Il faudrait être mad pour ne pas l'aimer.
Solar Striker
Nintendo - 1989
Nom de ... par Petemul

Extras : Musique - Manuel TXT - Manuel PDF
Certains jeux, rescapés des premières heures, offrent au chroniqueur du oldisme extrême ce petit je-ne-sais-quoi, ce frisson trop rare, qui accompagne la découverte des perles cachées et injustement méprisées du public, allant même jusqu'à réveiller les souvenirs dorés d'une enfance ou adolescence achevée trop tôt. Certains jeux. D'autres, à l'inverse, vous font vous demander si les connecteurs de votre Game Boy sont en bon état, ou si la cartouche que vous avez entre les mains n'a pas été sournoisement amputée d'une ou deux puces. Nous allons voir de quel côté penche la balance avec le jeu qui nous intéresse aujourd'hui : Solar Striker. Ni plus, ni moins. Diable.



J'espérais beaucoup de Solar Striker. Il était pour moi le symbole de cette époque héroïque, la découverte du Game Boy, de ces jeux laids, tâtonnants, hésitants, mais terriblement attachants. Les premiers titres de 1989-90 nous ont offert de vrais mythes. Et celui-ci, oh, oui, il faisait partie de ces cartouches qui me faisaient secrètement rêver quand j'étais jeune mais que décemment je ne pouvais pas acheter. Oui, quand on économise péniblement pendant six mois pour se payer un jeu et que vous avez des Super Mario et Zelda qui sortent, on a beau être jeune et con, on a un minimum de sens civique.



Je ne l'ai donc acheté que récemment, pour une somme dérisoire, en écrasant discrètement une larme devant le vendeur qui m'aurait pris pour quelqu'un de mad, ou de très con (les deux même !) s'il m'avait capté, mais j'ai ma diginité. Tremblant d'émotion, je me suis jeté sur ma console fétiche aussitôt rentré chez moi. Ah, cette saveur toute particulière, quand passé et présent ne font qu'un, se rejoignent alors que retentit le "ting" des toutes premières fois...



Un écran-titre sobre, clair, avec une police laide à en pleurer. Je suis sur la bonne voie. Je sais, de mémoire, que ce sera un shoot-them-up vertical. Je m'apprête donc à tester tous les boutons (y compris le bouton select) et à gigoter dans tous les sens : de longues années de pratique m'ont quand même inculqué les codes de base du genre. Que vais-je découvrir ? Un scénario, une animation, un choix des contrôles, un choix de vaisseau ? Que nenni. Niveau 1, direct, cash, net d'impôt, ah on ne s'embarassait pas de détails à l'époque ! Tu veux du sang et de l'action, on ne va pas gaspiller notre salive, accroche-toi à ton manche, ça démarre sec !



Et effectivement, c'est sec. Je dirais même aride. Vous vous rappelez ce strip de Gaston Lagaffe, quand il fait un méga soufflé à son pote Bertrand Labévue pour lui remonter le moral ? Le soufflé arrive, Bertrand esquisse le premier large sourire depuis 5 albums, et * pof * il retombe, et tout le monde se met à moitié à chialer.



Ah oui tout de même.

Le frisson jubilatoire qui étreignait mon petit coeur se dissipe peu à peu. Nom de Dieu de bordel de... mais qu'est-ce que c'est que cette sombre merde ? Mon sourire se fige à mesure que mes doigts s'agitent frénétiquement dans une recherche vaine et désespérée pour trouver des choses à faire. J'ai un vaisseau qui bouge. Qui tire. Avec un bouton. Lequel peut rester appuyé ou non, c'est kif-kif. L'autre bouton ne fait rien, ou plus exactement, agit strictement de la même manière que le premier. Start met le jeu en pause, Select n'a aucun effet. Gaspe.



Ah ha mais suis-je sot, me dis-je dans un sursaut d'espoir. Je suis probablement encore une pauvre merde qui tire des chamallows, je vais sans doute récolter des items qui vont upgrader mon tir et me donner des bonus sympa, des méga-bombes ou quoi. Ah ha. Ah. Ah... ah ben non. Y'a bien des upgrades, si si, c'est un fait, mais c'est tout. Et déjà il faut les identifier. Bon, facile, ce sont les seuls trucs qui n'explosent pas au premier coup venu. Mon laser devient un poil plus gros, pas de quoi danser la gigue le jour de la Saint-Guy. Mais de bombes ou super shot, nada.



J'ouvre de grands yeux, mon souffle se fait court. Je suis en face d'un monument, mes aieux. Dois-je en rire ou en pleurer ? Ce jeu est un concentré de défaite. Mon Dieu. Je me trouve face à ce qui est probablement un mythe de la bouse, un mètre étalon du jeu chiant. Un shoot-them-up avec rien dedans. Des ennemis à la pattern en carton, un vaisseau grotesque, le tir j'en parle même pas, et un fun absolument absent. J'avance dans l'espace avec mon pistolet à bouchon en faisant sauter des trucs qui ne ressemblent ni à des monstres, ni à des vaisseaux, non, je me bats contre probablement un délire de designer de tiles qui doit probablement être carreleur à ses heures perdues. Spécialisé en carreaux unis. Et en mosaïques abstraites des années 70.



Et Dieu que c'est laid. Si un jeu oldie tire son charme de l'austérité des graphismes et de l'insipidité de sa musique, je suis en présence du Sean Connery du Game Boy, du Cary Grant du retrogaming. Un véritable diamant en plastique fissuré dans un écrin de tergal. Un Trou Noir digne d'un dimanche après-midi à Laval.



Et pour couronner le tout j'y joue d'une main. Oui, vous avez là un jeu rare et unique, qui vous permet donc de faire piou-piou tout en, je ne sais pas, faisant la cuisine, ou en remplissant votre déclaration d'impôts. Si vous êtes vraiment un acharné vous pourrez même jouer en stéréo, un Game Boy et un jeu dans chaque main. J'ai fait l'essai (avec un émulateur pour le deuxième jeu faut pas déconner) et honnêtement c'est à la portée de n'importe qui.



J'éteins mon Game Boy. Mes yeux horrifiés se posent sur mon appartement, sur mon chez-moi, intérieur connu et rassurant. Je lance un regard perdu par la fenêtre. Nantes est grise et accompagne mes pensées de son propre souffle humide et froid. Et je songe. Combien d'abîmes de consternation ce monde fou me réserve-t-il encore ? Un imperceptible tremblement (frisson prémonitoire ?) me court le long de l'échine en pensant à tous ces autres jeux Game Boy que j'ai acheté pour une somme modique et qui m'attendent au coin de mon étagère...



Je me sers une tasse de thé, je sors un paquet de palets Bretons. Le Monde cruel attendra quelques heures avant que je replonge mes doigts gourds dans sa fange. Le goût amer de Solar Striker se dissipe. Reste le souvenir. Ce que je viens de vivre ne peut s'oublier.



Le oldisme aussi crée des héros.
Le point de vue de César Ramos :
Commun, à pas cher.