Dans ce monde pourri et technocratique, il est bon parfois d'effectuer un retour aux sources, aux vraies valeurs. De retrouver le verbe vrai, la parole juste, et les héros d'antan. De balayer la poudre aux yeux et s'éblouir de poussières d'étoiles.
Indiana Jones, c'est l'une des plus belles trilogies du cinéma. Je considère que le 4 n'est que le début d'une nouvelle partie et que les trois premiers films forment un tout, dont "Indiana Jones et la dernière Croisade" constituait la flamboyante conclusion. Aujourd'hui, les effets spéciaux ont vieilli, le charme est un brin désuet, mais le souffle chaud de l'aventure et le charme du héros sont toujours intacts. Sean Connery et Harrison Ford sont, de toute façon, éternels. Et auront toujours mille fois plus de classe qu'un guignol en collants ou un bellâtre en armure de polycarbonates métalloïdes.
Et puisqu'on parle d'aventure trépidante, de rythme endiablé, de jubilation rocambolesque, il va de soi que la meilleure chose à faire avec Indiana Jones était un point n' click.
*tousse, tousse*
Oui, bon, d'accord, ça paraît un peu étrange. On sent, et on a raison de le sentir, que pour maintenir le rythme des films, le type de jeu n'est pas le plus approprié. Et pourtant, on est là face à un gros morceau du vidéoludisme de la fin des années 80.
Et ça refoule sec du rétro, même. Les pixels sont gros, les couleurs flashy, les rares musiques sont ce qu'il y a de plus pauvre en matière de synthétisation sonore, quant aux animations, j'en parle même pas, même ma grand-mère est plus vivace. Et ma grand-mère est MORTE. Ne faisons aucun détour et disons donc franchement que niveau technique c'est pas très très impressionnant. Pour autant certains décors sont très jolis et puis pour un jeu de l'époque, finalement, ça passe. Ce qui nous intéresse, c'est le coeur de la meule, pas la croûte.
Et là, c'est la magie. Parce que ce n'est pas n'importe quel équipe qui se charge du jeu, c'est LucasArts. Avec son système "Scumm" de point n' click, qui ravira petits et grands sur des jeux de légende, comme Monkey Island et Day of the Tentacle, entre (nombreux) autres. Autrement dit, tout sauf des agneaux innocents et ingénus, non, on a là la crême de la crême, le gotha de la souris.
Je rappelle le système, simple comme un concerto de Mozart : votre écran est divisé en deux, la scène en haut, les verbes d'action et votre inventaire en bas. Vous cliquez dans la scène pour désigner là où vous souhaitez vous rendre, ainsi que les objets sur lesquels vous voulez interagir. "Ouvrir + porte" : vous ouvrez la porte. "Utiliser + clé à molette + engrenage" : vous utilisez la clé à molette sur l'engrenage. "Enfant + saucisson"etc. etc. je ne vais pas vous faire un dessin. On raconte que même les gens qui votent à l'Eurovision sont capables de comprendre le gameplay.
Alors ce n'est certes pas trépidant, mais ça fait très bien son boulot, et c'est parfait pour toute une série de tableaux à explorer, d'objets à chercher, d'énigmes à résoudre. Evidemment, des fois, ça sera un peu tordu, mais dans ces cas là, la technique du "j'essaie tout mon inventaire sur chaque zone sensible" vous aidera pas mal. Et les sauvegardes sont vos amies pour explorer les dialogues un peu piégeux. Et ça en vaut la peine : un dialogue bien mené, c'est un combat - voire le game over - évité. D'ailleurs c'est 15 Marks le blouson en cuir, je dis ça, je dis rien.
Oui, ça, ça surprendra le non-néophyte : on peut mourir, c'est un des rares jeux de cette boîte où c'est possible. Soit vous faites le mauvais choix - par exemple, donner un coup de poing à Hitler, ça soulage, mais c'est vite sanctionné par un lestage au plomb - soit vous vous engagez dans un combat au corps à corps qui tourne mal. Et il vaut mieux, d'une manière générale, éviter ces duels, parce que le gameplay dans ces phases et un brin aléatoire et pataud. On sent que, si la machinerie suivait sans peine vos clics éperdus, elle souffle court dans les côtes dès qu'il faut gérer un semblant de jeu de baston en mode diaporama. Ca reste quand même mieux que Street Fighter 1, mais bon.
La prudence sera donc de mise : un faux pas peut irrémédiablement vous condamner à une mort totale et définitive. Et qui plus est, vous aurez besoin de vraiment racler les coins si vous espérez vous en sortir par la voie normale. Chose encore plus géniale, vous ne pourrez pas finir le jeu sans avoir avec un vous un exemplaire du "Journal du Graal", qui était fourni avec le jeu. On en trouve des versions pdf donc pas de panique si vous avez, hum, égaré celui avec vos disquettes. Mais il est bel et bien indispensable, puisqu'il vous permet, en fonction des indices récupérés dans votre partie, de déterminer quel Graal (l'objet qu'on cherche, je ne vous ai pas fait l'insulte d'un "point scénario" ) est le bon, sachant qu'à chaque partie celui-ci peut changer. Habile. Comme quoi savoir lire ça peut servir, hein, Kévin, hein ? Hein ?? HEIN ????? AH C'EST PAS SUR FIFA 54 QU'ON FERAIT APPEL A TON CERVEAU CONNARD DE JEUNE !!!
Et globalement, on en bave. Sans soluce ou sans copain compatissant, c'est franchement dur. Tantôt les énigmes sont évidentes, tantôt ça implique tellement de sous-procédures que ça en est impossible. Je me rappele avoir harcelé, à l'époque, un copain de classe, au téléphone, un mercredi, à tel point qu'il a fini par m'envoyer chier. Mais à ma décharge j'avais le jeu en anglais, et je n'avais que 12 ans, je vous emmerde. Ca ne m'a pas empêché d'y passer mes après-midi et mes nuits, griffonnant dans un cahier des plans, des séquences de dialogues (comment franchir tous les postes frontières par la seule force du verbe ? J'AI trouvé la réponse), et en essayant de refaire 1000 fois le jeu pour en extraire tout le jus.
L'ensemble est long, harassant, passionnant, avec quelques touches d'humour glacé et sophistiqué qui sont tout à fait bienvenues pour détendre l'atmosphère. Parce que oui, vous allez être tendus. Le château de Brünwald fait partie de ces cauchemards interminables qui auront forgé à la dure toute une génération de joueurs besogneux, une de ces expériences qui accélèrent votre croissance pileuse et glandulaire, et qui cimentent une communauté autour de souffrances et de joies communes. Un peu comme ma grand-mère, là aussi. Indiana Jones and the Last Crusade est de cette race-là : la race des vieux seigneurs de guerre dont on remercie, des années après, les fessées pédagogiques. C'est pixellisé à la truelle, c'est long, c'est subtil, c'est passionnant, c'est généreux et bienveillant : tout ce qu'on aime. Si vous n'y avez jamais joué, il y a officiellement dans votre culture vidéoludique un trou de la taille de la Corrèze. Considérez que vous le procurer, ce n'est pas de l'archéologie, c'est une course contre le mal. Alors foncez.