On a du changer de site, les lecteurs devenaient aveugles.
Link

L'ultime lien de joueurs du monde entier par Hebus San


Suite aux fracassantes déclarations de Mario, c’est avec une certaine appréhension que je m’apprête aujourd’hui à rencontrer Link, véritable légende du secteur grâce à ses rôles dans la saga des Zelda. Appréhension somme toute légitime, puisqu’au fond de mon cœur de chroniqueur se tapit un joueur profondément attaché au paysage vidéoludique de son enfance. Après Mario en empereur de la merde, que peut bien me réserver Link ? Cette question qui me tarabuste a néanmoins fait poindre un sentiment d’excitation dans l’attente de cette rencontre. Car, si je crains la désillusion consécutive à l’écroulement d’une façade construite par un regard d’enfant, je trépigne à l’idée de ramener un scoop plus incroyable encore que ceux dévoilés par Mario. Le bref contact téléphonique du mois dernier avec Link (NDR : Link n’a pas d’agent, bizarrement) me permet d’ailleurs de l’espérer, le ton de mon interlocuteur ayant été à cette occasion fuyant, distant, voire même nerveux. Link aurait-il des secrets moins avouables encore que ceux de Mario. Quelle est donc la véritable histoire du conquérant de la Triforce ?

Me voilà donc arrivé dans les Highlands écossais, aux abords d’une propriété aussi gigantesque qu'austère. Pour l'occasion, le ciel a revêtu ses plus beaux atours gris plomb, et ses pleurs sont partiellement contenus. J’aime cette ambiance. Le soir s’approche à pas discrets, et la grille pivote sur ses gonds dans un craquement hollywoodien. C’est à se chier dans le froc. Bordel, quel pied !

Au bout d’une allée interminable et désespérément nue de tout ornement, je suis enfin aux pieds de la splendide demeure. Ne seraient les fenêtres allumées de ci de là, j’aurais pu la manquer tant elle est assortie au décor. Sombre et grise, donc. Bigre, on a vu plus chatoyant comme habitat… Cela dit, pour un homme qui a passé sa carrière dans des donjons humides et dangereux, ça ne dénote pas trop.

La porte s’ouvre sur une première surprise. Sahasrala !



-Bonsoir monsieur.

-Bonsoir ! Quelle surprise de vous trouver ici. Vous vivez là ?

-Monsieur Link n’a pas prévenu monsieur ?

-Euh non, il n’a rien mentionné à ce sujet. Mais... « Monsieur Link » ? Vous n’êtes tout de même pas son serviteur ?

-Monsieur Link éclairera sans doute votre lanterne sous peu monsieur. Si vous voulez bien vous donnez la peine d’entrer. L’orage menace.

-Ah, euh oui. Bien sûr.

Grandes pièces austères, murs froids, architecture glacée. Sahasrala m’introduit enfin auprès de Link.
L’homme est tout de vert vêtu, la trentaine à peine froissée et de belle carrure. Le premier contact est néanmoins rude.

-Stop !

-Bonjour Monsieur…

-J’ai dit stop, plus un pas. Tournez vous que je vous fouille !

Après m’être exécuté, le visage de Link change. Dire qu’il s’apaise serait exagéré, mais je note une légère décrispation de ses traits.

-Asseyez-vous, je vous en prie.

-Merci. Vous craignez quelque chose pour traiter vos invités de la sorte ?

-On n’est jamais trop prudent. C’est ma devise, ol’ buddy!

-D’accord. Débutons notre entretien, voulez-vous? Pouvez vous nous parler un peu de vous ?

-Je le peux. Mon nom est Link Flannagan, je suis né en 1971 à Galway.

-De parents irlandais ?

-Oui. Ils sont fermiers dans le Connemara.

-Mais alors que fait un irlandais pure souche en Écosse ?

-On ne se méfie jamais assez vous dis-je. Auriez vous l’idée d’aller chercher un irlandais en Écosse vous ?

-Et bien, non mais…

-Voilà. Eux non plus.

-Qui ça, « eux » ?

-Eux. Ceux qui me cherchent depuis des années, bloody guts ! Mais jamais ils n’auront ma peau, JAMAIS !

-Bien bien, rasseyez vous je vous en prie. Nous parlerons de ça un peu plus tard si vous êtes d’accord.

-Comme vous voulez. Je vais demander à « Sa » de faire du feu. L’atmosphère se rafraîchit.

-Bon. Donc vos parents étaient fermiers...

-Oui, holy bishop ! Et de bons fermiers. De purs patriotes qui croient en notre mère patrie et en notre sainte église. J’admire mes parents. Ils m’ont tout donné. Rigueur, discipline, abnégation, sacrifice, honneur.

-Vous avez eu une éducation un peu stricte, je vois.

-J’ai eu l’éducation qui devrait être appliquée partout. La meilleure qui soit. La vie n’est pas un jeu, mais une guerre. Ils m’ont donc préparé comme un soldat.

-Moui….Et en ce qui concerne votre arrivée dans le jeu vidéo ? Je crois savoir que vous y êtes entré beaucoup plus jeune que Mario. Comment se fait-ce ?

-Blessed shit of hell !! Ne me parlez pas de cette fripouille ! Ce rebut n’a aucune valeur morale, ni le moindre sens de la justice.

-Son parcours a été difficile, ce qui explique…

-God damned ! Ne cherchez pas d’excuses bancales ! On a l’enfance qu’on mérite. La voie est tracée bien avant notre venue !

-D’accord… et donc pour les jeux ?

-J’ai été kidnappé à l’orée de l’adolescence. Par les agents de Big N. J’ai appris plus tard que c’était eux. Mais lors de ma première expérience je ne savais rien. Ils m’ont jeté dans un monde périlleux sans aucune autre explication que : « Survit, si tu le peux ». (**le visage de Link laisse échapper quelques gouttes de sueur, et ses mains se sont crispées sur les accoudoirs de son fauteuil. Il a le regard flou**). C’était terrible, holy fucking mother ! Le danger me guettait dans chaque recoin ! Derrière chaque buisson épineux pouvait se cacher une grosse pieuvre cracheuse de pierres ! Mais ma foi m’a guidé. God bless Flannagan !

-Mais ce n’est qu’un jeu tout de même.

-Evil bishop ! Mais c’est ça ce qu’ils essaient de faire croire !! J’ai risqué ma vie moi là bas ! J’ai frôlé la mort à chaque instant, affronté des monstres haut comme des immeubles sortis de cauchemars qu’on oserait jamais faire, parcouru des centaines de kilomètres à pied, à vol de canard ou à cheval…

-Vous parlez de vos autres….mmm, « expériences » ?

-Oui, vous pensez bien qu’ils ne s’en sont pas pris à moi qu’une seule fois, les ordures ! Après mon premier enlèvement, le succès rencontré par les vidéos de mes exploits, car je vous prie de croire que ce sont des exploits, même si les images de l’époque ne sont pas terribles, les a poussés à inventer des tortures toujours plus perverses pour me jeter dedans. La dernière fois, ils ont essayé de me noyer en mer !! Ces gens ne reculent devant rien, vous m’entendez, RIEN ! Mais je ne me laisserai pas avoir aussi facilement. Ah ça non, ils vont voir que le fighting spirit irlandais est tout sauf une légende populaire…

-Mais pourquoi font-ils ça ?

-Mais pour le pognon, évidemment ! Que voulez vous je suis vendeur… Bien bâti, plutôt beau garçon, une belle crinière blond vénitien. Ce que je ne m’explique toujours pas, c’est le pourquoi du premier enlèvement. Mes parents avaient un peu d’argent, mais pas de quoi exiger une grosse rançon. Je ne sais pas. Peut être des concurrents du secteur ovin.

-Hem, c’est troublant en effet. Mais vous n’avez pas connu que la douleur lors de ces périodes-là. Vous avez rencontré Sahasrala par exemple.

-Sa ? Oui, je l’ai rencontré la première fois, dans la première grotte que j’ai visitée. Il était d’ailleurs dans toutes les grottes de la première expérience. A tel point que je me suis demandé si ce n’était pas un de leurs complices chargé de me surveiller. Mais non, il m’a toujours aidé. Je l’ai sorti de là lors de la troisième aventure. Depuis, il m’épaule dans mon combat quotidien.

-C’est-à-dire ?

-C’est lui qui sort à ma place pour l’intendance de la maison. Il m’aide dans les tâches ménagères, et il me soigne aussi.

-Il vous soigne ?

-Oui, le mal des labyrinthes... Je l'ai contracté au tout début. Des crises d’angoisses aiguës qui nécessitent un traitement très, très long. Alors, depuis il veille sur moi, puisque j’ai tendance à oublier mes petites pilules (**tic spasmodique de la joue droite**). D’ailleurs il va bientôt être l’heure de les prendre, je crois.

-D’accord, d’accord. D’autres personnes vous ont-elles marquées, là-bas ?

-Comment ne pas citer cette jeune fille incroyablement maladroite qui se fourre toujours dans les lieux les plus impossibles.

-Zelda ?

-Voilà, c’est ça ! Vous la connaissez ? Son nom m’échappait…

-Euh, seulement de nom.

-Et bien vous me croirez si vous voulez, elle invente toujours des histoires à dormir debout pour justifier ses difficultés. Mais au fond de moi je crois qu’elle est folle, vous savez.

-Noooon ?

-Mother piece of shit, si ! Elle a vraiment un comportement bizarre avec moi. Elle est mal à l’aise quand je suis avec elle, sans aucune raison en plus, pas vrai ?

-Non, non.

-Voilà. C’est pour ça que je la soupçonne d’avoir quelques soucis pysniatriques.

-« PSyCHiatriques »

-Damned froggy, je sais ce que je dis non ?!

-Oui, oui, excusez moi.

-En plus j’ai bien essayé de l’emballer, d’aborder un peu la bagatelle. Et bien rien n’y a fait mon bon monsieur ! Elle est un peu niaise par dessus le marché cette gourdasse. Pardonnez mon vert langage, hein !

-Oh ne vous inquiétez pas pour ça…

-Hé hé hé, moi aussi j’aime bien parler avec un peu de fantaisie comme ça. Mais Sa dit que ce n’est pas beau et que je ne devrais pas. Il veille sur moi.

-Hem, et concernant votre relation à la triforce ?

-Holy heaven ! Mais vous voulez m’agacer vous, à la fin !!?

-Mais pas du tout je…

-TAISEZ VOUS ! Ces impies rejetons de Satan sont allés jusqu’à parodier le très saint pouvoir de notre Seigneur, vous vous rendez compte ? Hein ?

-Ben euh, pas bien en fait…

-Mais vous aussi vous avez du mal ou quoi ? (**à voix très basse**) Je suis l’élu vous savez. Les voies du Seigneur sont impénétrables aux masses, mais pas à moi. Je vois clair dans ses grands projets, et je suis même appelé à jouer un rôle déterminant pour l’Irlande.

-Non ?...

-Si, si. Il me l’a dit en personne. Alors vous comprenez bien qu’eux ne pouvaient pas me laisser en liberté pour répandre la bonne parole. Non, ils m’ont séquestré dans ces simulacres de jeux antiques, sous la garde de monstres visqueux aux pouvoirs terrifiants, et tout ça pourquoi ? Pour m’emmêler les neurones avec une histoire délirante de force supérieure, la triforce, parodie grotesque de la sainte trinité. Avec pour but ultime de me laver le cerveau, de me faire oublier ma mission. Ma mission SACRÉE. ILS SONT LES ENVOYÉS DU MALIN VENUS ME PRIVER DE MON RÔLE INTEMPOREL ET…

-MONSIEUR !!!

-Ahem, oui pardon Sa, tu as raison, je ne devrais pas parler à voix haute de tout ceci n’est-ce pas ?

-Ce serait préférable Monsieur. Imaginez que ce journaliste soit de leur côté…

-C’est vrai ça (**regard plissé et oblique dans ma direction**)

-Mais pas du tout, enfin voyons, je suis là pour Nes Pas !

-Qu’est-ce qui me le prouve ?

-Et bien rien du tout mais…

-Dans ce cas l’entrevue est terminée ! Et… Oh, c’est l’heure Sa ?

-Oui Monsieur. Et prenez bien les 5 aujourd’hui.

-Oui, oui Sa, mais hier je n’ai pas fait exprès d’oublier la petite bleue tu sais…

-Je sais monsieur.

Alors que Sahasrala me reconduit vers la sortie, je suis bien plus troublé qu’en arrivant. Je me suis effectivement chié dans le froc, mais pas pour les raisons escomptées. En effet, lors de son accès délirant Link avait dégainé un gigantesque poignard effilé avec une vivacité déconcertante et s’était mis à l’agiter frénétiquement devant lui, pourfendant les ombres.

-Vous êtes sans doute décontenancé, non ?

-Qui êtes vous « Sa » ?

-Oh moi, je m’appelle simplement Alfred. Je suis son tuteur légal.

-Son tuteur ?

-Oui, le pauvre homme est autiste et orphelin. Vous n’avez pas cru un mot de ce qu’il vous a raconté j’espère?

-Et bien pas tout c’est vrai.

-La plupart des faits sont exacts, mais il les interprète à sa manière. Au fond il n’est pas méchant. Enfin, pas tant qu’il suit son traitement.

-Mais comment Nintendo a-t-il pu en venir à l’engager ?

-C’est très simple. Vous savez, de part leur activité ils soutiennent bon nombre d’orphelinats et de centres spécialisés pour enfants à problèmes. On pourrait prendre ça pour du philanthropisme, mais je préfère taxer cette pratique de contournement de la libre concurrence. Ils s’assurent ainsi une confortable place de monopole chez ces enfants. Et ceux qui en sortent ne l’oublient pas. Enfin, l’essentiel c’est que les gosses aient des jouets…

Quoi qu’il en soit un de leurs représentants est venu un jour de compétition sportive entre les enfants. Link a toujours gagné toutes les épreuves. C’est une véritable force de la nature. Dommage qu’il n’ait pas eu la même chance pour ses facultés intellectuelles, il aurait été prix Nobel. Il a énormément impressionné le représentant qui en a parlé à ses supérieurs, et de fil en aiguille…

-Mais la fondation n’a rien fait ?

-Comment aurait-elle pu réagir ? Nintendo la tenait avec ses subventions. Et puis il faut reconnaître qu’ils ont pris Link en charge de A à Z. Regardez sa situation actuelle. Il vit bien, il ne manque de rien, il est médicalement très encadré, et puis je suis à ses côtés tous les jours que Dieu fait.

-Mandaté par Nintendo pour surveiller leur poule aux œufs d’or…

-Croyez-le ou non, je me suis attaché à lui. J’étais son éducateur dans le temps. Et comme nous avions un excellent contact, Nintendo m’a embauché pour jouer le rôle de l’ermite dans Zelda 1 puis celui de Sahasrala par la suite. Link serait perdu sans moi vous savez.

-Si vous le dites.

-Chaque jeu est une épreuve pour lui, nous en sommes pleinement conscients, mais je pense qu’il a plus de chance que tous les pauvres gars qui croupissent dans des institutions plus ou moins salubres avec des soins plus que limités. Ici il est bien, et même s’il se cloisonne dans son propre monde, il a réussi à sortir de son mutisme pour interagir avec le monde extérieur quelle que soit l’interprétation qu’il en fait.

-Peut être que vous avez raison. Si ça peut le rassurer, dites lui que je vais enquêter sur ceux qui le persécutent.

-Dans moins d’une heure il aura oublié jusqu’à votre venue vous savez.

-Et bien… Bonne soirée alors, Alfred.

-Bonne soirée monsieur.

Je repartais dans un crépuscule aussi sombre qu’une nuit sans lune avec un gros pincement au cœur. Le héros de toutes ces années… un autiste exploité. Mais je ne pouvais m’empêcher de penser qu’Alfred n’avait pas tout à fait tort. Il était bien soigné. Et puis un autiste qui fait rêver un bon pourcentage de la planète, quel joli paradoxe médico-social après tout….