Le site qui a fait signer M. Demaesmeker.
Two Crude Dudes (Crude Buster)
Data East - 1991
BLAM ! KRAK ! WHAM ! KITSCH ! par Pixxell

Extras : Musique - Manuel TXT - Manuel PDF
Aujourd’hui est un grand jour. Après la destruction de New York suite à la fameuse apocalypse nucléaire il y a de cela vingt ans, Notre Vénéré Maître Président – que son nom soit loué – a décidé d’enrayer la menace qui envahit la capitale de notre cœur, la ville de la Liberté. Suite à la tentative de reconstruction du centre névralgique de l'État, des hordes barbares mutantes, réunies sous le nom de Big Valley, avaient en effet tenté de réduire en miettes tous les efforts consentis par le Peuple Unifié en reprenant la place forte comme emblème de la barbarie et de la médecine déviante.



Mais nous ne nous laisserons pas faire. Notre Patrie est au dessus de cet acte d’une sauvagerie inouïe, et ces monstres seront punis. En ce 8 juin 2020, et face à la caméra de Pays Adoré TV, l’offensive est enclenchée, et nous sommes là pour l’admirer.

Il est l’heure. Notre Maître Président – Père de toutes les Merveilles – arrive devant nous, foule compacte qui scande son Nom avec ferveur. Qu’il est beau et fort. Nous savons tous qu’il a la Solution. Nous répondons à son « La Solution c’est l’élimination ! » par un tonitruant « Il a la Solution ! », et ce durant trois tours de cadran. Nous y croyons.

Puis, des projecteurs se braquent sur une place nette du podium, marquée du sceau de notre Nation. Cette Solution arrive. Le suspense est insoutenable.


Deux mecs musclés.

Ne nous y trompons pas. Notre Maître Président – que son Nom soit Loué – a fait le bon choix. Pas d’armée ou de surenchère. Ces deux hommes suffiront à accomplir sa Volonté, à détruire ces abominations de la science, et à rendre à New York son lustre d’antan. Nous le savons.

Notre destin et celle de Notre Patrie est entre les mains de deux hommes bodybuildés, Biff et Spike. Fou comme ils semblent tout droit sortis de ces films et jeux reaganiens de mon enfance... L’époque que l’on se doit d’oublier, vestige d'une société primaire où se côtoyaient des muscles huilés aux veines apparentes, des coiffures improbables, des scénarios manichéens et concis, des citations et situations de folie, des méchants bedonnants à moustache, des explosions à la chaîne, des mauvais effets spéciaux et des hamburgers en fin de mission. Mais, surtout, les aventures ponctuées d'un Happy End. Nul doute qu'il s'agit là d'un Signe.



Tous ces clichés sont incarnés par ces deux curieuses personnes présentes devant nous. Des coupes mulets et des crêtes rousses… Ces boucles d’oreilles unilatérales qui pendouillent, des boléros marqués d’un signe « Peace and Love »... Mes yeux me brûlent, mais je dois tenir... Je veux voir notre Victoire, et je sais pertinemment que ma souffrance visuelle actuelle ne sera rien à coté de la raclée qu’ils vont foutre à ces pourritures d’organismes génétiquement modifiés qui ont envahi la grosse pomme.

Les deux hommes se lancent à l’assaut, suivis par une caméra qui nous reportera leurs faits, gestes, exploits. Ils commencent simplement en passant outre un des murs encore en état potable qui entourait la ville, et optionnellement seul rempart contre l’ennemi. Peu importe, puisque dans une heure, il est sûr que la menace sera anéantie. Alors que des milliers d’ingénieurs recyclés s’attellent à empêcher le dernier mur de s’effondrer, on découvre sur grand écran la cité, dévastée et sale. Quelques vestiges d’un passé flamboyant subsistent enco... Bon sang... LES MONSTRES. Ces restes de Civilisation sont tagués ! Des « Cyber ». Des « Banana ». Des « Freez ». Des... Des... DES « KISS » ! LES ORDURES, C’EN EST TROP ! ILS LE PAIERONT ! CASSEZ LEUR LA GUEULE ! ANÉANTISSEZ-LES !



Tandis qu’ils avancent, nous retenons notre souffle et admirons leur courage. Ils n’ont pas l’air de grands techniciens du combat et ne vont pas toujours où il faut - monter des escaliers semble leur être un calvaire - mais ils sont sacrément efficaces.

Pas de puissance de feu en tant que telle. Poing, pied, roulades et sauts leur suffisent à envoyer ad patrès tous les clones qu’on leur envoie. Avec de minimes variations toutefois, un coup accroupi ou sauté est souvent une option intéressante. Et tout est bon pour réduire à néant ces saletés de barbares qui dévastent ce qui était la Ville Rêve. Chose très divertissante en plus d’être efficace, ces montagnes de muscles sont capables de soulever à peu près tout ce qu’ils croisent : bâtons, poubelles, caisses, pylônes, pancartes, rochers... Mais aussi bouts de mur. Voitures. Transporteurs volants. Ennemis. Mec musclé.

Car, c’est bien connu, il est souvent utile de se servir de son acolyte de toujours comme projectile, quand on a plus rien d’autre sous la main et que la portée de ses coups reste indéniablement réduite. Magnifique entraide et parfaite application de l’article 526 bis verset 2 des Préceptes de Notre Pays Adoré, les adversaires de la Liberté devraient en prendre de la graine.



Il est seulement dommage que la vie là-bas ne soit pas aussi facile que la notre. Si c’était le cas, les coups mutuels entre nos Héros ne seraient pas des dommages collatéraux handicapants. Laissons leur cependant une once de faillibilité, ne les renions pas pour si peu. Comme le dit Notre Maître Président - que sa Lumière brille de Mille Feux -, on ne fait pas d’enfant parfait sans remplir des centres d’adaptation.

Par contre, notons bien que s’il y a une chose à propos de laquelle ces hérétiques n’ont rien à apprendre de nos Combattants, c’est sur cette allure atrocement kitsch. Tout s’explique lorsqu’au nous dévoile que leur créateur et responsable de tout ce carnage a une grande nostalgie des années 80. Une époque où le concept de libre arbitre rongeait l’humanité et où il ne ressemblait pas encore à un dénommé Albert Einstein.

Au fil de nos encouragements, frémissants de l’autre coté du mur, nos Sauveurs progressent, toujours suivis par le cameraman en travelling perpétuel. On s’aperçoit que moins les ennemis sont clonés, plus ils sont puissants, rapides, rusés, mortels. Mais les Envoyés de Notre Pays Adoré défigurent sans faillir barbus en tenues de latex, cyborgs fans de frisbee, morpions en pyjamas jaunes, gorilles en justaucorps, membre d'un groupe de Glam Rock éleveur de serpent, sprinters aux longues cornes, Père Noël nain lanceur de bombes, Jason à la main baladeuse et autres sauterelles humaines dont le postérieur éjecte de la toile. Tous les adversaires - presque - uniques sont puissants, c’en est indécent.



Nous ne savons pas s’il s’agit des radiations ou des différents Cachets de Bonheur que l’on ingurgite, mais les couleurs des six environnements traversés - rues, usine dévastée, métro, laboratoire - sont bizarrement trop vives, loin de l’univers terne auquel on pouvait s’attendre, saleté oblige... Une chose rejoint toutefois notre jugement initial : qu’est ce que c’est laid et clinquant. Nous sommes désormais bien loin des images encore autorisées de l’ancienne époque. Même la Statue de la Liberté semble avoir disparu au profit d'horizons vides et désolés...

Excellente surprise en ce qui concerne le son restitué dans les énormes hauts parleurs de la scène : le Superviseur des Affaires Spectaculaires a eu la bonne idée d’engager un ingénieur du son dernière génération, tout droit sorti de la Polyteclinique. Chaque cri de douleur de nos adversaires ou coup donné est parfaitement perceptible et, comme pour insister sur l’impact qu’ont nos Envoyés, chacun de ces bruits est lié à une onomatopée restituée visuellement. L’avancée de nos Héros est quant à elle accompagnée d’un groupe de musiciens célèbres pour leurs musiques de films de série B, congelés avec leurs instruments en 1982 et sortis de cryogénisation exclusivement pour accompagner ce moment de gloire.



Malgré ce que certains dissidents pourraient qualifier de gros défauts esthétiques, nous suivons une aventure exceptionnelle. Notre plaisir est intense et il en est de même lorsque, suite à l’afflux continu et rythmé des adversaires à notre Cause, nos Chevaliers découvrent la Boisson Divine. Un chef d’œuvre que même les odieux dissidents n’ont pas osé toucher : dans toutes ces ruines traversées, seuls restent dans un état remarquable les distributeurs de Power Cola. Un peu de baume au cœur et de vie pour nos Envoyés aux mimiques appuyées. Ils le méritent, entre deux Danses de la Victoire traditionnelles.

Au fil des coups qu’ils portent, des décombres, décharges, bâtiments à l’architecture sans surprises et plaines bizarrement verdoyantes dans cet univers post-apocalyptique qu’ils traversent… Ils parviennent enfin, guidés par la Voix de Notre Maître Président – que Grâce lui soit rendue – au laboratoire secret de cet être chétif en blouse blanche, responsable de l’affront ultime. Ce maléfique adversaire, après envoyé sa garde personnelle en nombre, ne se contentera pas que de donner des coups de ses petits poings crispés : en bon savant fou, il aura testé ses potions magiques sur lui.



Après un combat épique, long et fort dégoûtant, nos yeux débordent de larmes de Joie. La caméra nous a montré la Libération de l’emblème de Notre Patrie, et Notre Maître Président – que son Œuvre soit célébrée – la Voie. Comment pouvions nous en douter ?

Honte à quiconque était perplexe quant à l’issue de cette aventure. Même si l’on s’était cru visuellement dans ce qu’on nommait un « nanar », car, si on ose la dénoncer de parodie, cette esthétique est assumée. Même si l’avancée a été un peu éprouvante et ennuyante formellement, car le fond est tout autre, nous faisant perpétuellement lâcher un sourire ému. Même si ce qu’on a récupéré n’est que couleurs saturées et archaïsme vidéoludique, car tout ceci était charmant, drôle, motivant.

Cette histoire est à raconter sans faillir et avec entrain aux générations futures. Un instant de notre vie à la fois grave et infiniment fun, où il s’est passé des choses absurdes sans que l’on ne s’en offusque, tant elles semblent couler de source. Une aventure que nous sommes convier à partager avec un ami. Ce genre de moment n’est sûrement pas à vivre seul. Même si nous ne faisons qu’Un.

Alors non, nous ne sommes pas déçus. Et ce tour de force voulait dire quelque chose. Le plomb peut se transformer en Or. New York est à nouveau à nous, et la Lutte est terminée. Nous avons remporté la Victoire contre les opposants à l’Ordre des Choses par un véritable pied de et dans le nez. Nous aimons les Two Crude Dudes. Nous aimons Notre Maître Président.

Le point de vue de César Ramos :
Relativement commun et à pas très cher, autant en profiter.