Lassé par les héros édulcorés au design volontairement assagi pour mieux amadouer la masse infantile, j’ai décidé, une fois n’étant pas coutume, de me tourner pour les besoins de cet article vers un vrai héros réaliste. Un pur, un dur. Et même s’il n’est pas tatoué, je suis fermement résolu à maintenir mon claque-merde acerbe dans un état de léthargie volontaire pour éviter de provoquer la colère de l’individu. Au jugé des photos qui pullulent dans la presse spécialisée, le gaillard doit bien peser dans les 80-90 kilos de muscles en acier trempé, et titiller sa susceptibilité me semble finalement bien trop risqué en regard de la paye de merde que Nes Pas consent à me verser. Je mettrai donc mes propos en sourdine pour le temps de l’interview, tout en vous faisant profiter de mes considérations sur le bonhomme de façon écrite. C’est pas très glorieux, mais en même temps je suis journaliste de jeu vidéo moi, pas reporter de guerre. Un peu de lâcheté affichée ne ruinera pas ma fierté… surtout si elle sauve mes molaires.
Autant il avait été difficile de dénicher Sonic ou bien Link, autant pour ne pas trouver Ryu il faut avoir de la merde dans les yeux. Et un sacré paquet même, façon éléphant de savane en difficulté intestinale grand genre. Le personnage est archi médiatisé, et chacune de ses apparitions publiques provoque des vagues de syncopes dans la gent féminine, comme chez les otakus de tout poil.
Il faut dire que le bestiau est quand même impressionnant. Un physique parfait, une gueule de playboy, le look un rien rebelle avec le bandeau qui va bien, un kimono déchiré façon « la vie est une souffrance pour mon cœur, mais tel est mon chemin, et je l’accepte », un regard beau et implacable comme un ouragan d’été 2004, oui, Ryu est réellement un beau gosse.
C’est donc après de rapides négociations avec son agent que j’ai réussi à obtenir un petit créneau pour recueillir les états d’âme de celui qui symbolise à lui seul l’avènement d’un genre déraisonnablement adulé. Car si de nombreux jeux ont aujourd’hui pris place sur le devant de la scène du versus fighting, Street Fighter 2 restera dans toutes les mémoires pour avoir été un précurseur d’une qualité exceptionnelle. Huit personnages entrés dans la légende, ayant tous retravaillé dans de nombreuses productions du même genre avec un succès équivalent, un gameplay en béton armé, un background fort travaillé pour l’époque, autant d’atouts qui en font un titre intemporel.
Et aujourd’hui je rencontre le personnage le plus adulé de la saga. Ah bubus mon garçon ressaisis-toi, tu trembles comme une pucelle qui vient de sentir le goumi frémir à l’orée du persil. Ce n’est pas très professionnel, ça !
Pour Ryu pas question de faire l’interview dans ses appartements privés. C’est donc au fin fond du couloir confiné d’un Sofitel que je le rencontre, m’attendant une coupe de champagne à la main, installé confortablement dans la salle de réunion.
-Monsieur San ?
-Lui même. Enchanté de faire votre connaissance…
-Tutut ! Je vous coupe pour vous mettre à l’aise tout de suite. Moi c’est Ryu et on se dit « tu » ok ?
-Ah, ok alors. Et bien euh, par où voulais-je commencer déjà…
-Relax mec ! T’es tout tendu là ! Commence par t’asseoir et ça ira mieux non ?
-Oui, oui vous… tu as raison.
Bigre. L’animal m’a troublé en deux phrases. Ça ne se passe pas du tout comme prévu. Si je veux en tirer le maximum il faut absolument que je reprenne le contrôle des débats.
-Et bien Ryu, si tu commençais par nous raconter un peu comment tu en es arrivé au jeu. Raconte-nous ton enfance.
-Wow, tu causes comme les psys toi hein ? J’aime pas trop ça les psys moi. Une fois y’en a un qui m’a gonflé, et je suis sorti de mes gonds. J’y ai pété sa tête comme une biscotte. Heureusement que j’ai de bons avocats.
Bon ça part en couilles à toute enjambées là…Je prends la flotte de toute part bordel ! Mais qu’est ce que c’est que ce taré ?
-Et oh ! Je dis pas ça pour toi hein. C’est pour détendre l’atmosphère. Chez les psys je voulais pas y aller, mais les managers m’ont dit que c’était bien, pour améliorer mon self contrôle, rapport à mon image publique, tout ça.
-Il est vrai que vous êtes très populaire.
-Ouais, et ça c’est vraiment bon. J’aime ça, qu’on m’aime ! Je t’ai déjà dit de me tutoyer non ?
-Ah, oui oui ! Enfin je te comprends parfaitement. Et donc pour ces débuts dans le jeu ?
-Ah ça ! C’était le grand trip. J’ai toujours voulu travailler dans un truc médiatisé tu vois ? Et comme mon sport préféré c’était le karaté, ben j’ai bossé comme un fou pour y arriver encore mieux que les autres et ainsi me faire remarquer.
-Et Capcom vous… euh pardon, t’a repéré comment ?
-Sur un show en plein air.
-C’est à dire ?
-Ben pour arrondir les fins de mois j’avais monté un petit spectacle qui donnait bien ! Un truc que les gens aiment mater pour se détendre. Je m’installais en marge des marchés de village, et je faisais des démos freestyle de karaté. Quelques katas spectaculaires, je pétais un ou deux trucs et poussant des kïaïs, tout en étant torse poil et avec une bonne musique bien rythmée derrière.
-Ah, tu faisais un show à la Kim Silver ?
-Oh putain faut pas me comparer a ce mec là !! Attends, mais lui c’est une pauvre fiotte ! J’ai pas besoin d’agiter deux bouts de bois pour démolir des trucs moi, je pète à main nues, comme les grands maîtres l’enseignent.
-Excuses moi, je ne voulais pas te vexer.
-Ouais, ben t’as failli là.
Putain je suis tombé sur la crème de la crème là. Parti comme c’est parti, et bouillant comme il l’est, rien ne garantis plus mon intégrité physique dans le très proche avenir. Capcom a placé un débile profond sous les feux des médias. Merde, c’est dingue….
-Et donc ils t’ont repéré pendant un show ?
-Oui. Faut dire que ce jour là j’avais foutu le paquet. Pour une fois je m’étais installé juste dans un salon de jeux vidéo. J’avais eu la place par un copain à mon beau-frère qui gérait les stands à cette occasion. Du coup j’ai profité de l’occase. J’ai mis de la bonne musique qui claque genre 2 unlimited, je me suis déchiré un peu le kimono pour faire mauvais garçon, et j’ai donné tout ce que j’avais dans le slip. Et autant te dire que j’en ai un max !! Ah ah ah ah ah !
-Hé hé hé hem… et le public t’a tellement applaudi que Capcom t’a remarqué ?
-Ben en fait non. Ces cons ne s’intéressaient qu’aux jeux putain. Alors j’ai mis la sono au taquet ! Un putain de son d’enfer ! A ce moment là le mec du stand Capcom qui était juste à côté du mien est venu pour me demander de faire moins de bruit parce qu’on entendait plus le son de leurs jeux. Ah ça c’est sûr qu’il l’a plus entendu d’un moment le son, lui. Il a pas fait l’aller retour pour rien le mec ! Et il a pas eu besoin de rendre la monnaie, il a tout gardé !
De mieux en mieux. Il a démonté un employé de salon de chez Capcom… Bon, finir vite et partir loin. Accroche toi à ça, et rien qu’à ça.
-Mais comment t’ont-ils gardé après ça ?
-Ben quand les flics sont arrivés, un des gros pontes de la boîte est allé voir le mec du stand alors qu’il se faisait recoudre, et celui-ci a fait la grimace mais il est venu retirer sa plainte. Après ça le gros ponte est venu me parler.
-Il voulait t’embaucher je suppose…
-Ben tiens ! Et comment ! Attend, c’est que je l’avais mis propre son larbin là. Ah il doit prendre ses repas avec une paille depuis. Il a dit qu’il était très impressionné par ma technique et ma force, et il m’a demandé si ça me plairait de faire dans le jeu vidéo.
-Et comment se sont déroulé les choses ?
-En fait au début je savais pas trop ce que c’était quoi. Je suis allé tourner des bouts d’essai, mais je me faisais chier grave. J’avais pas le droit de porter les coups t’imagines ??
-Ah effectivement c’est pas cool…
-Non hein ?! Incroyable ça. M’enfin j’ai fait celui qui a pas compris, et le premier gus que j’ai eu en face il ne fera plus de jeu vidéo. Ah ah ah !! Bon après ils ont gueulé, alors j’ai fait comme on m’a dit. Ils payaient bien les bougres.
-Du coup ils t’ont fait faire Street Fighter ?
-Ouais, avec des figurants de merde. Des pauvres tanches incapables de se battre. Putain si on m’avait laissé faire… Le seul qui avait vraiment des couilles c’était le grand méchant.
-Sagat ?
-Sa… ? Ah ouais, Yanis ! Quel déconneur celui-là. Il a appris la boxe Thaï dans une MJC de quartier tu le crois ça ?
-Ah… euh pourquoi, c’est incroyable ?
-Ben attends, il est vachement doué pour un bronzé qui sort des HLM !
Et ben manquait plus qu’il soit raciste sur les bords. Voilà on a le tableau complet là. Quine, carton plein et filet garni.
-Et bien c’est sûr.
-Ben ouais c’est sûr. Bon heureusement c’est moi qui gagne. C’est du faux, mais je suis sûr que je peux y savater sa race si on se bat vraiment. Tu crois pas ?
-Ah si, c’est certain !
-Ouais. C’est ce que tout le monde me dit. Enfin comme le jeu a pas trop mal marché en salle d’arcade, ils ont décidé de faire une suite. Et là putain, gros casting et grand standing. Comment qu’on s’est éclaté pour faire le 2 !
-A ce point là ?
-Et t’es encore loin du compte ! Que des vrais athlètes, de grands pros de la baston. Un vrai régal. Je pense être le meilleur, mais là c’est plus chaud. Déjà Henri il est bien balèze.
-Henri ?
-Ken si tu préfères. On a un peu le même style, sauf qu’il est blond et que ça plaît plus aux filles. En parlant de ça t’aurais dû voir les soirées pendant le tournage…
-Pourquoi ça, c’était animé ?
-Ah ça !! Des putes habillées avec juste des paillettes et un string. Tous les soirs. Voilà comme on leur a mis un tarif ! Triple HaDoKen dans l’abricot avec un gros So « domie »RyuKen pour les achever. C’était notre expression favorite à Henri, moi et les autres !! Y’a que le yogi Koudou qui était plus réservé.
-Dahlsim c’est le yogi Koudou ?? Le mec qui se fout dans une petite boîte à la télé, là ?
-Tu l’avais pas reconnu ? Ouais, les maquilleuses bossent bien. Surtout deux. Elles manient le pinceau comme personne… AH AH AH AH ! T’as compris ?? AH AH AH !
-Oui, ah ah ah…
Je vais me réveiller. C’est pas possible autrement. Un gros beauf plein de muscles, débile, raciste et misogyne. On frôle la classe mondiale là….
-Ah les petites salopes ! Un vrai régal. Mais bon bref, ouais elles ont bien maquillé le yogi. Méconnaissable qu’il était. Et le boulot sur Hulk était sympa aussi.
-Tu veux parler de Blanka, c’est ça ?
-Ouais. Nous on l’appelait Hulk, rapport à la couleur tu vois ? On a pas trop causé avec lui. Un lutteur de gréco romaine reconverti à l’ultimate fighting je crois… une brute épaisse en fait.
-Ah oui ? Plus que… enfin plus que vous tous ?
-Ah carrément ouais. Le gus c’est à peine s’il articulait 5 ou 6 mots par jour. Mais physiquement il était impressionnant quand même.
-Plus que Zangief ?
-Nettement plus. Claudius, le gars qui campait Zangief, c’est juste un bodybuilder sur le retour qui a pas gagné grand chose. Ca fait super joli comme ça, mais en fait ça vaut pas lourd tu sais.
-Oh ben je te crois hein. Et pour Chun-Li ?
-Tu comptes tous les faire, là, les persos ?
-Oh non, non ! Tu me dis quand t’en as marre !
-Ouais ben ca va pas tarder là. Ca fait déjà trop longtemps qu’on parle, et j’ai besoin de m’aérer un peu la tête quand on parle trop longtemps, tu vois ?
Tu parles si je vois…
-Chun-Li c’était une vraie dame putain. Quelle classe. Quelle souplesse.
-C’est son vrai nom ?
-Ah oui, à elle oui. Et tout est vrai hein. Ils ont juste accéléré un peu ses coups de pied, mais sinon les ¾ des trucs qu’elle fait, elle les fait toute seule. Et putain elle a un de ces culs…
-Ah elle aussi tu...
-OH PUTAIN ! Pas de ça hein !! Tu la respectes elle, ok ??!
-Ok, ok, ok, ok !!! Calme-toi, je voulais pas être malpoli.
-Faut pas mettre Chun-Li et les autres putes dans le même sac hein ! Chun-Li c’est ma protégée. Pour l’instant je l’ai pas touchée, parce qu’elle a pas encore voulu. Mais je vais insister, elle me connaît mal !
Un grand benêt amoureux. Le grand Ryu n’est rien d’autre qu’un taré congénital limite facho mais amoureux fou. Et d’ici à ce que Capcom ait recruté Chun-Li uniquement pour le rendre contrôlable…
-Tu la vois souvent ?
-Ben elle m’appelle fréquemment ouais. Elle prend de mes nouvelles, elle m’engueule quand je fais des écarts de comportement, elle me rappelle mes rendez-vous à la clinique. Elle s’occupe de moi un peu comme une mère quoi…
Gagné. Ils sont forts chez Capcom. Bon il est plus que temps d’abréger mes souffrances…
-Et bien je vais devoir y aller.
-Déjà ?
-Oui, j’ai plein d’autres interviews qui m’attendent.
-Qui ?
-Ah ben euh… Kirby !
-Qui ça ?
-Un héros de jeu de plateforme.
-Ah, une fiotte.
-Voilà. Il me reste à te remercier.
-Ouais, pareil. Et ne change pas mes mots hein, parce que si tu te fous de ma gueule, je te retrouverai sans problème hein !
-Non non, aucun souci pour ça, ne t’inquiète pas. A bientôt.
-Ouais.
Dire que mes pas furent calmes et assurés sur le chemin de la sortie serait un pur mensonge. La démarche tremblante, saccadée, mais alerte, j’ai dû me contrôler pour ne pas courir. Une vieille méthode qu’on m’avait apprise pour ne pas exacerber l’agressivité d’un chien errant. Enfin bref. Grandement soulagé de ne pas avoir pris une mandale, je pouvais finalement m’estimer satisfait de cet entretien. Il avait permis de lever le voile sur une personnalité que personne ne pouvait imaginer ainsi. En tout cas pas moi.
Et pour éviter tout risque futur, je décidais sur le champ de contacter Kirby afin de ne pas trahir les propos fait à Ryu. Oui je sais, lâche ET prudent. On ne se refait pas.