Au risque de passer - encore une fois - pour un hurluberlu (et ainsi de perpétuer la légende comme quoi on chroniqueur oldies ne saurait être totalement sain d'esprit, nous avons des standards), j'aimerais partager avec vous ma passion secrète et coupable pour les point 'n click. Mais oui, souvenez-vous, ces jeux à l'action aussi trépidante qu'un week-end en famille à Maubeuge (clic "pousser" + clic "statue", youpi je pousse la statue, le monde est fou), et dont les qualités graphiques et sonores n'ont rien à envier à un Shaq-Fu des grands soirs. Si par malheur vous y avez joué, comme moi, à 11 ans et que vous avez appris l'anglais à 13, vous comprenez à quel point on peut entrer dans le domaine de la légende. Un jeu d'aventure où quasi tout passe par le texte, quand on ne comprend pas le texte, je pouffe. Ce qui ne manque pas de faire sourciller ma voisine dans ce TGV Paris-Nantes d'où je vous abreuve de ma prose. N'y pensez-même pas, coquinous, elle a l'air maquée jusqu'à l'os. Ah comment ça vous lisez par-dessus mon épaule mademoiselle ? Ah ha ha eh bien dites donc bonjour à nos chers lecteurs.
Bref, un texte incompréhensible, disais-je. Ne riez pas, on l'a tous fait, avant l'ère décadente de la traduction en 150 langues. Et curieusement on s'en fichait, enfin surtout moi, qui ai passé mon enfance à lire des BDs en italien et en allemand chez mes grand-parents sans entraver quoi que ce soit, du moment qu'il y avait des images et des bagarres. Un enfant est une chose merveilleuse dès qu'il s'agit de combler du vide. *malaise*
J'étais jeune et chevelu, presque beau. Alors élève studieux, mes parents pardonnaient sans peine mes excès vidéoludiques - haha, casier scolaire vierge, je vous nique - et regardaient avec une bienveillance polie mes échanges sous le manteau de disquettes 3"1/4 contenant des trésors pirates et interdits. Et c'est ainsi qu'entre 3 Masterminds, 2 jeux de go, et un Word 4 en allemand (j'avais un Macintosh et j'ai beaucoup souffert), je me retrouvais céans avec "un gros jeu qui prend plusieurs disquettes", synonyme alors de qualité.
Je m'en souviens comme si c'était hier - un souvenir flou avec un mal de crâne. Bon, je m'en rappelle très peu. Je me souviens surtout d'une belle musique et de plein de couleurs - au moins 16, truc de fou. Une cinématique, wouah, le pied. Quand on vient de Shufflepuck Café, ou pour toute animation sur l'écran-titre nous avons le nom des auteurs qui permute, c'était un sacré vent frais.
Loom n'avait rien du jeu d'arcade ou du passe-temps de bureau. Ooh non.
L'histoire - il y en a une, si si, le concept alors révolutionnaire du scénario était en marche - nous met aux prises avec un jeune... euh... machin. Tisserand. Tisseur. Un "Weaver". Bon, un jeune mec en robes et au visage dissimulé sous une épaisse cagoule. Imaginez Gandalf se préparant à affronter les pistes noires de Courchevel, ça vous donnera une idée, faites un effort. Bobbin, donc, est notre héros, jeune, vaillant, et abandonné par sa guilde dont tous les membres se barrent en hurlant "c'est le fils du Malin, le chaos est sur nous !! " , se métamorphosant en cygnes pour passer par une faille spatio-temporelle. Ca vous pose l'ambiance. L'idée est donc : vous êtes tout seul comme un con et vous devrez retrouver les vôtres, au passage en sauvant le monde si vous avez le temps, ce serait chou. Evidemment.
Et nous ? Nous, nous allons, comme dans tout bon point 'n click qui se respecte, diriger au pointeur notre personnage, et lui faire faire de menues actions par l'intermédiaire de verbes dans une liste que l'on accolera judicieusement à des objets du décor. Classique, terrain connu, easy.
Sauf que pas du tout. J'ai d'abord cru à un bug graphique mais non : pas la moindre chiée de verbes d'action en bas de mon écran, ni en anglais, ni en français, ni en estonien, rien. Juste une branche, un baton, et une portée musicale. Greuh ? Si je clique sur certaines parties de la branche, un son, une lettre, étrange. Tant pis, dans le doute, j'avance, je touche un peu partout. Pas d'objet à prendre... merde c'était des disquettes frelatées ou quoi ? Un fichier de ressources est passé dans un gouffre spatiotemporel ? Que nenni. Un des objets sur lequel je clique fait entendre une petite mélodie, mon bâton s'illumine en un endroit précis à chaque note.
Alors de deux choses l'unes. Soit vous êtes crétin et inculte - les deux vont souvent de paire, notez. Soit vous jouez à Loom et donc vous avez un peu de goût. Donc vous avez vu Rencontre du Troisième Type. Peut-être même que vous avez joué au Simon quand vous étiez plus jeune, habillé d'un survêtement en tactel s'accordant avec votre mulet - que ne ferait-on pas pour avoir la cote en CE2. Ah, Axele Bureau... je m'égare. Toujours est-il que ça ne peut que faire "schboum là-dedans" et que, comme moi, vous auriez reproduit la mélodie à votre tour sur le bâton.
Rien ne se serait passé, mais baste, quelques clics plus loin, ladite mélodie jouée sur une palourde ouvre cette dernière : fiat lux ! Si nous n'avons pas de verbes d'action c'est tout simplement que les actions seront commandées par la musique ! Un concept frais comme tout. Le gameplay va donc consister à explorer, trouver des mélodies, et les appliquer aux bons objets. Ocarina of Time avec 8 ans d'avance.
Dès lors, le plongeon peut commencer. Et quand je parle de plongeon je vous sors la version en bathyscaphe. Loom est un puits dans lequel vous sombrerez toutes âmes d'enfants dehors. La réalisation est d'époque, c'est du gros pixel et du MIDI à la truelle, certes. Mais quel pied ! Rares en effet sont les aventures qui offrent une ambiance pareille. Un mélange d'onirisme et de merveilleux, on dirait que Paul Grimault et Miyazaki se seraient attelés à réaliser un récit co-écrit par Perrault et Tolkien. Le tout mis en musique par Tchaikovsky. Oui, à ce point.
Chaque scène est un émerveillement. Mais ces émerveillements lents, subtils, feutrés, le même émerveillement que vous aviez devant ce spectacle de marionettes quand vous étiez petit, pas l'émerveillement made in Hollywood. Un climat unique de chaque instant. Des personnages tristements mystérieux, un monde qui touche à sa fin, un dragon vengeur, un grand connard de grand prêtre du mal qui va évidemment vouloir dominer le monde et évidemment ça va encore plus mal tourner, j'en passe et des meilleures.
On se laisse bercer au tempo tranquille des grandes balades dans l'immensité vide du monde qui s'éteint. Bobbin arpente les contrées, à la recherche de réponses ; il soulage malgré lui les plaies de l'humanité, il s'avance vers le terrible secret qui menace l'univers... sa destinée, sa quête originelle rejoindra celle du salut commun, bien évidemment, et vous frémirez pour lui, pour les siens, et pour tous ces paysages laissés derrière vous. En douceur.
Et la difficulté ? Modérée. On ne meurt pas dans Loom. Au plus, on reste bloqué dix minutes, mais avec un bon carnet de prises de notes (gag), rien d'insurmontable, les énigmes sont vraiment simples et en essayant partout au pire on finit toujours par déclencher l'évènement attendu. Ce n'est pas un jeu à adrénaline, c'est un voyage. Il n'est pas là pour vous mettre en danger, pas là pour vous pousser à l'exploit, pas là pour vous mettre aux prises avec un choix Cornélien.
Loom est un rêve éveillé, un conte à ciel ouvert. Un jeu d'atmosphère. Une boule dans la gorge, vous laisserez ses dernières pages se refermer, et vous serez marqués à jamais de ce regret, de cette mélancolie : à partir de ce jour, tous les autres jeux auquel vous jouerez vous sembleront manquer d'un petit quelque chose d'indéfinissable. Mais si on cherche un mot qui s'en approche au plus près, alors je vous propose celui de poésie. Après tout, pour un jeu avec des cygnes, ça n'est pas si déconnant, puisque Victor Hugo nous l'a dit lui-même : la poésie tient de l'oiseau.
Pas con, le mec.