En l'an de grâce mille neuf cents quatre vingts sept l'Europe connaît deux bouleversements. Le premier est ma naissance, le second, l'arrivée de la Master System. A ceux qui se demandent en quoi ma venue au monde a changé le visage du vieux continent je répondrais qu'environs 20 jours plus tard c'était Tchernobyl, 30 mois plus tard, la chute du mur et 18 ans après le « non » au référendum pour un traité établissant une constitution pour l'Europe... Il vous en faut plus ou je peux m'arrêter là ?
Pour ceux qui ne comprennent pas le rôle joué par la Master System sur la rive nord de la Méditerranée, j'ajouterai que c'est elle qui nous a fait sortir du tiers monde. Ha ! Vous ne l'attendiez pas celle là Nes Pas ? Et pourtant... Petit rappel historique.
Fin 86 SEGA n'a pas la forme. Sa Mark III, lancée en octobre 1985 au Japon pour concurrencer la Famicom, n'arrive pas à rattraper ses deux ans de retard. Et aux États Unis, si la Master System n'est arrivée qu'un an après la NES, l'écart semble impossible à combler quand on considère la politique d'exclusivité que Nintendo impose aux éditeurs tiers. SEGA, qui à l'époque avait oublié d'être la moitié d'un con (tout change), réalise alors qu'il reste un marché négligé par big N : l'Europe. La Master System y serra lancé pratiquement en même temps que la NES et sa distribution rapidement confiée à Virgin pour tout le continent. Surtout, l'amour du vieux sauvage européen pour les micro-ordinateurs a permis l’émergence de tout un tas d'éditeurs tiers rompus au développement sur Zilog Z80, le processeur, entre autre, du ZX Spectrum, de l'Amstrad CPC et... de la Master System.
Le pari s'avérera gagnant puisque 6,5 millions de Master System trouveront preneurs en Europe pour 8,5 millions de NES. Une « défaite » beaucoup moins cuisante qu'au Japon (1 million pour 19 millions) ou qu'aux États Unis (2 millions pour 34 millions, là on peut clairement parler de branlée). Surtout, la ludothèque européenne finira par devenir l'une des plus imposantes de la console. Pour vous donner une idée, 269 jeux sortiront en Europe contre 114 seulement aux US. Rien que d'imaginer le collectionneur américain jalouser nos jeux à licence ou le joueur japonais pleurer de n'avoir connu Ninja Gaiden ou Aleste II qu'en version Game Gear, je ne sais pas vous, mais moi, ça me met de bonne humeur en buvant mon café le matin.
C'est donc notre bonne vieille Master System qui inscrira l'Europe sur la carte des joueurs de consoles de salon (chut... laissez moi rêver bordel). Mais les choses ne se sont pas faites d'un claquement de doigts. Il fallait d'abord attirer le joueur de micro(-magnon) en lui promettant « l'arcade dans un fauteuil » plutôt que Space Harrier en fil de fer sur Amstrad. Il fallait ensuite positionner le produit à un prix « tiers monde friendly » pour séduire des consommateurs habitués aux jeux piratés (donc gratos) sur audio cassette. Enduro Racer est l'illustration parfaite de l'ensemble de ces choix.
A sa sortie en salle d'arcade Enduro Racer est une borne qui en jette. Jugez plutôt : moto en plastoc jaune et bleu pour l'immersion, jolis effets de 3D à la Hang On, musique d'ambiance digne de Stevie Wonder. On imagine le casse tête que ça a été quand il a fallu adapter la bête sur Master System. C'est là que SEGA va nous sortir un tour de passe passe digne du plus fourbe des animateurs TV quand il doit annoncer à celui qui lui a confié sa Ford Mustang que la moquette a été changé en rose et le tableau bord pailleté d'or pour refléter l'amour qui rayonne en lui.
«_Yo Dawg ! I herd you like 3D. So we put isometrical 3D in yo 2 Mega Cartridge so you can 3D while u are 3D !
_...
_...
_Bon.. bah, merci SEGA. C'est cool, merci pour le relooking. »
D'une vue « derrière le pilote » on passe donc à une 3D isométrique. Soit. C'est un choix, on aime ou on n'aime pas, mais ça se défend. Quand on compare aux portages de l'époque, on se dit qu'Enduro Racer aurait put être au mieux, un énième ersatz d'Out Run, au pire, injouable. Finalement on se retrouve avec un jeu fluide aux graphismes sobres mais fins et agréables. Moi j'aime beaucoup (en même temps j'ai toujours adoré la 3D isométrique). Mais les changements ne s'arrêtent pas là puisque...
«_Yo Dawg !
_Quoi encore ?
_I herd you like tuning. So we put a tune up screen in yo 2 Mega Cartridge so you can tune up your bike while u ride your bike
_Oui... Euh... Merci SEGA... Je ne sais pas si comme dans Pimp My Ride je vais retrouver, grâce à cette moto tunée, confiance et estime de moi, une copine et un job, mais c'est l'attention qui compte. Merci vieux... »
Contrairement à la version arcade vous avez maintenant la possibilité de customiser votre moto après chaque course. En effet, en fonction du nombre de concurrents que vous avez dépassés, vous gagnez des points qui vous permettent d'acheter une amélioration qui durera le temps du prochain round. Ça ajoute une petite touche de gestion sympatoche et ça vous pousse surtout à optimiser votre conduite, histoire de dépasser un max de pecnos. Une fois dans la boutique, à vous de choisir entre un moteur plus puissant, des pneus avec un meilleur grip, une meilleure potence, que sais-je ? Vous pouvez même réparer votre moto, une dépense parfois nécessaire puisque chaque obstacle (ou concurrent) pris en pleine poire fait augmenter le compteur de « damage ». S'il atteint 99, le chrono accélère et ça devient tout de suite plus coton de finir dans les temps pour rejoindre le bivouac et retrouver les potes autour d'une bière et d'un feu de camp en attendant la prochaine journée de piste.
Avec votre combinaison bleu jaune rouge pétard et votre moto assortie vous slalomez donc entre rochers, branches, motards et chauffards pour vous frayer un chemin jusqu'à la ligne d'arrivée. Votre bolide répond au doigt et à l’œil et si la perspective isométrique a pour effet de rendre la piste aussi « plate » qu'une ado pré-pubère, il reste heureusement les tremplins et les bosses. Aaah les tremplins... Que serait Enduro Racer sans ses tremplins ? Le jeu change du tout au tout une fois la technique des sauts de 5m de haut, 30m de longs maîtrisée. Je ne vais pas vous en révéler le secret (ça serait rendre encore plus simple un jeu qui l'est déjà trop) mais les habitués d'Excitebike ou de Motocross Maniacs devraient rapidement le découvrir.
« _Yo Dawg ! I herd you like 1 Mega Cartridges. So we put a 2 Mega Cartridge in a 1 Mega Cartridge so u...
_Ah non ça suffit ! Y'en a marre SEGA ! On n'a rien dit pour la 3D isométrique, ni pour la fin des check point. On a même renoncé à la mini moto en plastoc jaune de la borne d'arcade et au motard en wheeling de la boîte japonaise, mais là ça va trop loin. Sous prétexte de produire un jeu pas cher tu nous prives de la moitié des pistes, du superbe écran titre, des putes et du champagne sur le podium ! Méchant SEGA ! Pas bien ! A la niche et que je ne te revois plus avant la fin de cette critique ! Merde ! On se tue à défendre ta Master System, à expliquer qu'elle est chouette et pleine de bons jeux et toi tu saccage tes plus belles œuvres pour des économies de bout de chandelle. Comment veux-tu qu'on s'en sorte ?»
En quittant l'archipel japonais, Enduro Racer est malheureusement devenu une sorte de « players' choice » du pauvre. Un jeu « light » pour convenir à toutes les bourses. De 2 Mbit, le jeu est passé à 1 et forcement il fallu faire des découpes. Fini donc l'écran titre, fini la petite carte façon Out Run après le game over, fini surtout les 10 circuits uniques. A la place une boucle de 2 x 5 circuits, pas les plus beaux, et des décors allégés. Comparés au 2 x 10 circuits de la version japonaise ça pique...
Du coup faut-il encore jouer à Enduro Racer en version occidentale quand on sait que le jeux est amputé de ses meilleurs morceaux ? Oui, oui trois fois oui. D'abord parce qu'importer une Mark III et une cartouche japonaise va vous revenir un peu cher pour 10 minutes de jeu. Ensuite, parce que même en version japonaise il n'y a que deux petites musiques dans le jeu. Elles sont certes agréables, et on retrouve les notes de la version arcade, mais on a vu plus varié. Enfin parce qu'Enduro Racer c'est finalement comme cette vielle bécane qui sommeille depuis 30 ans au fond de votre garage. Que ce soit une 103 sans freins avec laquelle vous avez fait les 400 coups, ou une Honda 125 délicieusement eighties qui fume à chaque accélération, jouer à Enduro Racer c'est partir en ballade avec une brêle d'un autre âge. La sortie est courte (histoire de ménager la mécanique et votre fessier) et se fait au rythme tranquille des ron ron du moteur sur une route que vous connaissez par cœur. Ce n'est pas le challenge que vous recherchez, juste une conduite à l'ancienne, l'insouciance de votre jeunesse et un sourire tacheté de moucherons au moment de ranger la bécane dans son garage. Enduro Racer aurait put être plus beau, plus long, plus dur (c'est ce qu'elles veulent toutes), il se contente de l'essentiel et nous offre, pour se faire pardonner, l'écran de fin le plus improbable de tous les jeux de courses à moto.