de la fuite devant les responsabilités. Si l’on veut que nos enfants continuent à connaître un plaisir infini au moins jusqu’à l’âge de raison, c’est à nous de prendre notre courage à deux mains et d’essayer de changer un peu tout ça, si vaine semble la lutte. Là encore pas d’orientation politique ou idéologique dans mon texte. Je suis un joueur, et en tant que tel je ne me soucie que peu de ces problèmes là. Le bonheur de mon prochain suffit à me donner assez de peine, sans avoir à me soucier de celui de l’humanité. Bonheur d’ailleurs utopique. Comment voulez vous que des hommes qui prennent du plaisir à se détruire les uns les autres via un jeu en prennent à se respecter dans la réalité ? A quelques exceptions près pour le proche entourage, la chose se résume à « qui bouffera qui ». Même sans intention réelle de nuire. La conséquence inévitable de tous vivre dans un espace limité j’imagine… La plus grande farce de l’histoire de l’humanité c’est qu’on puisse encore dire « les hommes naissent égaux ». C’te bonne blague…
Alors sans rentrer dans un débat philosophique chiant (intéressant mais chiant… si, si c’est possible), qu’est-ce qu’il ressort de tout ça finalement ?
Les hommes jouent. Tous. Le jeu vidéo est un jeu, et donc susceptible de satisfaire l’homme. D’un point de vue économique, il s’inscrit parfaitement dans la logique de marché actuelle. D’un point de vue psychologique, il est très réaliste, mais finalement pas si différent que ça des jeux plus anciens. Juste un peu moins hypocrite.
Alors pourquoi encore et toujours en ressortir une petite couche sur les joueurs ? Pourquoi relayer une information non vérifiée (et fausse) sur un suicide collectif de joueurs japonais pour la raison abasourdissante du report d’un jeu ? Tout simplement parce que c’est dans l’air du temps ? Parce que c’est consensuel ? Mais pourquoi est-ce consensuel ?
Le pire c’est que je pense que personne ne le sait réellement. Une idée en l’air comme une autre, née du néant de l’ignorance et de la peur de la modernisation du monde. « Bigre un nouveau média de jeu pour les enfants ? Mais ils vont être complètement abrutis par un truc pareil ! » A ceux qui méprisent notre passion je répondrai que lorsque la télé est apparue le constat était le même, et que ce sont les premiers à appeler TF1 pour élire Miss France ou bien se délecter du déballage de vies privées à heures de grande écoute dans les émissions de télé réalité.
Oui le jeu vidéo à très grosse dose est nocif, comme passer 5 heures de rang devant la télé ou à lire un bouquin. Oui voir le monde et sortir son cul de chez soi est primordial, bien sûr la lecture est irremplaçable, et il va sans dire que l’activité sportive est totalement incontournable. Mais les joueurs n’ont jamais prétendu le contraire. Les avez-vous seulement écouté avant de leur balancer des pierres ? A l’époque ils étaient jeunes et certainement maladroits dans leurs argumentaires, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Je revendique pleinement le statut de joueur passionné, de père attentionné et de mari
Le jeu vidéo est violent ? Oui, mais pas plus que la vie réelle. Et pas tous. De la même façon qu’on peut adapter son comportement à une situation donnée, le jeu vidéo peut revêtir une large palette d’approches émotionnelles du joueur. Retenir uniquement les jeux de shoot reviendrait à ne voir que les guerres mondiales en parlant de l’histoire de l’homme. C’est un peu triste non ? La violence est une part non négligeable du comportement humain, on ne peut le nier. Mais on peut très bien s’en accommoder en la canalisant. Le jeu vidéo est l’un des moyens dont disposent les jeunes. Et quand je vois la très puritaine Amérique censurer les scènes un peu trop chargées en hémoglobine, et dans le même temps autoriser le port d’arme, la vente de ces mêmes armes dans les supermarchés, la diffusion de la guerre « propre » en Irak et toute autre chose d’un genre aussi douteux, je me gausse doucement. Doucement parce qu’ils sont quand même dangereux ces cons là… Alors par pitié vous médias français, ne nous entraînez pas dans le même abîme de bêtise consensuelle, ne nous engluez pas de phrases mielleuses toutes faites, rejetez les a priori populaires. On dit souvent que les USA sont l’Europe qu’on connaîtra dans 10 ou 15 ans. Je vous conjure de faire mentir ce dicton.
Nous considérons notre passion comme une façon de vivre. Les auteurs de jeux sont pour nous des artistes, voire des légendes pour certains. Contrairement à beaucoup d’idées reçues, nous ne jouons pas jusqu’à épuisement, nous ne nous nourrissons pas exclusivement de pizzas et autre bouffe « rapidement avalée - rapidement oubliée », nous ne sommes pas des irresponsables violents prônant l’anarchisme, et nous ne souhaitons pas imposer notre façon de voir les choses à l’ensemble de la population. Jouer est notre moyen de décompresser, de nous exprimer, de nous mesurer. Notre moyen d’exister aussi parfois. Nous ne demandons pas la reconnaissance, ni la médiatisation. Simplement un peu de respect. Je sais que ce discours frise la revendication syndicale de bas étage, mais en même temps que pouvait-on attendre d’autre d’un autiste imprégné de jeu ?
Ce qui me rassure et m’inquiète à la fois, c’est que désormais les jeux sont présentés dans les plages de pub télévisuelles à heures de grande écoute. Le fait que la très sainte autorité du petit écran autorise ce passe temps pour dégénérés à un droit d’expression n’est-elle pas la preuve que finalement tout est rentré dans l’ordre ? C’est ce que ne manqueront pas de se dire tous les bidochons franchouillards plantés devant leur tube cathodique (le bidochon n’a pas d’écran plat). D’un autre côté je demande si c’est une bonne nouvelle d’être intégré de cette façon là… Broyé par un système marketing honteusement agressif, le jeu ne risque t-il pas de perdre de sa magie originelle ? Ceci est un autre débat.
Je ne terminerai pas sans reconnaître certains torts des joueurs. Il est vrai que nos discussions sont souvent hermétiques aux non initiés, et que de ce fait notre ouverture vers l’extérieur est pauvre. De même, l’enthousiasme débordant de nos plus jeunes confrères peut s’avérer relativement inquiétant, même pour nous. Mais nous avons tous été jeunes, il convient de ne pas l’oublier. Et il est exact que certains jeux sont clairement scandaleux, de l’avis même des joueurs. Autant un GTA est immoral au possible, mais il procure un plaisir infini en tant que fiction ludique, autant le dernier jeu réaliste où il faut incarner Lee Harvey Oswald et plomber Kennedy dans une reproduction exacte de l’attentat de Dallas me file la nausée. Et le vomi n’est pas loin quand le producteur du jeu rajoute qu’une récompense en cash sera attribuée au surdoué qui reproduira les 3 tirs historiques à la perfection. Écœurant. Bafouer la mémoire d’un homme n’est pas un jeu. Et la plupart des joueurs seront d’accord avec moi.
Conclure sur ce dossier n’est pas envisageable. Pas tout de suite. L’avenir nous dira si l’intégration se fera sans plus de heurts. Les gros sous aideront vraisemblablement à faire passer la pilule à l’opinion publique, au détriment d’explications sur les réelles émotions que peut contenir un jeu. Tant pis. On se consolera en allant chercher des émotions encore plus belles dans le réel. Parce que tout comme vous nous en sommes capables et dépendants. Fort heureusement.