Dans je ne sais plus quelle chronique sur je ne sais plus quelle station de radio (tout ce dont je me souviens c'est que c'était une onde du service public, donc assurément « de gauche » avec l'immense confort de ne pas m'abrutir de pub toutes les deux minutes), un journaliste se voulant drôle dont je ne me souviens plus du nom et qui depuis est certainement passé sur une radio privée pour devenir un drôle se voulant journaliste, nous enjoignait à ne plus dire « bon courage ». Sa rencontre avec une institutrice qui aimait son boulot (plus de doute, c'était vraiment une radio de gauche) l'avait convaincu de changer de formule d'au revoir. En effet, pourquoi souhaiter bon courage à quelqu'un qui aime ce qu'il fait ? C'est induire que faire quelque chose (travailler, construire, créer, écrire cette critique, que sais-je encore ?) serait uniquement douloureux, jamais gratifiant. C'est conforter ceux qui s'emmerdent au boulot dans l'idée qu'on ne peut que s'emmerder au boulot et c'est entretenir le mythe de l'oisiveté permanente comme seul horizon souhaitable. C'est aussi galvauder le sens du mot courage, puisque même un militaire partant se faire sauter sur une bombe artisanale au Mali ne parlera que de « job ».
Mais le monde est ainsi fait. Plutôt que de risquer de souhaiter une bonne journée à la caissière qui vous rend la monnaie, vous préférez, en signe de solidarité avec sa condition prolétaire lui lancer un fraternel « bon courage ». Ce faisant vous lui rappelez qu'elle a un boulot de merde, et vous la cantonnez à son simple rôle d’hôtesse alors qu'à la fin de son service elle ira joyeusement retrouver son p'tit copain pour une virée à moto est une partie de jambes en l'air dans les prés. Bon courage !
Puisque Sursum Corda sonnait trop pompeux j'ai moi-même remplacé ma formule d'adieu par un dynamique Tiens bon ! Hang on ! Pour nos amis anglophones. Oh... Mais... Ça alors ! Ça me rappelle justement quelque chose !
Hang on ! Hang on ! me direz-vous, cette fois dans le sens « Attends ! Attends » (magie de la langue anglaise qui pour une seule expression lui trouve une multitude de signification... ), toute cette tirade ne visait qu'à introduire la critique d'un titre dont le scénario tient sur un post-it ? Un jeu tellement léger que dans ses premières versions il était livré sur l'équivalent d'un pass Navigo voir était inclus dans la console ? Un jeu avec uniquement 5 décors presque vides, pas de musique et pas de réelle fin ? Eh bien oui ! J'assume. Parce qu'Hang On c'est comme Jean Michel Jarre, Pollock, ou vos mères. On a le droit de trouver ça laid, mais on respecte.
Surtout que le jeu est une merveille de maniabilité et de fluidité. Un bouton pour accélérer, l'autre pour ralentir. La touche « haut » du pavé directionnel pour rétrograder, la touche « bas » pour passer au rapport supérieur. Hang On est adapté de l'arcade et en garde l'essence. Il oublie simplement que sur Master System la transmission tient plus de la vieille Vespa que du double embrayage Honda. Le pavé multidirectionnel et sa précision légendaire se chargeront de vous le rappeler en vous faisant parfois rétrograder involontairement. Rien de grave je vous rassure puisque le jeu n'ayant aucune musique à part celle de l'écran titre et celle de fin de course, votre oreille, telle celle d'un Denis Hopper à la fin d'une journée de tournage sur Easy Rider, sera capable de desceller n'importe quel bruit suspect du moteur. Et croyez-moi, à 200 à l'heure en fond de 2ème ce n'est pas très mélodieux.
Là où Hang On impressionne le retrogamer éclairé c'est dans sa fluidité. Car hang on (traduit ici par « accrochez-vous ») le jeu est en full 60 FPS (soixante images par seconde ; quitte à jouer à l'interprète autant le faire jusqu'au bout). Je ne vais pas m'aventurer ici dans des discussions techniques que je ne maîtrise pas et dont tout le monde se fiche éperdument, je vous inviterais simplement à comparer l'impression de vitesse d'un jeu sorti sur carte en 1985, avec Out Run, du même développeur, sorti deux ans plus tard sur la même machine et sur une cartouche 8 fois plus grosse. Comme quoi ce n'est pas la taille des Kbit qui compte (32) c'est bien la manière de s'en servir.
Tout cela est bien beau mais que reste-t-il au joueur assoiffé d’asphalte et d’odeur de caoutchouc brûlé ? Et bien huit courses et trois niveaux de difficultés. Plates comme votre amoureuse de CE2 (à moins que ce soit votre institutrice qui vous ai donné vos premiers émois) les courses se résument vite à une répétition de lignes droites, courbes et chicanes dans 5 décors vides mais heureusement loin d’être laids. Courageux petit motard qui après avoir parcouru 8 fois le circuit de moto GP, longé 8 fois la côte, traversé 8 fois le désert, slalomé 8 fois de nuit entre les lampadaires d’une banlieue anonyme, retrouve la ligne d’arrivée tant attendue au petit matin (8 fois), la bouche pâteuse et le cul en feu après une nuit blanche derrière le guidon (Mêmes symptômes et autre engin ? Demandez à vos mères). « Congratulation mon vieux, challenge next course » et hop vous voici renvoyés sur la ligne de départ de la course 1. Gare au hangover (hop), tout boucle dans Hang On.
Si les circuits et leurs décors restent identiques, le nombre et l’agressivité des motards adverses augmentent avec la difficulté. Au niveau 3 ceux-ci auront même tendance à dangereusement s’approcher de votre bolide, une rutilante Brain MK III d’après la notice. Et alors là pas le temps de hang out (re-hop), il va falloir jouer du guidon, des rapports et des freins pour éviter tout contact ou sortie de route. Figurez-vous que, toujours d’après la notice, vos adversaires en tunique bleue et jaune ne sont autres que les terribles membres du Bondy Racing Team (véridique !) et autant vous dire que les gars du 93 ont la détente facile. Une caresse et ils vous éclateront littéralement la gueule. Les motards de banlieue sont finalement de grands sensibles.
Alors oui, Hang On sur Master Sytem est roots aux premiers abords et lasse assez rapidement. Il est néanmoins impossible de le considérer comme un mauvais jeu. Maniable (quand la manette le veut bien) et fluide, il est le digne témoignage des âges farouches quand on se contentait de courir après le score sans s’embarrasser de musique ou d’un générique de fin. Il arrive à l’essentiel, nous donner envie d’y retourner à chaque « Game Over » ne serait-ce que pour améliorer sa performance ou pour tenter de voir ce qui se passe après avoir répété deux fois la boucle de 8 courses en difficulté maximale. Un regret cependant, que la version cartouche du jeu, sortie 5 ans plus tard pour permettre aux possesseurs de Master System 2 de découvrir le hit de Yu Suzuki, n'ait pas été l'occasion d'un « tuning» qui aurait ajouté plus de contenu. Sur ce, il est temps de hang off.