Martine à Leucate.
le guide de la mauvaise conscience

Pourquoi vous ne dormirez plus tranquillement. par Hebus San
Si vous êtes un lecteur assidu de NesPas, et vous en êtes un, je le sais, je le sens, vous avez certainement pris connaissance de l’excellent guide de l’acheteur compulsif présent quelque part au sein de cette merveilleuse arborescence qui constitue notre site, là, à quelques clics à peine d’ici.



Vous l’avez lu, vous avez ri parce que vous goûtez particulièrement la légèreté de l’humour potache qui règne en maître en nos murs, et puis vous vous en êtes allé l’esprit serein et la culpabilité apaisée, remonté comme une pendule, la carte bleue entre les dents prêt à racheter une partie du capital de Nintendo dans le cas improbable mais non surréaliste où l’envie soudaine de vendre ses actions sur ebay prendrait Satoru Iwata.

Ah ah ah, comme vous êtes faibles. Comme vous êtes versatiles. Je vous connais vous savez, comme je connais bien votre mère, mais c’est un autre sujet. Vous êtes de cette race de couards trop pleutres pour avoir une opinion réfléchie, trop timorés pour oser contester ouvertement la dernière grande gueule ayant pris la parole.
Du coup vous suivez aveuglément le troupeau de ceux, trop nombreux, qui se rassurent comme vous le faites en se conformant à la vision rassurante d’un ayatollah qui pense pour eux. En même temps comment pourrais-je vous blâmer ? La vie est tellement plus facile comme ça.

Mais quel misérable ingrat serais-je si je laissais faire une telle ineptie ? Après tout ce que je dois à votre mère, c’est un bien juste retour des choses de vous remettre les pieds sur terre, même s’il vous faudra vous essuyer les pieds après ça, la météo ne nous ayant pas particulièrement gâté ces derniers temps, c’est boueux. Y’a plus de saison ma pauvre dame. Ah ça non.

L’ami Averell vous a convaincu du bien fondé de vos pulsions mercantiles ? Je vais vous dégoûter à vie de l’achat. Je vais tellement vous travailler le cortex que quand j’en aurai terminé vous aurez oublié non seulement toutes vos coordonnées bancaires et autres codes inutiles mais peut être aussi vos tables de multiplication pourtant durement acquises sous la tendre férule de Mme Lallande, éternelle institutrice de votre lointain primaire, celle là même dont les protubérances mammaires ne cessaient de vous distraire en vous éveillant aux troubles plaisirs de la chair, rejetant loin ce satané 8 fois 7 si compliqué à retenir. C’est ainsi l’ami, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Ou alors il faudrait être très con pour essayer. Et tu es pleutre, pas con. Oui, je te tutoie car j’ai déjà commencé, je suis dans ta tête à présent.


Pourquoi se méfier de l’achat ?

Pour diverses raisons. En tant que tel rien de plus anodin qu’un achat. Après tout si l’on devait faire une introspection personnelle chaque fois qu’on va chercher le pain, la vie serait pénible. Ce n’est pas faux, mais entre une miche pas trop cuite (toi aussi tu aimes ce calembour pathétique, avoue) et un jeu vidéo, il y a un pas. Un pas large comme le cul de cette vieille pute de Manille rencontrée un soir de solitude après le congrès international de l’ananas, et que nous avions affectueusement surnommée le gouffre.

Tout simplement parce qu’à la différence du bien innocent sacristain que tu t’apprêtes à t’offrir pour satisfaire ta gourmandise et envoyer chier tes résolutions nutritionnelles, le jeu vidéo est l’ultime maillon d’un rouage bien huilée et parfaitement calibré pour te pomper ton oseille, rouage lui même participatif de cette machine de guerre au nom moins reluisant que dans les années 90 : la capitalisme. Oui, le capitalisme est un rouage fait de maillons, c’est dire s’il est complexe.

Tout de suite ça rigole moins. A ce stade le lecteur de gauche est définitivement ferré, incapable qu’il est de laisser tomber en cours de route la lecture d’un papier qui s’apprête à cracher sur l’ennemi de toujours. Celui de droite rinoche encore niaisement tout simplement parce qu’il n’a pas entrevu ce qui allait lui tomber sur le coin du museau. Celui du modem sucre les fraises, et ça c’est cool, il a enfin trouvé un moyen de servir à quelque chose.

Je viens d’une époque bénie pour les adeptes du capitalisme dont mes parents faisaient partie. La branlée de 1989 infligée aux rouges pêle-mêle par l’ascension d’un pape polonais, la mondialisation galopante et les mensonges difficiles à contenir plus longtemps d’un régime exsangue ont permis à nombre d’entre nous de sabrer le champagne et d’avoir une bonne occase pour honorer bobonne alors qu’on était même pas samedi soir. Dans ta face, Gorbatchev. Hélas tout se paie en ce bas monde. Le coït par la grossesse, la défonce par le manque, la grosse pétée par les cheveux qui poussent dans le mauvais sens, la télévision par TF1, les enfoirés par Alizée.
C’est donc tout naturellement que la victoire via le triomphalisme d’un système qu’on croyait rompu à toutes les vicissitudes vient de prendre un goût amer en cette fin de première décennie du 21eme siècle. La gourmandise exacerbée des financiers sans scrupule a enfin porté ses fruits, et la plèbe contemple impuissante ses économies ardemment gagnées en échange de dures journées de labeur s’évaporer en fumée dans les tours de passe-passe du grand requin Madoff.
Un partout la balle au centre aurait dit Jean Michel Larqué si on lui avait demandé son avis, ce qui n’est pas le cas. Toujours est-il que l’achat d’un jeu s’inscrit pleinement dans un plan de relance de l’économie mondialiste qui n’a strictement rien appris de ce récent fiasco. Libre à toi de vivre avec ça remarque, mais comment se regarder encore dans la glace après avoir ouvertement pris position en finançant la multinationale Sony ? Penses-y demain matin en te brossant les dents. Regarde-toi dans le milieu de l’iris et dis-toi bien que tu es un beau salopard. Tu me dégoûtes, tiens.


Mais ce n’est pas tout. Que les malheurs du monde te touchent peu, passe encore, ton esprit étroit te permettant tout juste d’évaluer les dégâts familiaux que tu es susceptible de causer en besognant consciencieusement ta lubrique collègue de bureau alors qu’elle est mère de 3 enfants. Mais comment peux-tu accepter d’abonder dans le sens d’entreprises qui te veulent du mal ?! J’accuse ouvertement et sans mâcher mes mots les grandes enseignes du e-commerce de creuser chaque jour davantage la tombe de nos pécules maigrichons.
Je vous fais juge (c’est une image, pas besoin de vous précipiter au palais de justice pour juger Emile Louis, de toute façon c’est déjà fait). Au début étaient les achats online pénibles : commande poussive, bugs en tous genres, impression obligatoire, paiement par chèque ou en donnant son numéro de CB au téléphone à une employée Togolaise tout à fait serviable mais sacrément limitée en français. Sur une ligne non sécurisée, en plus.
Et puis les choses ont changé. Sites sécurisés avec paiement par CB en 3 ou 4 clics bien indiqués, recherches facilitées, envoi de mails de confirmation… tout pour attirer le mouton bêlant (oui, je parle de toi) jusqu’aux ciseaux de la tonte. Juste ce qu’il fallait pour rassurer les masses, et les assembler en un gigantesque vivier à pognon.
Une fois le filon découvert, il était légitime que les requins attaquent la curée. Aujourd’hui plus besoin de n° de CB. Les commerciaux ont bien pigé que ce petit grain de sable faisait trop chier le monde pour rester impunément en travers de l’explosion économique. Les gens ont la flemme de lever leur gros cul pour aller chercher le n° au fond du larfeuille ? Pas de problème, désormais le n° est directement enregistré et relié au compte utilisateur. L’achat en un clic est né. Oui mais voilà, il est site dépendant. Qu’à cela ne tienne, le Dieu Paypal a décidé qu’il était temps pour lui de se révéler au monde. Interface nébuleuse et tentaculaire entre vous et votre banque, il échange chaque jour des millions en ramassant d’infimes miettes sur chaque transaction, miettes que personne ne conteste puisque Paypal garantit… garantit quoi d’ailleurs ? Si le facétieux coréen qui devait vous expédier votre jeu ne l’a pas fait, ça m’étonnerait beaucoup que Paypal engage un commando d’anciens légionnaires pour aller lui péter les genoux à grands coups de club de golf, histoire de lui apprendre qu’on ne chie pas sur la France, à ce sale jaune. Au pire vous récupérez votre fric, et lui peut continuer peinard d’enculer des européens à pleines brouettes. Pour vous servir de Paypal, seul un mot de passe suffit. Le plus souvent le nom de votre chien ou de l’un de vos gosses. Et ne me racontez pas de connerie sur le prétendu soin apporté aux passwords, pour un geek parano se rappelant de son mot de passe parce que les 12 derniers caractères changent en fonction du nom du site sur lequel ils sont selon un algorithme que même Kevin Mitnick aurait du mal à percer, combien de tante Solange avec « Michel » en guise de barrière fluette entre elle et les hordes de pirates sanguinaires prêtes à mettre le système sur les rotules ?
C’est tout un système qui veut votre peau les gars ! Merde, réagissez !!

Pas plus tard que ce matin j’ai encore eu le choc de voir mon caddy de supermarché pré rempli en un seul clic sur le site du gros enculé d’Edouard L. Un seul clic pour faire la totalité de mes courses et dans le même temps vaporiser 150€.

Vous verrez qu’un jour on vous abonnera ! Sans courrier de votre part reçu 2 mois avant l’échéance mensuelle, vous recevrez automatiquement votre caddy type livré chez vous, voire même rangé directement dans votre cuisine ! Au train où vont les choses, y’aurait rien d’étonnant à ce qu’on vous demande vos clés prochainement, pour « faciliter votre vie ».

Et bien non, pas de ça chez moi, j’aime avoir une vie bien compliquée, et je vous emmerde.


J’exagère ? Vous ne doutez pas encore suffisamment ? Vous avez toujours l’intention de vous jeter sur le prochain blockbuster de votre plateforme favorite pour peu qu’il récolte un 38/40 de la part de famitsu ? C’est moche, d’autant que si vous connaissiez les financements de famitsu…

Vous me décevez les gars.
Mais soit. Alors je vais être cruel.
Prenez les jeux que vous avez chez vous. Ceux que vous n’avez pas finis. Ou pas encore commencés, je sais que vous en avez. Regardez les bien les yeux dans les boites, et faites un choix : une pile de jeux que vous toucherez ou retoucherez un jour, une pile de jeux que vous ne toucherez jamais de votre vie.
Vous êtes pleutres, je l’ai déjà dit, il y a donc fort à parier que la pile des jeux sur lequel vous avez accepté de tirer un trait définitif est à la hauteur de votre courage, soit la probabilité de voir Duke Nukem Forever faire un carton le jour de sa sortie.
Maintenant listez les titres de l’autre pile et additionnez simplement les heures de jeu de chacun en allant les glaner de ci de là sur la toile. Prenez la moyenne basse hein, je ne veux pas vous détruire complètement le moral. Si des speedruns sont disponibles ça compte aussi, ça allègera la facture. Comptabilisez le tout et divisez ça par le nombre moyen d’heure que vous passez quotidiennement devant un écran.

D’une part ce nombre d’heure devrait vous travailler un peu, vous savez au fond de vous même que ce n’est pas particulièrement reluisant, et d’autre part le résultat de la division devrait vous effrayer. Oui, vous obtenez le nombre de jours de jeu qui vous attendent, et ce dans l’hypothèse hautement farfelue où vous n’achèterez rien d’autre avant d’avoir tout fini.

Vertigineux, n’est ce pas ? Comment ? « Oui mais moi je ne finis pas mes jeux » ? Je le savais. Couard, et minable par dessus le marché.


L’avenir ne te fera pas de cadeau ami gamer. Les plateformes virtuelles sont déjà en train de gagner la bataille. Bientôt tu n’auras plus à lever ton cul du canapé du salon, ton salaire sera directement reversé sur ton compte steam lui même relié via des passerelles à tes identifiants XBLA, PSN et Wiiware. Un monde nouveau s’offrira alors à toi, celui où tu te lèveras le matin pour aller bosser comme un con pour ne rien créer, ne rien inventer, simplement entretenir le système qui te paiera un bel enterrement dans l’indifférence absolue de 99.9% de tes compatriotes qui sont du reste dans le même bateau que toi. Le soir ce sera chouette, tu rentreras crevé, faudra que tu t’occupes du foyer, et si après ça tu as encore la force de jouer, cool, ton système ludique aura téléchargé automatiquement pour toi le dernier jeu le plus à même de satisfaire ton plaisir en fonction du profil que l’IA perverse qui t’épie depuis ta naissance aura dressé de toi.

La prochaine étape c’est quoi ? Matrix ?

C’est la théorie du battement d’ailes du papillon mec. Un petit clic sur « confirmez votre commande », un futur de merde pour tes enfants. Penses-y. Sauve un enfant, n’achète plus de jeu.