La guerre Sega / Nintendo s'est jouée à grands coups de technologie, certes, mais surtout à grands coups de licences. N'oublions jamais que ce qui a sauvé le cul de Nintendo, ça aura toujours été les jeux à licence en or pur : Super Mario, Zelda, Street Fighter II, les Pokémons, et Wii Fit. Non je déconne, il faudrait être Mad, ou très con (les deux même !) pour mettre Wii Fit à côté de Ryu et Pikachu, mais en même temps on s'en branle.
Or donc, il fut une époque où Castlevania, série visionnaire de la vague loli-goth chez nos ados attardés d'aujourd'hui, appartenait quasi exclusivement à Nintendo. Je dis quasi exclusivement, parce qu'en fait non, mais pour faire simple, vous aviez 3 épisodes sur NES, 1 sur Super Nintendo, 2 sur Game Boy : les choses étaient claires.
Mais chez Sega on n'est pas de ravioles. Et tout comme je fais une révolution en vous lisant ma première critique chez "l'ennemi", ce fut un petit tonnerre de Brest que nous vécûmes jadis, lorsque les Belmont se sont importés chez celui qui se prétendait plus fort que nous.
Sauf que pas de Belmont ici. Ah, oui, faut pas exagérer. Castlevania Bloodlines garde le gros méchant, Dracula, vampire maléfique et au fond de teint douteux, mais change un peu le reste, à savoir les décors et les gentils.
Autrefois c'était standard : on avait un brutos / chevalier quelconque qui avançait comme un golem et qui tapait tout le monde avec son fouet dans des décors moyen-âgeux. C'était simple, ça respirait Conan le Barbare et le château fort avec lequel vous jouiez à la garderie du coin, le mercredi matin, quand cet imbécile de Geoffroy qui tapait très fort préférait la moto verte de Zap Man.
Mais là non. Pas de Jean-Pierre Belmont, mais deux montagnes de burnes et de testostérone : John Morris, dont la carrure rapelle étrangement l'armoire normande de ma grand-mère, et Eric Lecarde, un bellâtre coiffé comme Jean-Michel Jarre et dont la tenue vestimentaire devait être à la mode à peu près entre -121 et -119 à Corinthe. Et on ne va plus se farcir les 256 étages de la Villa d'été du boucher des carpates, mais plutôt une jolie promenade dans l'Europe du début du XXième siècle, avec tout son folklore industriel Bismarckien et Austro-Hongrois, mention "François Ferdinand chez les nécrophiles".
La Megadrive a bien compris que pour rivaliser avec sa Nemesis, il fallait la battre sur le terrain qui lui avait toujours souri : la vitesse. Niveau graphismes et musiques, en effet, à côté de Super Castlevania IV, c'était pourri d'avance, alors on va carburer au super et enfiler ses baskets rouges et blanches. Avec tout de même quelques perles techniques, surtout niveau animation, dans les coins.
On a donc un jeu terne et moite, aussi bien pour les yeux et les oreilles. Ne vous méprenez pas, ce n'est pas en soi une mauvaise chose : c'est tout à fait à l'unisson de l'ambiance voulule. Je vous rappelle qu'on ne joue pas un Bisounours qui doit rejoindre la fête d'anniversaire de son canard en plastique, mais plutôt qu'on doit éviter qu'une grande ombre vienne de l'Est et étouffe toute l'Europe. Oui, je serais ex-membre du pacte de Varsovie, je verrais ce jeu d'un oeil soupçonneux quand même.
Donc, c'est quand même bon, très bon, les musiques sont vraiment pas mal, et les graphismes collent bien malgré un effet "bouillie de pixels" sur certains passages. La console se paye même des stages avec des effets spéciaux de folie et des boss magnifiquement animés, tels ce golem d'engrenages, ode à la 3D réelle sur une console qui ne la gère pas mais ne le montre pas. Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait.
A côté de ça, pour la jouabilité, avouons-le, ça avoine. Débarassé des gênes de plomb de la lignée habituelle, nos deux personnages marchent d'un pas de Parisien, et distribuent les gnons à la gatling. Ils sautent comme des chamoix, jouent du fouet et de la lance avec brio (un copain), à tel point que le Nintendiste devra se ménager un certain temps d'adaptation.
Mais ça sera pour son plus grand bien. Castlevania Bloodlines n'est peut-être pas le meilleur Castlevania de l'époque, il est un poil iconoclaste sur les bords, il n'a pas la cohérence absolue de son grand rival, mais il n'en reste pas moins un excellent jeu, irréprochable, dépaysant, vif, et technique. A l'époque au moins, on ne faisait pas que de portages bidons d'une plate-forme à l'autre, non, on se sortait les tripes du coude pour faire saigner l'adversaire, et ce jeu est l'une des plus belles illustration de ce bon esprit qui nous a donné tant de plaisir.