Si ça ce n'est pas la classe.
Il est des histoires qui méritent d’être contées. De celles dont on se délecte de les entendre maintes et maintes fois, sans jamais se lasser, tout simplement parce qu’elles sont belles. Parce qu’elles sont empreintes d’humanité, de courage, de souffrance aussi, mais par dessus tout d’amitié. En voilà une que vous pourrez raconter aux gens qui le méritent, parce qu’elle fait du bien à l’âme.
Cette histoire est mon histoire, celle d’Hebus San, faux troll virtuel mais vrai handicapé des mains quand il s’agit de faire quoi que ce soit de manuel.
Elle débute alors qu’un loyer scandaleusement élevé, la perspective d’une famille qui va s’agrandir, et la responsabilité de tout ce monde-là m’ont poussé à basculer du côté des propriétaires fonciers.
Pour ceux qui ne situent pas bien, le côté des propriétaires s’il est munis d’avantages non négligeables s’accompagnent également d’inconvénients majeurs, dont la quasi totalité sont d’ordre financier. Or, quand on acquiert un bien immobilier, il y a immanquablement quelques travaux à envisager. Surtout quand la maison en question est inhabitée depuis 1997, et que les précédents propriétaires étaient âgés de 75 ans au moment la construction.
En clair moquette et papier peint marron dans tous les coins. Oui marron, la couleur du caca.
Autre problème en vue, il va falloir déménager rapidement, travaux ou pas. Parce que mon nouveau meilleur ami, le banquier qui a consenti a me prêter une belle somme contre des mensualités elles aussi tout à fait splendides à ses yeux, n’apprécierait pas que je dépense à la fois un loyer et des mensualités de prêt.
Mais comment faire les travaux avec tout le barda au milieu ?
Solution : faire les travaux avant de déménager. C’est à dire en 3 semaines. Ouille. Je suis angoisse et pessimisme.
Et les choses ne s’arrangent pas. Non content d’avoir extrêmement peu d’amis dans la région, aucun membre de ma famille ne répondra à l’appel pour venir me prêter main forte. En fait, seul un gentil membre de mon club de volley (Nico si tu me lis) aura la bonté de lâcher ses révisions afin de s’adonner aux joies du détapissage.
Mais à peine avons nous commencé que l’évidence me percute le jugement de plein fouet : jamais je ne pourrai finir dans les temps.
Une crise d’angoisse plus tard, j’apprends que mes beaux parents viendront un dimanche avec des amis à eux. Mission accomplie pour ce dimanche là, l’étage est entièrement détapissé.
Mais il reste un ennemi bien plus puissant à abattre.
En ce lundi soir ensoleillé, après une bonne journée de boulot, je m’attaque à cette satanée moquette. Elle est en place depuis 1988, alors autant vous dire qu’elle est bien en place.
Sacrilège absolu, ces cons là l’ont collée à même le magnifique plancher en pin massif qui compose en totalité mon étage. Et la colle néoprène sur le bois, c’est pas glop comme dirait pifou.
Commence alors le pire calvaire physique de toute mon existence. Une fois la moquette arrachée (sans aucune difficulté), reste une bonne couche de mousse collée sur le bois. Et là je fais LA connerie. Suivant à la lettre les consignes d’un pauvre enculé de chez Monsieur Bricolage (si tu me lis, je te hais, et il se pourrait même qu’un jour je te frappe), j’achète un bidon de dissolvant spécial colles à moquette pour la coquette somme de 65€. Dans mon malheur merdeux un souffle de Wizard à la vanille : heureusement qu’il n’y avait plus qu’un seul bidon, sans quoi j’en prenais au moins deux…
Je m’habille en cosmonaute afin de protéger mes neurones et mes poumons de la haute toxicité de la chose, et je commence à tartiner joyeusement l’une de mes pièces avec la mixture. L’odeur est abominable. Je vacille, mais la perspective de rénover le plancher de ma maison, la fierté promise d’y voir ma fille y faire ses premiers pas, et le regard de ma femme posé sur moi à ce moment là me font tenir le coup. Une heure se passe. Il est temps de décoller cette satanée couche. C’est plein d’espoir que je m’approche, raclette en main. Et c’est plein de détresse que 30 minutes plus tard je me relève après n’avoir péniblement retiré que 30cm² de mousse. Le dissolvant a eu une action désastreuse : il a ramolli la mousse qui ne part plus en plaques, mais en fines bouloches totalement impossible à éliminer efficacement. C’est la consternation. A ce rythme là, il me faudra des mois pour tout enlever. Mais je n’ai pas ce temps. Alors quoi ? Faire venir un professionnel ? « Bien sûr monsieur, mais pour votre affaire, il faudra compter au minimum 80€/m² »…. et j’ai 45m².
Vaincu par l’angoisse, je me résigne à rentrer me coucher, mais passe faire un dernier essai sur une pièce vierge de tout dissolvant. Et là c’est le miracle : les plaques partent en restant entières. Certes, ce n’est pas facile, mais au moins ça reste possible !
Il s’en suit une semaine intense de grattage où jamais je n’avais autant souffert physiquement. Mais le résultat est là : j’ai gratté mon parquet. Il est vilain comme un cul mal lavé, mais il est prêt à être poncé.
J’y ai toutefois laissé la quasi totalité de mes forces et de ma motivation. La tâche m’apparaît insurmontable. Et puis, et puis…
Après quelques appels au secours déguisés lancés sur le net à des gens proches, la dernière personne que je pensais voir venir à mon aide va me proposer de venir une semaine entière.
Ecstazy le grand a entendu mon appel. Il va venir. Je n’en crois pas mes oreilles (enfin surtout mes yeux, parce que MSN quoi). Pourquoi une telle stupéfaction ?
Pour ceux qui ne connaîtraient pas bien Ecstazy (Guillain pour les intimes), je vais situer un peu les choses. Ecstazy et moi nous connaissons depuis près de 2 ans, connaissance effectuée sur le présent site. Nous ne nous étions rencontré qu’une seule fois à Paris, pendant un peu plus de 3 heures. Et si lui vit à Paris, pour ma part je réside à Perpignan, soit à l’autre bout de la France pour les attardés de la géographie. Dernier détail et non des moindres, Guillain est né sans avoir de jambes en dessous des cuisses, et sans bras droit non plus. Habituellement, on appelle ça un handicapé. Grands Dieux, que ce mot peut se révéler faux.
Autrement dit, le mec qui va venir m’aider pendant une semaine complète et un mec qui ne me doit rien, qui me connaît à peine, qui va traverser la France en train, sacrifier ses vacances, et qui de surcroît consent à endurer un effort physique colossal, bien plus important que celui que j’aurai moi même à fournir.
C’est dingue. C’est fou, pour reprendre son expression favorite.
Récit d’une leçon de courage et d’abnégation.
Ce mardi 06 septembre est nuageux. Tant mieux, au moins on ne souffrira pas de la chaleur. Après 142 tours du minuscule rond point qui trône devant la gare (parce que grmblmbl de pu*@$!# y’a pas de place !), Tazounet arrive enfin. Un rapide poignée de main plus tard, nous voguons déjà vers le travail. Mais une collation s’impose. C’est également l’occasion de présenter Guillain à ma femme, ma fille et ma belle-mère de passage à la maison. Le repas est frugal, et nous nous mettons en route.
D’emblée, Guillain s’accorde à dire que « c’est fou, tout le travail qu’il y a », « mon cœur saigne », « c’est fou ce ponçage de parquet », et tout un tas d’autres affirmations que j’approuve vigoureusement.
Les tâches sont réparties. Guillain va poncer les murs afin de les préparer à la peinture tandis que je vais m’occuper de ce putain de parquet avec ma monstrueuse ponceuse à bande louée à prix d’or pour l’occasion.
Le choix du bon matériel fait le bon artisan
Le vacarme est assourdissant, mais la présence du webmaster qui a consenti à publier mes écrits et qui a partagé mes interrogations existentielles depuis de longs mois me donne du cœur à l’ouvrage. Et visiblement cet élan est partagé. Guillain est un as du ponçage. Le placo est lisse comme un cul de vierge moldave derrière son passage. Certes il a les cheveux dans un tel état qu’il faudra bien 4 ou 5 shampooing pour rattraper tout ça, et peut être même que tout ce qu’il a inhalé lui causera une néoplasie pulmonaire précoce, mais nom d’une cartouche pirate, force est de constater que l’efficacité du bonhomme ne se cantonne pas qu’au domaine du jeu vidéo.
Le travail avance, et le meilleur reste à venir.
J'aime le mastic et il me le rend bien
Le meilleur s’appelle Brigitte et Jean-Claude.
Brigitte. Comment t’oublier ? Comment gommer de ma mémoire ta chaleur sous mes mains (et sous mes ampoules), tes tremblements réguliers qui faisaient vibrer mon corps (et les murs de la maison), ton chant mélodieux (qui a rendu sourd le voisinage) et ton exceptionnelle capacité à engloutir des fonds qui auraient été utiles ailleurs ? Brigitte est une ponceuse bordureuse. Une ponceuse circulaire spécialisée dans la finition et dans les bords de plinthes. Parti sur un vague délire entre Taz et Sophie (ma femme donc), Brigitte est devenue la mascotte de nos travaux. Outre le fait que je garderai à vie en mes reins les stigmates douloureux de son maniement hasardeux (je suis pharmacien, merde, ne l’oublions pas !), Brigitte nous aura accompagné dans tous nos bons mots et d’une merde absolue à faire, Taz aura réussi l’exploit de la rendre sympathique et hautement comique. A tel point que le dernier jour, en allant chercher de la peinture, j’ai malgré moi emprunté la route menant au magasin de location de Brigitte… une sorte d’exigence subconsciente certainement. Le chambrage en règle subit en conséquence de la part de Taz était tellement justifié que j’ai ri de bon cœur. Pardon, « j’ai ri comme un enfant », « c’était fou ».
Voilà pour l’épisode Brigitte.
Ça c'est le tank. La machine du mal.
Ai-je dis que Brigitte était notre mascotte ? Oui, mais c’est faux. Enfin c’est devenu faux dès l’apparition de Jean-Claude. Père d’une de nos amies, ce brave catalan a sacrifié ses soirées pour venir nous enseigner l’art de la peinture. Et comme nous y étions décidément imperméable, il a finalement plus repeint qu’enseigné. Enfin bon.
Le premier soir de peinture, Guillain et Sophie avaient préparé la chambre d’Idril (ma fille pour les nouveaux) en vue du grand chantier. Autrement dit protection sur le parquet amoureusement poncé avec Brigitte. Une ouverture de bidon de 15 litres de sous-couche plus tard, les voilà fin prêts à affronter le placo fraîchement poncé. Moi ? Ben moi j’étais toujours en train de m’amuser avec Brigitte.
The tank in action
Quelques coups de rouleaux timides sont à peine passés que débarque Jean Claude et sa science. Après avoir constaté à quel point mes deux acolytes étaient arriérés dans la pratique picturale, Jean Claude décide de prendre les choses en main. Directives aux lèvres et rouleau en main, il administre conseils, boutades et remontrances avec une virtuosité toute professionnelle. Cet homme là est contrôleur à la CAF, et pourtant on l’aurait bien vu sur un chantier, bière à la main et marcel sur les épaules, mais nous y reviendrons plus tard.
Après avoir gavé Taz de conseils frisant le despotisme, il s’attaque vigoureusement au plafond, sans plus se soucier de mon parquet amoureusement travaillé. Sophie bat alors en retraite pour ne pas risquer une insulte malheureuse et bien involontaire, alors que Guillain assiste perplexe à l’étrange débordement d’énergie dont fait preuve JC.
On t'a déjà dit qu'en masque t'étais pas terrible ?
Après avoir vaguement expliqué à Sophie que non, il n’y a rien entre Brigitte et moi, elle retourne alors soutenir Guillain moralement et vérifier l’avancement des travaux made in JC. Et là c’est ZE scène of ze week…. Tellement belle…. Tellement surréaliste.
Guillain est planté comme un con au milieu de la pièce, totalement désemparé. Il contemple JC perché sur son escabeau et se démenant comme un beau diable pour torcher le plafond le plus vite possible (au cas où un huissier du Guiness Book vienne à passer sur Perpignan). Retenant un « ben tu fais rien toi ? » bien légitime, Sophie se tourne alors vers JC et constate la frénésie qui est la sienne à l’approche de la seconde moitié du plafond. JC reprend alors de plus belle à l’adresse du duo (accent catalan inside) : « Tu vois ton rouleau, il faut le charger à mort pour que ce soit efficace ! ». Et joignant le geste à la parole, il plonge le rouleau dans le bac de peinture pour l’en ressortir dégoulinant et plein « ras-la-gueule ».
Je sers le BTP et c'est ma joie
Sophie objecte alors « Mais ça va couler là… ».
« Couler ? Meuh non, nine (ndr : « nine : sobriquet affectueux utilisé dans le sud pour désigner un enfant »), ça coule pas ça ! ».
JC de dos. Normal "JC t'es trop drôle laisse moi te photographier"...
Dans la seconde qui suit, et pour bien illustrer sa détermination, JC effectue un large mouvement de son rouleau d’une amplitude étonnante. Mouvement qui termine sa course au dessus de Sophie, alors vêtue d’une tenue civile chic et distinguée. Et **Schplaaaofff**. Une belle coulée sur la tempe, la joue et le t-shirt (noir, comme ça la peinture blanche se voit mieux), Sophie se tourne incrédule vers un Guillain au bord d’un fou rire de classe mondiale… fou rire d’ailleurs incontrôlable qui éclate comme un feu d’artifice sans que JC ne s’aperçoive de quoi que ce soit.
Le bob "l'indépendant" toujours fièrement porté
Nous avons repassé cette scène des 10aines de fois dans nos conversations après ça. Et croyez moi, dès le « Meeeeeuh non nine ! », l’hilarité est générale. Un grand moment de vie.
Thème "Ton pinceau te vois comment dans la vie la vraie ?"
Temps qui s’enfuit trop vite, fugace impression d’un bonheur qu’on voudrait retenir et qui s’écoule entre nos doigts comme le sable éphémère d’une douceur de vivre… mais qu’est ce que je raconte comme connerie moi ? Merde, on dirait un reportage de « Y’a que la vérité qui compte »…
Bref, le séjour touche à sa fin. Les peintures sont pratiquement terminée, et Sophie insiste pour emmener Guillain manger à Collioure (petit port au charme fou encastré dans une crique rocheuse). Bien lui en a pris, la soirée fut merveilleuse. Entre confidences de vie et découverte mutuelle, nous avons pu un peu mieux appréhender le personnage d’Ecstazy le grand.
Allez, plus que 70m²
Une rapide discussion sous les étoiles achèvera ce séjour, discussion qui aura permis à Taz d’enfin savoir comment repérer l’étoile polaire, la nébuleuse d’Andromède, le triangle d’été et autres joyeusetés dans laquelle je suis un peu versé.
Le samedi arrive, et il est temps pour Monsieur Méjane de repartir vers son sympathique destin Grenoblois. Avant de repartir, il me transmet la méthode infaillible pour payer ses billets de train 50% moins cher quel que soit leur moment d’achat. Pratique.
Puis il s’embarque à bord du Perpignan-Paris et me laisse retourner à mon parquet (ah ben oui, après avoir poncé, il faut vitrifier…).
Un petit classique, pour la route
Alors que tous ici sachent que Guillain Méjane est un grand monsieur. Grand par l’esprit et la gentillesse, grand par la répartie dont il fait sans cesse preuve (et on lui pardonne bien volontiers ses « c’est fou » toutes les deux phrases), mais surtout immense par son courage.
J’ai pris une leçon. Une leçon que je ne suis pas prêt d’oublier. Pour le reste de mes jours.
Et finalement, avec tes conneries de traverser la France pour venir m’aider, tu me fous dans une merde royale Guillain. Tu sais pourquoi ? Parce que je me demande si je serai un jour en mesure de te rendre la pareille. Et que mon petit égocentrisme minable me susurre « certainement pas », et que c’est pour ça que j’ai assez lâchement tenté de te rembourser ma dette en t’offrant ces deux jeux DS. Mais ce que je te dois est bien au delà de toute considération matérielle. Tu m’a bourré de confiance et d’espoir au moment où j’en avais bien besoin. Tu es grand mec. Tu es immense. Et à l’heure où tu auras froid à l’âme, garde à l’esprit que tu as désormais quelque part une paire d’oreilles prête à t’écouter, et quelqu’un qui sera là pour te réchauffer. Parce qu’à l’issu de ton séjour, au bout de tes ampoules et de ta fatigue, tu as gagné quelque chose : le respect d’un ami.
Benjamin.