Quand j’étais jeune, je n’avais pas grand-chose pour m’occuper. Je viens du trou du cul du monde : un bled à l’ouest de Perpignan, autant dire un désert vidéo ludique et culturel, surpeuplé à coup de parisiens-bourgeois et d’allemands en tong/chaussettes l’été, et vide te toute forme de vie intelligente en hiver. Un endroit charmant, donc.
Donc je me faisais chier. Sévère. Alors je piquais les films en VHS de ma grande sœur : Star Wars et Indiana Jones en tête (j’eu préféré avoir un grand frère et pourvoir lui barboter ses film de gymnastique horizontale suédoise, mais on ne choisit pas sa famille). J’ai usé ces cassettes jusqu’à les rendre presque transparentes. Indi est mon dieu, mon héros, et, dans mon esprit de gamin, la croix de Coronado et le Graal existent, ce sera mon job, plus tard, de les trouver. En attendant, je m’entraine avec mon fouet fabriqué en attachant ensemble 3 lacets de vieilles groles de mon père et mon chapeau mou qui en fait est en paille parce que je n’ai rien trouvé d’autre. Mais je m’en fous, je suis heureux comme un pape.
De temps en temps je descends à la capitale (Perpignan, 50.000 âmes…) avec ma famille pour côtoyer la civilisation, et éventuellement me faire acheter un ou deux jeux pour ma brave Master System. Direction donc le Mammouth de Claira (encore une Métropole…). En vitrine, sous clef: Indiana Jones and the Last Crusade pour Master System.
Et là, le jeune apprenti archéologue que je suis se dit : « Oh seigneur ! (ou plutôt « la putain de ta mère à la tata Francis » (oui, j’étais déjà mal élevé à cette époque)) un jeu avec Indi ! Jeveujeveujeveu » et part sur le champ casser lourdement les couilles à son petit papa-chéri-d’amour-tu-veux-pas-m’acheter-un-jeu-s’il-te-plait ?
Après environs 5 minutes de résistance paternelle, car je sais être extrêmement brise-burnes quand il le faut, je repars du magasin avec ma boiboite sous le bras. Heu-reux !
Une fois rentré à la maison, je prends mon fouet en tissus, mon chapeau en paille, je déchire sauvagement l’emballage du jeu (on est un aventurier où on ne l’est pas, merde) et j’enfourne la cartouche dans la console. Écran de démarrage qui sent bon la nostalgie : le logo Lucasfilm et la musique de la Légende en chiptunes. Joie et bonheur. Appuyons donc sur start. Et c’est parti pour un grand moment de bonheur.
Sauf que non. Mais alors vraiment non. Désolé de vous faire débander d’un coup, à froid comme ça (les filles qui me lisent et donc n’ont pas le petit matériel nécessaire à l’action suscitée sont priées d’insérer ici non pas leur doigt mais la métaphore de leur choix), mais ce jeu a brisé mes rêves et détruit mon enfance, je me venge sur vous. Oui, je suis une raclure, mais j’aime bien.
Et oui les jeunes, en ce temps là, on n’avait pas encore la presse spécialisée (du moins pas dans les bleds perdus comme le mien), et encore moins internet pour aller prendre des infos sur un jeu qu’on voyait en rayon. Il fallait soit trouver un gentil vendeur qui fasse tester, soit acheter au pif. Là ce fut le cas…
Mais revenons au jeu. Passé la petite intro du niveau (musiquette crispochiante, score et nombre de vies restantes) on entre dans le vif du sujet. Au premier coup d’œil, c’est plutôt joli, couleurs choupies, sprite de grande taille. Niveau musique, c’est plutôt pas mal, vu qu’un grand silence nous suivra tout au long du jeu, la musique n’est pas envahissante. Juste les boïng-boïng tut-tut des bruitages, pas fameux mais pas horribles non plus.
Avancer, sauter, coup de poing, et … c’est tout. Pas de fouet. HÉRÉSIE ! Indi sans fouet c’est comme un gouter sans Tang ni Nutella., comme Michael sans Jackson, comme un test de [NES-Pas?] sans vanne lourdingue : c’est inconcevable. Et pourtant si. Le fouet se ramasse dans ce jeu comme n’importe quel bonus, et est limité à 5 utilisations. C’est donc un fouet en mousse biodégradable à courte durée de vie. J’aurais encore préféré mes vieux lacets pourraves, au moins ils duraient…
Au niveau des objectifs du niveau, brosse toi poulette : rien, tu te démerde à deviner ou il faut aller. Genre dans la mine, pour trouver la croix de Coronado. Si tu n’a pas vu le film, dans le cul lulu. La fin des niveaux n’est matérialisée par rien, mais simplement au détour d’un couloir, on termine le niveau. Temps et énergie sont convertis en point. C’tout.
Du temps, en général, il n’en reste pas des masses, puisque ces putains de niveaux sont chronométrées. Mais attention, pas chronométrés dans le sens « j’améliore mon temps », mais plus dans le sens « compteur à 0 = mort humiliante ». Et le temps file vite. Surtout quand on voit à quelle vitesse se trainent Indiana Jones et son manche à balais rectal. Certains niveaux dont le premier sont des labyrinthes, autant dire qu’ils sont infranchissables sans les connaitre par cœur.
La difficulté est donc énorme. Mais pas dans un genre défi personnel (« ah la pute famélique de boss. Viens par là que je te fasse payer ton cul ! ») plutôt dans le genre manette qui valdingue par crise de nerfs. D’ailleurs je vais abréger, j’ai toujours un pad à désincruster de mon plafond. Toucher le plafond en sautant blesse. Tomber de trop haut blesse. Entrer en contact avec un ennemi tue sur le coup. Se faire toucher en vol entraine une chute directe vers l’oubli.
Jouer à ce jeu rend fou.
Le contrôle du personnage est franchement peu précis, et vraiment peu réactif. Exemple typique, on ne peut pas se baisser tant qu’on n’a pas fini un pas complet. Ce qui donne des situations risibles : on avance, le scrolling dévoile un ennemi, il nous tire dessus. Bon bah je me baisse et ça passe au dessus. Sauf que non. On se baisse à la fin du pas, donc on contemple désespéré la vision d’Indi allant s’empaler gaillardement sur la bastos, le sourire aux lèvres et la bouche en cœur. Idem dans le cas ou on voudrait frapper en plein saut. Non. Pas le droit.
Notez également qu’Indi se traine la bite à faire frémir : c’est lent, très lent. On à l’impression qu’on a posé un pauvre vieux sur un déambulateur, un balais dans le fondement pour qu’il se tienne droit et roule ma poule. De toute façon c’est un jeu à licence, donc on peut faire de la merde.
En général, il y a une petite animation quand on est touché, animation pendant laquelle on ne peut plus bouger (c’est très classique jusque là). Sauf que pendant ce temps, Indi n’est pas intouchable comme dans la plupart des jeux de bonne famille. Et que le temps d’immobilité est à peu près celui qu’il faut à l’ennemi qui vient de nous loger une bastos dans la carcasse pour finir de venir au contact, provoquant donc un décès immédiat.
Dans le même esprit, le jeu est bourré de piège vicieux, du genre « si je suis pas déjà tombé dedans, je ne peux pas savoir qu’il est là ». Un exemple pour bien fixer les choses : à un moment du niveau un, il y a deux plateformes adjacentes, l’une un peu en hauteur par rapport à l’autre, genre ça : --_. (NDLR : cet exemple de ascii art vous est offert par NES Pas le site du bien) Si on marche de celle du haut vers celle du bas, gamelle, on passe entre les deux et c’est la mort.
Les sauts sont millimétrés : trop long : mort. Trop court : mort. Et on ne peut pas modifier sa trajectoire en vol, donc il faut un double décimètre pour savoir où on va atterrir. Ce jeu est sadique, ce jeu rend fou. Excusez-moi, il faut que je sorte dans la rue tuer quelqu’un.
Le jeu reprend dans les grandes lignes la trame du film : les mines de Coronado, le train avec le cirque, les catacombes… le tout en 6 niveaux, et une difficulté en dents de scie. Bizarrement, le niveau un est extrêmement difficile, alors que le second tiens de la balade de santé (bon, d’accord, de très mauvaise santé, mais on reste dans cet esprit là), et le niveau 3 est infâme. Certains semblent infinissables, d’autres sont pliés en 3 minutes… ça manque d’équilibre, tout ça…
Les niveaux de plateforme sont hard mais faisables alors que les niveaux de farfouillage sont durs à en pleurer de rage. Mention spéciale pour le sixième et dernier niveau qui tente de faire de la fausse 3D isométrique, parfait pour se planter dans les sauts. Déjà que sans ça, ce n’était pas gagné… Le tout pour se farcir un des écrans de fin les plus indigents de sa catégorie. Attention, amis qui a les yeux fragiles, la prochaine phrase va spoiler sec. L’écran de fin se compose donc de la même image que le début du niveau avec juste « the end » en plus. Suivi d’un top score et c’est tout.
Pour résumer, Indiana Jones and the Last Crusade est selon moi une bouse infâme. Même une fosse à purin remplie de cadavres putrides se sentirait sale en y touchant. Moi-même je ne le conserve que parce que c’est un cadeau. Mais un cadeau que je garde soigneusement caché à la cave, à coté des restes de la première victime innocente que j’ai occise à cause de ce jeu. C’est typiquement le jeu qu’on sort de son caveau une seule fois, qu’on fini par masochisme pur et dur, et qu’on remet en terre pour ne plus jamais y retoucher.