J’aime l’Amstrad. D’une part, c’est une formidable machine qui a marqué son époque par sa nouveauté : l’Amstrad faisait partie des les premiers ordinateurs puissants et abordables pour particuliers avec 128 Ko de mémoire vive, son lecteur de disquettes intégré, un moniteur, tout ça pour moins de 4000 francs ! (nous sommes en 1985). D’autre part, parce que cet ordinateur a permis le développement de jeux à foison, jeux souvent bourrés d’idées puisque la limitation technique poussait les créateurs à se surpasser sur le reste. On a donc eu des prouesses génialissimes comme l’Ile, mais on a eu aussi « Votez pour moi ».
Votez pour moi est une pure bizarrerie de cette époque où les créateurs d’un jeu pouvaient être de parfaits inconnus le codant dans un garage (ce qui parait ahurissant aujourd’hui) qui avaient envie de se taper un trip sur un sujet quelconque. Et le trip ici c’est de jouer au président, de faire de la politique et de se taper des secrétaires à brushing choucroute, tailleur jupe et sourire entendu de celle qui n’attend que cela pour accéder à la gloire (je rappelle encore une fois que nous sommes en 1985). Bref, un jeu de simulation politique où vous aurez le pouvoir et dont le but est la réélection à la fin du mandat.
L’intro vous met tout de suite le pouvoir dans les mains : l’Elysée en trois couleurs qui s’affiche par élément et ligne et la Marseillaise en midi. Et c’est peut-être parce que cette intro a l’aspect et la dynamique de 3615 Ulla ou Nintendo sur minitel que le charme prend. En tout cas pour moi mais si vous avez atterris ici, amis oldies, vous y serez sans doute sensibles.
La suite justement, continue dans ce sens. Le jeu commence et, rien d’étonnant, vous devez choisir votre parti. Point de PS/RPR ici, vous aurez le choix entre social et démocrate, appelé avec un humour rappelant les Inconnus : socissos et democratos. Le niveau 2 montre aussi les extrêmes dans les sondages mais vous ne pouvez pas les choisir comme votre parti ce qui est à mon avis une lacune du jeu (même si, comme on va le voir, il est tout de même assez limité) : qui n’a jamais rêvé d’incarner le borgne ?
C’est parti. Vous êtes président, vous recevez donc des télex (encore un petit détail désuet à souhait, avec son petit bruitage d’époque) top secret du monde entier. A partir de ces informations, vous devrez établir vos projets politiques en fonction de différents paramètres proposés, plus ou moins variés suivant le niveau du jeu (au niveau 1 par exemple, on n’a pas accès aux sondages). Ces paramètres évoluent bien sûr au fil des années suivant les réformes et modifications de budget que vous apporterez.
Vous avez en main 200 MF et c’est à vous d’en faire ce que vous voudrez putes, coke, filles faciles… ou pas puisque vous ne pouvez pas jouer sur grand-chose finalement et de façon assez grossière.
Puis une année passe, vous recevez un nouveau télex avec de nouvelles informations qui doivent vous inspirer pour une nouvelle répartition du budget. Vous avez également accès aux résultats économiques pour prendre cette difficile décision.
Si vous jouez en niveau 2, vous avez également accès aux sondages et et vous pouvez donc voir votre côte de popularité pour agir en fonction du Peuple. Ah, en 1986, la grève étudiante contre le projet Devaquet (200 000 personnes selon la police, un million selon les organisateurs à Paris, déjà à l’époque, on savait compter), par crainte du développement de la sélection, de l’augmentation des frais d’inscription, de la fin des diplômes nationaux, d’une université à deux vitesses (comme en 2007 ? I divided by zero OH SHI-)!
Vous pourrez également prendre de nouvelles mesures gouvernementales qui ajoutent un peu plus de subtilité même si elles ne vont pas bien loin. Amusez vous à les tester, pour info, sélectionner radicalement arrêt de l’immigration (mais pourquoi ce choix si on ne peut pas être FN ?) entraine un rappel à l’ordre sympa au prochain télex… Vous voilà prévenus.
Le jeu est ensuite assez linaire au fil du passage des années, 7 ans pour un mandat (vive les années 80-90 !) avant les élections. Mais avant d’en arriver là, il reste un paramètre qui pourra tout faire changer à la fin du septennat. Le paramètre le plus mythique, le plus kitsch (encore plus que les vieilles de la DDE Stéphanoise) le plus drôle à jouer aussi : le débat télévisé EN DIRECT. C’est en quelque sorte l’apothéose de l’intérêt de ce jeu.
Dans ce débat, vous affronterez le chef du parti adverse dans une discussion sur les principaux points pouvant être litigieux à savoir : l’inflation, le chômage et l’industrie. Vous avez chacun votre temps de parole, vous décidez des points à aborder, vous pouvez adopter différents tons pour convaincre le public (serein, charmeur, violent). Lorsque votre adversaire parle, vous pouvez réagir en l’interrompant, en demandant des renseignements ou en riant (je vous le déconseille, le public n’apprécie pas). Et ce qui est mythique, c’est que tout est fait pour que l’on s’y croie : les caméras dessinées, un coup de marseillaise au début, la préoccupation du public, la réactivité de l’adversaire et surtout surtout, le ton des personnages. Car lorsque vous choisissez le ton du discours, le bruitage change, ridicule à souhait mais jouissif au-delà du réel. Et tellement suranné…
Et voilà, la boucle est bouclée, je vous ai fait faire le tour de toutes les manettes dont vous disposez pour être réélu à la fin du mandat. Le jeu n’est donc pas très subtil, mais quand même suffisamment fourni pour arriver au bout d’une partie, c'est-à-dire jusqu’aux élections. Pour la suite, je vous laisse découvrir l’issue de la réussite !
Finalement, vous conseillerais-je Votez pour moi ? Oui, mille fois oui ! Ce n’est pas un grand jeu, il n’a pas une grande profondeur, il va à l’encontre des cours d’économie et il ne restera pas dans l’Histoire mais il a ce charme tellement Amstrad qu’il serait dommage de ne pas l’essayer. Le niveau 1 n’a aucun intérêt car on ne peut pas faire grand-chose, il convient donc de commencer au niveau 2 où on peut toucher à tout, quitte à bouger certains paramètres à fond pour voir le résultat en télex. Ce jeu est un OVNI typiquement franco-français et c’est ça qui est drôle. En jouant, on revoit 7 sur 7 et Anne Sinclair, on revoit le Bêbête Show, on revoit toute cette époque et on a envie d’y retourner. Car ce jeu n’est finalement que : "Du sérieux, du solide, du vrai" Raymond Barre, 1988.