Champion d'aerobite en 1987.
Catrap
Asmik - 1990
Le boulgour vidéoludique par Petemul

Extras : Musique - Manuel TXT - Manuel PDF


Nos lecteurs les plus assidûs auront peut-être commencé à le remarquer : il en va des jeux rétro comme du vin rouge. On distingue plusieurs catégories, des grands crus classés au débouche-évier. Pour nous autres joueurs, on aura plutôt une échelle allant de "Légende Absolue" à "Bouse infâme", les superlatifs et les hyperboles dansant tour à tour une farandole de guimauve ou une gigue d'insultes.



Ces deux cas extrêmes sont les plus faciles à critiquer, puisque le style peut lâcher la bride, avec le luxe suprême de justifier les pires subjectivités. Que le jeu soit très, très bon ou très, très mauvais, il attaque le joueur au coeur, le prend par les sentiments, bref, c'est le lyrisme qui parle.



Admettons qu'entre ces deux pôles nous ayons d'autres cas intéressants : les jeux insolites qui déconstruisent/reconstruisent les frontières du méta-concret, matières à quelques papiers savoureux, et les jeux "oui mais bon mais oui mais non faut voir" mais qui sont par ailleurs riches de mille détails, si bien que d'un abord difficile à enluminer, ils fournissent d'eux-même néanmoins toute la matière à une dissertation que l'on n'a plus qu'à dérouler par le menu. Ce n'est alors plus le lyrisme qui parle, mais un semblant de raison.



Soit. Les angles d'attaques ne manquent finalement pas pour la plume qui a un peu de talent. Et pourtant, il arrive encore qu'on se retrouve sec comme un biscuit militaire, l'inspiration tarie aussi sûrement qu'une boulangerie aux regrettées heures du Pacte de Varsovie. Oui, il arrive encore que l'homme de l'art - je parle de moi, crétins - ait le verbe grippé et se retrouve acculé dans les recoins sordides de la "tire à la ligne", technique honteuse de rallongement des sauces narratives dont je vous englue le cortex depuis maintenant trois paragraphes. Là, ce n'est ni le lyrisme ni la raison qui parlent, c'est l'ennui qui bredouille.



Comprenez-moi. Comprenez mieux. Le jeu dont il est censé être question aujourd'hui, que l'on trouve encore sur nos étals (sinon je ne flinguerais pas mon temps de sieste dans ce Paris-Nantes à la climatisation polaire et aux voisines mammairement décevantes), n'est pas mauvais. Il n'est pas non plus excellent. Il n'est pas creux il est... tiède. Un grand lac d'eau tiède, sur fond de Marc Lavoine, assaisonné à la moutarde "condiment junior", et avec sa carte de l'UDF : aujourd'hui, nous parlons de Catrap.



Et pourtant, au premier abord, il sent bon le nanard. L'illustration de l'étiquette nous met en scène deux mongoloïdes à grands oreilles vaguement dans le style "manga", les couleurs sont sponsorisées par la RATP, le lettrage a quelque chose des meilleurs chaînes de supermarchés : ça envoie du lourd. L'écran-titre est du même calibre, quand au concept lui-même, il a tout pour faire chavirer les foules à l'heure de Drucker : un puzzle-game par tableaux verticaux vus de profil, comme Lode Runner, Burger King, Solomon's Club, et à peu près la moitié des jeux du genre. Des plate-formes, des échelles, des blocs à casser, d'autres à pousser, des ennemis à éliminer, l'impossibilité de sauter : je crois que c'est trop d'originalité pour mon faible système nerveux. Quelqu'un pour une infusion verveine-menthe ?



Comme on peut s'y attendre, la réalisation respecte le dogme du puzzle-game sur Game Boy : "le beau est inutile et nuit à l'esprit." Fort de cet adage, nous avons donc là un parfait exemple de graphismes moches, répétitifs à en vomir, délicatement accompagnés de musiques aigrelettes et répétitives à en vomir aussi. Toute perte de concentration dûe à éventuel ébahissement fugace est donc, et c'est tant mieux, prévenu, empêché, tué dans l'oeuf. Ne reste que la puissance de raisonnement de nos esprits supérieurs.



C'est donc fort simple : votre héros à grandes oreilles doit nettoyer chaque tableau de personnages résultant du croisement entre un bagnard sumo et une momie de rugbyman. Faites un effort d'imagination, bon sang... Pour les éliminer, rien de plus simple : foncez-leur dessus par le côté, ils sont statiques et innofensifs. La difficulté - et il y en a une, et sacrée même - ne viendra pas de là. D'échelles en ponts, de blocs à pousser en murs à grignoter, le problème viendra du fait que votre personnage ne sait que se déplacer sur le sol ou sur des échelles, mais ne peut ni sauter ni se hisser. Il va donc falloir vous frayer un chemin en comblant les trous jusqu'à votre objectif sans jamais tomber dedans. Evidemment, au premier niveau, on a un trou, un rocher, on pousse le rocher dans le trou, et voilà. Ajoutez une petite fonction de rewind à la Braid pour vous aider en cas de boulette et c'est torché. Et toujours aussi évidemment, les tableaux suivants vont tordre le système jusqu'à vous rendre fou SUR CENT CINQUANTE NIVEAUX.



Rien d'autre ne changera que cette complexification à l'extrême de la topographie des lieux. Les graphismes, la musique, les adversaires, les modalités d'action, tout sera rigoureusement identique. I-DEN-TIQUE. De quoi rendre malade le chroniqueur qui a vos milliers de bouches avides à nourrir. Que dire, bordel ?



Eh bien, peut-être que du côté du joueur, ça passe. Hé oui, tout comme ce jeu reproduit les clichés du genre, il en reproduit la machiavélique efficacité : vous commencez une partie, goguenard, vous tordez les dix premiers niveaux en écrasant un baillement poli, et puis peu à peu, la résistance s'accroît, et vous, sans même vous en rendre compte, vous faites comme l'officier SS de base : vous en faites une question d'honneur. Encore un tableau. Encore un. Raté ? Encore un essai, je suis sûr qu'en passant par là... ah, non, alors c'est quand même pas compliqué, il faut détruire ce bloc-là en premier à coup sûr, et si ça ne passe pas, alors en faisant le tour on...



Vous l'avez compris, je parle ici d'addictivité, au sens le plus évident et commun, propre à ce style de jeu. L'addictivité qui fait les grands petits jeux, qui fait d'un titre quelconque un titre purement génial sans trop savoir pourquoi.



Sauf que là non. Ca fait illusion sur une dizaine, peut-être une vingtaine de niveaux, mais finalement, bof. L'ensemble est tellement plat et fade que seuls les mordus de puzzle-game tiendront le coup. Surtout que ce jeu a un défaut pour moi, un défaut que je suis peut-être un des rares à ressentir, mais que je déteste dans cette catégorie, à savoir qu'on ne voit pas le niveau en entier, et ça m'a toujours fait chier dans les jeux où chaque mouvement compte.



Catrap restera donc un puzzle-game de second rang. Certes la fonction rewind est inédite pour l'époque, certes le système global est plutôt bien pensé, mais ça manque de coffre. Ca en fait un jeu bien pour le joueur curieux, bien pour varier les plaisirs, bien pour compléter une collection, mais qu'on ne choisira que quand les autres jeux disponibles auront épuisé leurs charmes. Ni mauvais, ni bon, ça passe faute de mieux, comme votre mère finalement, les soirs où Ursula a ses règles.

Le point de vue de César Ramos :
Généralement dans la pile des jeux anonymes et oubliés, pour deux sous.