Découvrir un mot. La joie simple d’aller plus loin intellectuellement suite à la découverte de quelques lettres d’affilées. « Syllogomanie » a lâché le médecin. Devant la perplexité de mon regard, il dû revenir sur l’explication « Monsieur, vous accumulez de manière excessive des jeux. Vous n’y jouez quasiment pas, et en possédez plus de 11 000. Il faudrait aller voir le Professeur Duranton. En attendant je vous fais une ordonnance d’électrochocs cérébraux qui remettront vos idées en… »
Je n’écoutais plus. J’accumulais donc depuis des années toutes sortes de jeux, ma femme m’avait quitté pour ça, mes enfants ne me voyaient plus, mais entre eux et mes jeux, quoi, vous auriez fait pareil non ? Et cet amour irrésolu portait donc un nom ? Brave docteur, c’est parce qu’il a été gentil avec moi que je ne l’ai pas fait souffrir.
Après être passé chez le grossiste pour ma commande de 30kg de chaux vive, et avoir terminé ma séance de jardinage, j’admirais mon salon. 11 000 jeux accumulés là depuis plus de 32 ans. Des piles entières de jeux, des petits des grands des bons des daubes, des inconnus des classiques, que des jeux. Ah la grande époque où j’achetais des lots entiers aux USA. Bim, 400 jeux NES d’un coup, paf, 298 jeux SNES, poum tous les Megaman tous supports confondus, des milliers je vous dis.
Alors il est vrai que je ne les ai pas tous essayés. C’est que cela prend du temps d’amasser 11 000 jeux croyez-moi. Le bon docteur avant de mourir m’a soupiré quelque chose comme « allez-vous faire soigner ». Il a raison, il faut que je prenne mon destin en main.
Je renverse quelques piles à la recherche de la perle rare, le jeu à lancer qui me fera rêver et m’offrira la voie du salut. Je patauge dans les jeux comme un pantin, je trébuche, tombe, renverse d’autres piles de jeux, glisse. Blackout.
Il fait nuit, mes yeux pèsent trois tonnes. Un bourdonnement épouvantable bat dans mes tempes. Il faut que je joue. Je prends la première cartouche qui me passe sous la main dans un râle. Taboo – The sixth sense. Parfait, jamais vu, la pochette est jolie, je suis sûr que si le bon docteur avait encore des yeux il aurait apprécié. Je prends quelques pilules. Le doux docteur m’en donne toujours une par une, j’en ai marre, gros gavage j’en prends plein.
L’écran titre est vraiment chouette. C’est fin, la musique est un plagiat de celle de Zelda 2, c’est vraiment beau. Et puis Rare, quand même. Cela va être une formidable partie. Je pose la montre du gentil docteur sur le bras du canapé. Elle me tiendra compagnie, j’ai déjà l’impression d’aller mieux.
Je rentre mon nom, mon âge, mon sexe. Je suis déçu, c’est soit « H » soit « F », pas E de Enorme, mais qu’à cela ne tienne, nous sommes sur NES tout n’est pas possible. Le jeu me demande ensuite ma question. Je regarde autour de moi, mais seuls mes jeux, qui sont mes amis, me regardent. Ils semblent m’encourager. Le silence de la pièce m’aide, j’y vais.
Ah ah j’ai bien eu le jeu, j’ai hâte de voir ce qu’il va en faire. Des cartes sont tirées par le jeu. Mon écran me crache des couleurs à la figure, j’ai mal au crâne. Ce que ces pilules sont fortes. Elles sont lues une par une. Mon Dieu mais à la lumière bleutée de mon téléviseur le jeu me dit comment va devenir ma vie. C’est formidable. Je vais avoir de l’argent. Chouette, je vais pouvoir racheter des jeux ! Carte suivante : il semble que les autres ne vous impactent pas trop actuellement. J’aimais bien le gentil docteur, mais mes amis du centre étant maintenant internés, plus personne ne vient me voir à la maison, rien que le livreur de pizza. D’ailleurs il ne vient plus, mais la police n’a jamais rien pu prouver contre moi.
J’apprends aussi que bientôt je vais faire l’admiration de tous. J’espère enfin que mes 11 000 jeux feront la une des journaux. Ça valait bien quelques sacrifices, mince. Mes influences passées sont donc néfastes ? Je termine la boîte de médicaments d’une traite, ça coute une fortune il ne faut pas gâcher, et je la balance au loin. Je veux en savoir plus.
J’ai confiance dans l’establishment. Bien sûr, au centre ils ont été gentil avec moi, d’ailleurs, eh, j’essaye un nouveau jeu, j’avance dans ma vie c’est chouette. Comme c’est merveilleux ! Je communique avec ma NES. Elle SAIT ce qui est bon pour moi. Les autres me voient comme une personne honorable ? J’espère. Avoir tant sacrifié pour amasser ce magot, tout de même ce n’est que justice.
Je me sens patraque. Non pas que la divination m’ait choqué, au contraire, je suis un homme neuf. Mais intérieurement ça travaille. C’est dommage que je n’aie plus accès aux commodités à cause des jeux. Je dépose une énorme brique au milieu du salon. La femme de ménage nettoiera, et puis, j’en trouverai une un jour. Il faudra qu’elle fasse attention à mes jeux.
Il me demande ensuite l’Etat dans lequel j’habite ? Second, je suis dans l’état second. Je coche au pif, s’affichent quelques numéros, mes chiffres de la chance ? J’ai hâte. La vache ce que ça balance dans ma tête. J’ai envie de vomir, tout tourne. Cartes, tête de mort, lumière bleue, cadavre du gentil médecin, il me l’avait dit pourtant, tête de mort tarot, ouch.
Trou noir.
Pourquoi je ne peux pas bouger ? C’est quoi ce néon ? Mal au crâne. Tiens, au-dessus des barreaux de la porte un chiffre. C’est rigolo c’était l’un de ceux de la chance ! J’ai vraiment raison d’y croire, j’en étais sûr. Mais j’ai une chemise à une manche et je suis attaché ? Bordel mais. Mais il disait que la justice et moi ne faisions qu’un ?
J’expliquerai pourquoi au juge, il me comprendra, lui, c’était écrit.