Cette histoire commence un sombre soir de juin, alors que je rentrais d’une dure journée d’exploitation de travail dans un petit boui-boui dont je tairai le nom, car il est vrai qu’à l’époque j’étais comme vous, je devais travailler pour financer mon train de vie princier à base de putes, de coke et de Neo-Geo mint in box. Depuis, évidemment, c’est devenu bien plus facile, à partir du moment où je me suis lancé dans la contrebande de chaussures, le proxénétisme, le trafic d’armes et de drogue et la traite des blanches.
Je plaisante. Je n’ai jamais vendu de chaussures.
Bref, ce sombre soir de juin (un 24), v’là t’y pas que mes parents, emplis de joie candide, me présentèrent avec force amour du travail bien fait deux poches remplies ras-la-gueule de jeux en tout genre, de consoles et de câbles, ramenés de la brocante-des-enfants municipale. Mes bras m’en tombèrent tellement c’était beau, moi qui souffrais de n’avoir pu y mettre les pieds pour cause de vente de sandouiches de merde par 35° à même la rue (idée géniale de ma patronne de l’époque, qui a dû nous rapporter quelques 35€, en même temps fallait pas qu’elle s’étonne vu les tarifs pratiqués, l’offre et la demande, machin, tout ça, dieu que cette parenthèse est longue).
Après avoir ramassé mes bras (oui parce que bon, c’est quand même plus pratique), j’entrepris de farfouiller dans ces tas poussiéreux d’éléments électroniques divers et variés. Parmi tous ces jeux, le lot Megadrive avait un côté assez irréel. Imaginez une dizaine de jeux dont la valeur ludique totale excède à peine celle de Jordan vs. Bird (excède, puisque en l’occurrence ledit jeu était dans le tas). Tant de daubes d’un coup étaient trop pour moi, mais au milieu brillait un Graal, Davis Cup World Tour Tennis. C’en était trop, le souffle tiède de l’aventure caressait mollement mon visage, et les vapeurs d’alcool à 90° (parce qu’il fallait bien dégager les contacteurs de leur gangue de crasse) aidant, j’enfournai la cartouche dans la Megadrive. C’est ta mère que j’enfourne, je sais.
Ce qui frappe tout d’abord, c’est l’écran de crédits. Mon œil s’illuminait déjà tant de si belles promesses de médiocrité scintillaient devant moi. Un jeu édité par Tengen ne peut être que d’une qualité exceptionnelle. N’oublions pas que les gaillards ont fabriqué pendant des années des cartouches pirates pour la NES pour pouvoir l’inonder de portages de mauvaise qualité sans avoir à passer par le contrôle-qualité de Nintendo.
L’autre élément frappant, c’est que le jeu a été développé par Loriciel. Les français ont quasiment exclusivement développé sur ordinateurs (PC, Amstrad, Amiga, ZD Spectrum…). Un jeu de sport console semble donc faire tâche dans leur ludothèque par ailleurs mirifique.
Voici l’écran titre, d’une sobriété toute 1993. Il n’y a même pas une indication pour appuyer sur start. En revanche, on voit un mec courir au fond, avec une animation carrément désastreuse, renvoyer des balles sur l’écran, qui semble être du coup un mur d’entraînement. Soit. Enfin, cette analyse est faite à postériori, hein, parce que bon, la première fois, il faut bien quelques minutes pour réprimer le fou-rire qui s’empare du joueur à la vue de cette course absolument calamiteuse, genoux bien haut, genre « hop hop hop ». Associez le tout à une musique totalement hors de propos (caractéristique des jeux d’aventure Amstrad des années 80, en gros) pour obtenir une espèce de sensation d’irréalité tenace.
Les écrans, que dis-je, l’unique écran pour sélectionner ses options étale sa sobriété sur ma télé tel le scientifique de l’extrême étale le beurre sur le chat (pour voir de quel côté il tombe, ou, accessoirement, quel goût ça a). Cependant, la tête du mec en bas à droite de l’écran a ce petit côté whatefeuk qui fait craindre le pire quant à la suite. Il est laid. Il est très laid même. Mais qu’à cela ne tienne, choisissons un joueur. Jesus-Marie-Joseph-Sainte-Mère–de-Diou-Allah-Bouddha-Yahvé-Flying-Spaghetti-Monster ! Ces gens sont également d’une laideur à pâlir ! Pis encore, ils ont tous strictement la même tronche, comme si un mec s’était planté de moule et avait décidé de faire toute la série pareil, histoire qu’il y ait pas de jaloux (ou que ça passe inaperçu) ! La musique ne veut pas s’arrêter, j’appuie sur start en fermant les yeux.
Et là, c’est le drame. Parce qu’il faut bien rouvrir les yeux quand même. Mais une chose terrifiante s’exhibe sur les courts. Allons, ne me dites pas que vous ne le voyez pas ?
Ils sont tous CALVITES !
La chose est d’un ridicule à pleurer. Tous les joueurs sont donc bien identiques (le moule de la face n’a pas été le seul, donc), mais ils perdent également tous leurs cheveux, déjà peignés comme un Bjorn Borg des grands jours !
Comment prendre ce jeu au sérieux désormais ? On nous propose de se confronter aux plus grands lors d’une véritable Coupe Davis, dans des sets gagnés au filets dans la sueur, le sang et les larmes, et on se retrouve à faire le match du dimanche après-midi entre deux quinquagénaires vieux-beaux à la toison grisonnante, ressassant de leurs gloires passées tout en tapotant mollement la balle sous le regard distrait de leurs épouses, coincées entre leur chapeau à large bord et le Youki sur les genoux.
D’ailleurs, l’animation ne dément pas cette impression. On sent que papy a fait l’Algérie, et qu’il en a gardé une patte folle, tant l’animation est ridicule et les poses anti-dynamiques. Vous vous souvenez du « hop hop hop » du début, façon bidasse qui galope en remontant bien les genoux ? Ben c’est pareil. Mais en pire, puisqu’on se sent responsable des évolutions calamiteuses de notre athlète des maisons de retraite.
La nanaritude est encore plus complète avec le son allumé, car les joueurs poussent des espèces de cris de ninjas dignes d’un doubleur péruvien de films de kung-fu élevé à Michel Leeb. La voix off est complètement minable, plus que le public, mais moins que la calvitie, quand même (non, je ne m’en relève pas).
Les surfaces sont exclusivement cosmétiques, et ne changent rien à la façon de jouer. Les joueurs n’ont strictement aucune force, ni aucune faiblesse, le changement est là encore exclusivement cosmétique (et encore, c’est un bien grand mot).
Alors, ce jeu est-il définitivement perdu pour l’humanité ? Presque. Parce que mine de rien, il n’est pas si désagréable que ça à jouer. Bien évidemment, rattraper la balle est une gageure, et la placer un exploit (surtout que le CPU n’en rate pas une et les met systématiquement à l’autre bout du terrain). Mais il est dans la moyenne de l’époque. C’est bien son plus gros défaut d’ailleurs. Son enrobage nanar n’arrive pas à le sauver des méandres de la médiocrité, pour finalement laisser un jeu au mauvais goût extrême, mais à la jouabilité fadasse, comme une sauce aux brocolis et aux salsifis mal salée enroberait un blanc de poulet bouilli, flottant mollement dans sa propre eau de cuisson. J’aurais pu me contenter d’un bashing putassier de ce jeu, mais en fait il ne le mérite même pas.